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«Mémé attaque Haïti» : Marie Larocque cogne et caresse la Perle des Antilles (ENTREVUE)

Marie Larocque cogne et caresse la Perle des Antilles (ENTREVUE)
Courtoisie

N’ayant rien perdu de la plume incisive, dénuée de censure et débordante d’humanité, qui a fait la marque de son premier roman, Jeanne chez les autres, Marie Larocque rapplique avec Mémé attaque Haïti, un récit d’observations, d’anecdotes et de coups de gueule accumulés durant les sept années passées en famille sur la Perle des Antilles.

L’écrivaine, traductrice, ex-enseignante et très jeune grand-mère s’insurge contre la religion ultra présente dans toutes les sphères de la vie haïtienne, explique pourquoi l’aide étrangère, incohérente et peu structurée, sert davantage l’image des 115 pays donateurs que le pays insulaire, et partage les raisons – olfactives – qui la tiennent à distance du lit des hommes noirs…

« J’aime la provocation, affirme Marie Larocque en entrevue. Ça force les gens à se positionner s’ils se sentent bousculés. Mais choquer pour choquer, ce n’est pas pour moi. Je trouve que la franchise ajoute du poids à mes paroles. Comme je suis brutalement honnête, les lecteurs peuvent croire les bouts d’histoire qui donnent l’impression d’avoir été inventés. »

Extrait à propos de Port-au-Prince : « C’est calme, mais c’est laid, c’est bruyant et ça sent le Christ qu’on aurait oublié sur sa croix, un mélange de charogne et de vidanges. La dignité collective semble avoir pris un sale coup, ça grouille de paumés, de perdus, d’abrutis ou d’ahuris. Dans un seul après-midi, on voit un gars se branler, deux chier et plusieurs se balader nus. En pleine rue. C’est nouveau. Et difficile. »

Au fil de ses aventures, elle prend aussi la peine de corriger l’image relayée par les médias qu’elle juge sensationnalistes. « Tout le monde dit que c’est un pays dangereux, mais pas du tout. Haïti a le plus bas taux de criminalité des Caraïbes. C’est 100 fois plus dangereux à Miami. Mais la désinformation nuit au pays.»

Triste ironie, sa fille Charlotte a failli laisser sa peau dans un accident de la route, alors qu’elle visitait sa mère et ses deux jeunes sœurs. « La route en Haïti est le seul danger concret, comme un peu partout en Amérique latine, concède Larocque. Pourtant, plusieurs étrangers ont peur de pogner le sida et le choléra ou de se faire braquer… Oui, il y a des vols et des meurtres, mais de façon hyper ciblée. »

« Quelqu’un comme moi, qui n’a rien de spectaculaire, ne court aucun danger. Je me sens plus en sécurité dans un pays comme Haïti, où je fais partie d’une communauté. Ma fille Emmanuelle faisait 15 minutes de tap-tap pour aller à l’école et s’il lui était arrivé quelque chose, je l’aurais su tout de suite, et quelqu’un se serait occupé d’elle. Je pense que c’est encore plus vrai, parce qu’on était les seules Blanches. »

Les trois filles Larocque ont goûté au meilleur et au pire de leur marginalité caucasienne. Comme en fait foi l’anecdote où l’ex-servante de la famille a demandé à l’auteure 4000 $ pour payer les funérailles de sa mère, comme si elle était un puits financier sans fonds.

Sans parler de l’attention constante que les locaux réservaient à leur blancheur. « Quand ma fille Emmanuelle, une blonde aux yeux bleus, se rendait à un endroit, une marée de gars l’entouraient immédiatement. Quand on marchait dans la rue, on se faisait accoster continuellement, ce qui devenait lassant. »

« Mais être Blanc demeure une chance là-bas. Tout le monde fait attention à toi. Quand je m’installais sur le toit des tap-tap, les gens trouvaient ça dangereux, mais ça ne les dérangeait pas si des Haïtiens faisaient pareil. Le fait que je maîtrise très bien le créole m’a aussi aidée à me faire respecter. »

Marie Larocque a eu besoin de six mois pour parler la langue. « C’est facile à apprendre, contrairement au français. On utilise des préfixes pour conjuguer les verbes au présent, au futur, au passé et au conditionnel. Il n’y a pas de féminin ni de pluriel. Il faut surtout développer son vocabulaire, si on veut se faire comprendre. Là-bas, tu ne peux pas t’en sortir sans créole. Les gens disent tous qu’ils parlent français, mais plusieurs récitent des phrases apprises par cœur, sans les comprendre. Ça donne des dialogues de sourds. »

Son livre est d’ailleurs rempli d’échanges en langue haïtienne. « Ça n’aurait pas eu de sens que les Haïtiens dans le livre s’expriment en français. En plus, le créole est une belle langue colorée, très propice aux insultes! Après mon premier séjour en Haïti, où mes enfants se parlaient en créole, ils ont repris le français à Montréal. Mais ils utilisaient le créole, dès qu’ils se chicanaient! »

Si les enfants Larocque ont conservé plusieurs notions langagières, ils ont également rapporté dans leurs bagages une conscience nuancée de la société, de la pauvreté et de la mort. « En Haïti, la mort semble presque banale. Les gens ont un côté très animal et sont peu éduqués. Un peu comme une chatte qui perd un bébé de sa portée, qui miaule deux jours et qui finit par oublier pour s’occuper des autres, pour éviter qu’ils dépérissent. »

À ce sujet, l’écrivaine souligne qu’elle n’a jamais vu autant de morts de sa vie (maladies, accidents, catastrophes naturelles) qu’en Haïti. « À force de voir les gens mourir, ils deviennent blindés. Ils se font une carapace, sinon ça les toucherait trop. Les Haïtiens sont résilients au bout! »

Mémé attaque Haïti sera en magasins le 25 février. Marie Larocque invite les lecteurs à son lancement, le 24 février, au Café Bobby McGee, dans Hochelaga-Maisonneuve, dès 18 h.

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