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Pipeline 9B d'Enbridge : le PQ accusé d'avoir caché de l'information

Pipeline 9B d'Enbridge : le PQ accusé d'avoir caché de l'information
TORONTO, CANADA - 2014/06/20: Enbridge, Inc. is an energy delivery company based in Calgary, Alberta, Canada. It focuses on transport and distribution of crude oil, natural gas, and other liquids. (Photo by Roberto Machado Noa/LightRocket via Getty Images)
Roberto Machado Noa via Getty Images
TORONTO, CANADA - 2014/06/20: Enbridge, Inc. is an energy delivery company based in Calgary, Alberta, Canada. It focuses on transport and distribution of crude oil, natural gas, and other liquids. (Photo by Roberto Machado Noa/LightRocket via Getty Images)

En février 2014, le gouvernement Marois affirmait que le comité mixte Québec-Alberta n'avait produit aucun rapport sur le pipeline 9B d'Enbridge. Mais Radio-Canada a obtenu une copie de ce rapport très favorable au pétrole des sables bitumineux. Un rapport différent de celui rédigé par le ministère des Finances et qui n'aurait jamais été présenté à l'ex-ministre des Ressources naturelles Martine Ouellet.

Un texte de Thomas Gerbet et de Davide Gentile

« Aucun rapport n'a été produit par le Comité mixte Québec-Alberta », affirmait la ministre Ouellet, dans une lettre officielle datée du 14 février 2014, moins d'un mois avant le déclenchement des élections provinciales.

L'opposition libérale avait demandé en mai puis en novembre 2013 « si un ou des rapports ou autres documents ont été produits par le comité mixte Québec-Alberta ».

Pourtant, ce document existe, il s'appelle tout simplement Rapport du comité conjoint Québec-Alberta et est daté de novembre 2013, soit trois mois avant la déclaration de la ministre. Il a été produit par le gouvernement péquiste lui-même, plus précisément par le ministère des Finances, en collaboration avec le ministère de l'Environnement et le ministère des Ressources naturelles.

Ce rapport est le fruit d'une collaboration entre les gouvernements du Québec et de l'Alberta instaurée à la suite de la rencontre entre l'ex-première ministre Pauline Marois et son homologue Alison Redford en novembre 2012.

« Le gouvernement de l'Alberta a fourni de l'information technique », peut-on lire en introduction du document. Le groupe de travail baptisé « Comité conjoint Québec-Alberta sur l'accès aux ressources pétrolières nord-américaines » était constitué de hauts fonctionnaires des Finances, de l'Environnement et des Ressources naturelles des deux provinces.

Le ministère des Finances a même demandé un numéro de dépôt à Bibliothèque et Archives nationales du Québec le 25 novembre 2013, un jour avant la dernière demande des libéraux pour obtenir ce rapport. Mais après vérification, nous avons constaté que le ministère des Finances a finalement décidé de ne pas déposer le rapport aux archives nationales, ce qui en aurait fait un document public.

L'ex-ministre des Ressources naturelles n'a jamais vu le rapport

La semaine dernière, l'ancienne ministre des Ressources naturelles Martine Ouellet a indiqué à Radio-Canada que le document ne lui a jamais été présenté. « Il faudrait demander aux gens des Finances », affirmait-elle. Martine Ouellet enchaînait en disant : « J'ai eu des discussions, j'ai été briefée sur les angles et tout ça. Je ne peux pas entrer dans tous les détails, mais à ma connaissance, ça n'a jamais abouti ».

Elle refusait de parler d'une erreur ou d'une omission volontaire des autres cabinets impliqués, c'est-à-dire les Finances et l'Environnement. « Effectivement, c'était un dossier interministériel et qui relevait en grande partie du bureau de la première ministre. » Des sources proches du dossier à l'époque indiquent que le renversement du flux du pipeline créait « des tensions » au caucus péquiste. L'affaire était pilotée par la garde rapprochée de Pauline Marois qui voulait assurer le maintien de milliers d'emplois dans la filière pétrochimique de l'est de Montréal.

Les libéraux parlent d'un mensonge

« On a induit en erreur le Parlement », affirmait vendredi le libéral Gerry Sklavounos. Dans l'opposition, les libéraux ont cherché en vain à obtenir cet hypothétique rapport. Dès le 13 mai 2013, Pauline Marois s'était défendue de vouloir « cacher quoi que ce soit » concernant le partenariat Québec-Alberta et elle avait promis de rendre les données publiques « à mesure [qu'elles] seront disponibles. »

Six mois plus tard, le député Gerry Sklavounos revenait à la charge à l'Assemblée nationale : « On sait que le rapport est retenu depuis plusieurs mois sur le bureau du ministre des Finances et que le gouvernement refuse de le rendre public ».

Le ministre péquiste de l'Environnement, Yves-François Blanchet, avait répondu que l'« essentiel » de l'information était disponible dans un document de consultation remis aux parlementaires et disponible publiquement.

Gerry Sklavounos estimait jeudi dernier que l'affaire ressemble à du camouflage. « Qu'un gouvernement ait pris le rapport et décidé de faire le tri en enlevant peut-être les éléments défavorables à sa thèse, je trouve ça carrément inacceptable, c'est de la censure. »

Deux documents différents

Le Rapport du comité conjoint Québec-Alberta est différent du document rendu public avant la consultation publique lancée par le gouvernement péquiste fin 2013.

Nous avons comparé ces deux documents et des pans entiers des conclusions du groupe de travail des deux provinces ne se retrouvent pas dans le document rendu public.

