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L'opposition accueille avec prudence le projet de loi antiterroriste conservateur

L'opposition accueille avec prudence le projet de loi antiterroriste
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Les partis de l'opposition à Ottawa veulent prendre le temps d'analyser le projet de loi antiterroriste déposé vendredi par le gouvernement conservateur avant de décider de l'appuyer ou de le rejeter.

Le chef du NDP, Thomas Mulcair, a une impression plutôt favorable du projet de loi, qui vise notamment à donner au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) de nouveaux pouvoirs pour contrer les projets de voyage de présumés extrémistes, interrompre des transactions bancaires et intervenir secrètement sur des sites web radicaux.

Le texte permettrait également à la GRC d'obtenir plus facilement un engagement à ne pas troubler l'ordre public afin de restreindre les déplacements d'un suspect. Il est prévu aussi d'allonger la période permise pour les arrestations préventives et la détention.

« Tous les partis politiques au Parlement souhaitent la même chose, c'est que les Canadiens vivent en sécurité. Alors, si le projet de loi peut faire ça tout en respectant leurs droits, il aura notre appui. Il y a déjà des éléments là-dedans que, c'est sûr, on va appuyer. Pour l'ensemble du projet de loi, on va attendre l'ensemble de notre analyse », a expliqué Thomas Mulcair.

« C'est un projet de loi qui touche et modifie cinq lois différentes au fédéral, c'est substantiel », a-t-il rappelé. « On a des équipes qui l'analysent depuis que ça a été déposé et on va prendre le temps de donner un avis circonstancié ».

À la question « le projet de loi des conservateurs va-t-il trop loin? », le chef du NPD a répondu : « Pour l'instant on n'a rien vu là-dedans qui nous permet de dire ça. Par contre, on va prendre le temps de l'analyser. Avec M, Harper, il y a toujours une petite pilule empoisonnée pour s'assurer que ça provoque un peu de controverse ».

Thomas Mulcair a soutenu par ailleurs qu'il ne suffit pas de donner plus de pouvoirs aux services canadiens de sécurité. « Est-ce qu'ils vont avoir l'argent pour le faire, est-ce qu'ils vont être aidés par les budgets nécessaires? », se demande-t-il.

Comme le NPD, le Parti libéral du Canada (PLC) veut prendre le temps d'analyser le projet de loi avant de se positionner clairement. Il en sera d'ailleurs question lors de la réunion du caucus libéral la semaine prochaine.

Cela dit, le critique du PLC en matière de sécurité publique, Wayne Easter, a indiqué que son parti soutenait « toutes mesures raisonnables » susceptibles de garantir la sécurité des Canadiens. Il a dit comprendre que les agences de sécurité aient besoin d'outils pour déjouer les complots terroristes et s'adapter aux nouvelles réalités.

Sans vouloir entrer dans le menu détail du projet de loi, Wayne Easter estime toutefois que certains éléments sont « des pouvoirs assez étendus ».

La mise en garde de Julius Grey

L'avocat Julius Grey juge que des dispositions contenues dans le projet de loi sont « redondantes », car la législation actuelle les prévoit déjà.

« N'oublions pas que si quelqu'un planifie, commet, incite à commettre un geste terroriste, c'est déjà criminalisé. Il n'est pas nécessaire d'augmenter les pouvoirs », insiste-t-il, soulignant plutôt les risques posés par ces changements à la liberté d'expression.

« La liberté d'expression est essentielle pour changer quoi que ce soit dans la société et cette liberté est conçue précisément pour permettre l'expression de choses qui dérangent, de choses qui ne font pas l'affaire de tout le monde », rappelle-t-il. « On ne peut jamais assurer une sécurité à 100 %. Dès qu'on commence à donner des pouvoirs discrétionnaires, larges, sans limites presque à des forces de l'ordre, on risque de détruire cet être délicat qu'est la démocratie », plaide-t-il.

« Quand il y a un moment où les gens paniquent, dans toutes les sociétés et dans toutes les époques, il faut faire très attention, parce que c'est précisément dans ces moments-là qu'on commet les excès et qu'on met en danger la liberté fondamentale de l'État. »

— Julius Grey

Julius Grey ne voit pas comment les nouvelles mesures envisagées auraient pu éviter les attentats de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa.

Des mesures qui ne vont pas empêcher de nouvelles attaques

Dave Charland, un ancien analyste au SCRS, pense que certaines mesures préconisées sont importantes, dont celles portant sur la perturbation de présumés actes terroristes.

Il note toutefois que le service de renseignement n'a pas d'expertise en la matière et espère que « ce pouvoir soit exercé avec prudence ».

M. Charland ne pense pas que les nouvelles dispositions auraient pu empêcher l'attaque de Saint-Jean-sur-Richelieu, « parce que dans le cas de Couture-Rouleau, son passeport a été saisi - ça, c'est une mesure de perturbation pour empêcher la personne d'aller à l'étranger. Et qu'est-ce qui est arrivé? Il a commis son acte ici au Canada ».

« Si on veut bien faire les choses, oui la perturbation, mais, par la suite, il faut qu'il y ait un suivi, il faut qu'on s'assure que l'individu ne va pas changer ses plans et décider de commettre un acte ici, au Canada », fait-il valoir.

« Il ne faut pas penser que ces mesures vont empêcher de nouvelles attaques. Ça va certainement aider certainement les services de renseignement et les policiers dans leur lutte contre le terrorisme. »

— Dave Charland, ancien analyste au SCRS

Les agents du SCRS prêts à utiliser de nouveaux pouvoirs?

Sébastien Grammond, professeur à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, soulève lui aussi la question de la formation des agents du SCRS.

« Il est dur d'apprécier toute l'étendue du pouvoir qui serait conféré au SCRS. Est-ce que les agents du SCRS sont formés pour l'exercer? Je ne le sais pas. Est-ce qu'on a quelque chose de plus précis à l'esprit? Si c'est le cas, pourquoi ne pas l'avoir écrit? Il y a beaucoup de questions derrière ce nouveau pouvoir qui est accordé », constate-t-il.

Même s'il pense que des lacunes auraient pu être cernées dans l'arsenal juridique actuel, M. Grammond trouve que ce projet de loi prévoit des dispositions qui vont « au-delà de ce qui est nécessaire ».

Il cite l'exemple de « ce fameux pouvoir de prendre des mesures indéterminées, pourvu qu'elles soient autorisées par un juge, pour nuire aux activités terroristes ».

« Je ne sais pas, poursuit-il, si on avait vraiment besoin de ce genre de choses. Il y a déjà un régime très élaboré d'infractions relatives au terrorisme qui était prévu dans le Code criminel. Est-ce que c'était insuffisant? »

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