Les 65 pages du rapport du comité conjoint sont une analyse très favorable du projet d'inversion du flux de la ligne 9B du pipeline d'Enbridge, prévu pour juin, ainsi qu'une considération plutôt positive pour l'industrie des sables bitumineux qui ferait saliver d'envie n'importe quel chargé de communication de compagnie pétrolière. Ce n'est pas pour rien si, selon nos informations, plusieurs compagnies, dont Suncor, tentent de s'en procurer une copie.

À la défense des sables bitumineux

Le rapport ne se contente pas de traiter de la ligne 9B d'Enbridge. Plusieurs pages sont consacrées à une « mise en perspective » du bilan environnemental des sables bitumineux et aux efforts du gouvernement de l'Alberta pour protéger la qualité de l'eau, des sols et de l'air.

« La population et certains groupes environnementaux critiquent l'extraction du pétrole à partir des sables bitumineux », lit-on dans le document avant de relativiser les conséquences de cette industrie.

« Les émissions de GES [gaz à effet de serre] provenant de l'extraction ne représentent qu'une partie des émissions totales reliées à l'utilisation du pétrole. En effet, entre 70 et 80 % des émissions de GES proviennent des gaz d'échappement des véhicules ». On souligne aussi les efforts de l'Alberta pour diminuer les gaz à effets de serre induits par l'exploitation des sables bitumineux. « [...] Entre 1990 et 2010, l'industrie des sables bitumineux a réduit de 26 % ses émissions de GES par unité de production ».

Et on souligne aussi que « le projet d'Enbridge ne peut à lui seul être tenu responsable des problèmes environnementaux découlant de l'exploitation des sables bitumineux ».

D'importants avantages économiques?

C'est le coeur du rapport. Le Québec expose « les avantages économiques significatifs » qu'apporterait un approvisionnement de la province en pétrole de l'Ouest.

Premièrement, le coût moins élevé du baril par rapport au pétrole d'outre-mer permettrait de réduire la facture et donc d'améliorer la balance commerciale. Le rapport parle d'« un approvisionnement sécuritaire à coût avantageux ».

Le document fait miroiter des emplois et des investissements importants dans les deux raffineries québécoises de Suncor, à Montréal, et Valero, à Lévis.

Au-delà des raffineries, il s'agit d'« assurer la viabilité à long terme de la filière industrielle reliée à la pétrochimie et de lui permettre de contribuer à la prospérité du Québec ».

Un pipeline avantageux pour tout le Canada

Le projet est présenté comme un outil permettant de consolider non seulement l'économie du Québec mais aussi celle de l'ouest du pays. Un des arguments du rapport en faveur du projet d'Enbridge et de l'importance de devenir client de l'industrie pétrolifère albertaine, c'est l'« effet de rétroaction ». Acheter du pétrole du reste du Canada permettra d'enrichir les autres provinces plutôt que des pays d'outre-mer, ce qui favorisera l'achat de produits québécois par ces mêmes provinces, expliquent les auteurs du rapport.

« Le Québec, à l'instar de plusieurs provinces canadiennes, bénéficie des retombées positives de l'exploitation des ressources naturelles dans l'Ouest canadien. Cet impact ne touche pas seulement les entreprises québécoises qui opèrent directement dans l'Ouest, mais également celles qui vendent leur savoir-faire aux entreprises albertaines. » — Extrait du rapport du comité conjoint Québec-Alberta sur le projet d'inversion de la ligne 9B d'Enbridge

Indirectement, les sables bitumineux induiraient 4800 emplois permanents au Québec et des retombées fiscales de 56,5 millions de dollars par année. « Une hausse de rentrée fiscale du gouvernement qui sert à financer les programmes publics », peut-on lire dans le rapport.

La sécurité

La portion du rapport sur la sécurité consiste surtout en une reproduction des engagements d'Enbridge ainsi que des mesures et ressources existantes au fédéral et au provincial. Il n'y a pas vraiment d'analyse critique, et aucune étude québécoise n'est citée.

Il n'est aucunement mention de l'historique de déversements de la ligne 9B d'Enbridge, pourtant au nombre d'une douzaine depuis sa mise en service en 1978. Quant à la catastrophe de Kalamazoo, au Michigan, qui a entaché la réputation de l'entreprise, elle est absente du rapport.

La seule étude citée au sujet des déversements provient de l'Association canadienne des pipelines d'énergie [CEPA] : « le nombre d'incidents significatifs survenus au Canada [...] est en moyenne de 3,5 par année sur les dix dernières années [2002-2011] et ce pour un réseau de plus de 100 000 km ».

Le rapport Québec-Alberta évoque, sans s'y attarder, les craintes liées à la corrosion du pipeline âgé de 38 ans. Les auteurs avancent plusieurs arguments qui démontrent que l'utilisation de bitume dilué n'augmenterait pas les risques.

La protection de l'environnement

Concernant la traversée des cours d'eau, qui a tant inquiété le maire Denis Coderre et la Communauté métropolitaine de Montréal, le rapport n'en traite à peu près pas. Le mot « rivière » apparaît dans un seul passage où le gouvernement explique qu'Enbridge a fait appel à une entreprise privée spécialisée, Stantec, pour élaborer des plans d'intervention spécifiques aux rivières des Mille-Îles, des Outaouais et des Prairies.

En cas d'accident, tout est mis en place, selon le rapport, et les pouvoirs publics sont prêts. En théorie toutefois : « Il est du devoir de l'entreprise de s'assurer que les municipalités où passe le pipeline soient équipées et aient une formation adéquate pour répondre à des situations d'urgence », écrit le gouvernement.

Aujourd'hui dans l'opposition, le PQ a maintes fois reproché le manque de préparation des pouvoirs publics face aux risques du transport du pétrole.

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