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Une centaine de municipalités ont acheté leur église... pour en éviter la démolition

Une centaine de municipalités ont acheté leur église... pour en éviter la démolition
L'église de La Motte, en Abitibi

Devant la désaffection des fidèles, de nombreuses municipalités du Québec rachètent leurs églises catholiques afin qu'elles poursuivent leurs activités de culte. Dans ces villages, la religion vit littéralement aux crochets de l'État.

L'Église catholique vit une lente agonie au Québec. «On ferme deux églises par semaine», lance Denis Boucher, chargé de projet au Conseil du patrimoine religieux du Québec. Il exagère à peine: 92 édifices religieux ont été vendus en 2014, une année record. Et c'est sans compter celles qui sont obligées de louer une partie de leurs locaux pour demeurer à flot.

Environ 16% des églises du Québec ont été vendues depuis 2003, dont la moitié au cours des deux dernières années, selon les chiffres les plus à jour du Conseil. «La tendance s'accélère», souligne Denis Boucher. Si les Montréalais ont connu une vague d'églises transformées en condos au début des années 2000, les municipalités sont désormais les plus importants acheteurs. Le bâtiment est généralement cédé pour un montant symbolique d'un dollar et la municipalité s'engage à payer l'entretien, tout en conservant un accès pour les croyants.

Une centaine d'églises sont ainsi passées aux mains des municipalités. «Ce sont surtout des petits villages qui veulent garder le bâtiment le plus important sur leur territoire», dit Denis Boucher.

Sauvegarder le patrimoine

C'est le cas de Saint-Norbert, dans Lanaudière, où les citoyens ont choisi de «sauvegarder» l'église située en plein coeur du village, même s'ils n'avaient pas besoin de ses locaux. «On regarde ce qu'on pourra en faire sans que ça nous coûte trop cher. Mais c'était important pour nous de maintenir ce patrimoine», dit la directrice générale de Saint-Norbert, Lucie Poulette. La décision a été prise lors d'une réunion municipale qui a réuni une centaine de personnes.

La Fabrique (la corporation des paroissiens) a cédé l'église, en plus de remettre une somme de 60 000$ récoltés lors d'une levée de fonds pour sa rénovation. Les fidèles partageront une partie des coûts d'entretien pendant les cinq premières années. Ils pourront ensuite continuer d'utiliser l'endroit gratuitement ou à un faible coût. «S'il reste encore des prêtres pour célébrer la messe», lance Lucie Poulette, mi-figue mi-raisin.

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Signe que les temps sont durs, même le village natal du cardinal Marc Ouellet a dû convertir son église locale en centre communautaire. «Dans notre petite communauté, c'est comme notre coeur de village», dit France Rheault, agente de développement et de promotion communautaires à la municipalité de La Motte, en Abitibi-Témiscamingue.

L'église de ce petit village de quelque 450 âmes a été cédée à la municipalité pour un dollar en 2005. La Motte a ensuite investi 208 000$ pour rénover l'endroit et en faire un centre communautaire multifonctionnel. Le lieu sert désormais de salle de spectacle, en plus d'accueillir le Cercle des fermières et des exposants en été. Un local sert même de CLSC une fois par semaine. «Avant, nous devions aller à Amos», à trente minutes de route, explique France Rheault.

La messe a encore lieu le dimanche toutes les deux semaines. Puisqu'on a retiré les bancs, les fidèles prennent place sur des chaises qui doivent être déplacées pour l'occasion.

C'est le curé lui-même qui, devant le déficit de la paroisse, a proposé de céder l'église à la municipalité. La Motte a tenu un référendum pour savoir si la population acceptait de payer les frais de rénovation et d'entretien de la bâtisse. La transaction a été approuvée à 76%. «Il y a des gens d'autres religions dans le village, comme les protestants et les témoins de Jéhovah, qui se sentaient moins interpellés par la bâtisse», dit France Rheault. Elle ajoute toutefois que le centre communautaire est ouvert à tous.

L'exode des fidèles

La chute drastique du nombre de pratiquants au cours des dernières décennies fait mal aux finances du l'Église catholique. Les paroisses ne comptent plus suffisamment de fidèles pour payer la dîme, l'impôt catholique qui sert à entretenir les lieux sacrés. «On a construit ces bâtiments à une époque où la majorité de la population était pratiquante. Aujourd'hui, seuls 5% des Québécois vont à l'église», explique Germain Tremblay, responsable des relations médias à l'Assemblée des évêques du Québec.

Il rappelle que les bâtiments appartiennent aux Fabriques, des corporations locales gérées par les paroissiens, et non pas à l'Église catholique. Céder une église à la municipalité revient donc à la remettre aux citoyens qui ont payé pour sa construction. «Il n'y a pas de grand plan directeur de l'Église pour vendre ses bâtiments, dit Germain Tremblay. Les Fabriques vendent quand elles ne peuvent plus payer pour l'entretien.» Il ajoute que «le rôle de l'Église est l'évangélisation, pas de gérer des bâtiments».

Et quand elles sont vendues, les églises sont parfois laissées à des prix dérisoires. À Stanstead, l'église Notre-Dame-de-la-Merci, évaluée à 850 000$, a été cédée à des promoteurs privés pour 75 000$. Il faut dire qu'au même moment, sept églises étaient en vente en Estrie.

Au Mouvement laïque québécois, on se dit surpris de cette nouvelle tendance. «Ce sont quand même des deniers publics qu'on utilise pour tenir des cérémonies religieuses», dit la présidente du mouvement, Lucie Jobin. Si une municipalité devient propriétaire d'une église, celle-ci devrait être mise à la disposition de toutes les religions, estime-t-elle.

La Cour suprême se prononcera au printemps dans le dossier de la récitation de la prière au conseil de ville de Saguenay. Le Mouvement laïque québécois espère que le jugement fournira des balises pour encadrer la séparation de la religion et l'État, notamment les municipalités.

L'alternative serait de laisser les bâtiments à l'abandon, jusqu'à ce qu'ils deviennent dangereux et soient démolis, plaide Germain Tremblay. C'est le cas de la cathédrale de Rimouski qui est fermée aux fidèles depuis novembre dernier après qu'un morceau de plâtre soit tombé du plafond. Son avenir est aujourd'hui incertain.

Pour éviter d'en arriver là, les diocèses se sont entendus avec le gouvernement du Québec il y a une dizaine d'années pour préserver le patrimoine religieux du Québec. Ces ententes prévoyaient notamment que les bâtiments en vente seraient d'abord offerts aux organismes gouvernementaux.

Une bibliothèque dans la nef

C'est ce qui est arrivé à la municipalité de Saint-Jean-de-Dieu, dans le Bas-Saint-Laurent, où les élus souhaitaient construire une annexe à l'école du village pour y déménager la bibliothèque municipale. «Mais le ministère voulait absolument que ce soit à l'église», dit le directeur général de la petite municipalité, Normand Morency. La rénovation des lieux a coûté 200 000$ de plus que l'annexe, estime-t-il. Le ministère a accepté de hausser sa subvention et la municipalité paie un loyer annuel de 15 600$.

Les rayons de livres ont donc remplacé les premières rangées de la nef, si bien que les fidèles doivent désormais traverser la bibliothèque pour assister au service religieux. «Même si on a enlevé quelques rangées, on ne remplit toujours pas l'église, dit Normand Morency. Cette année, à Noël, il restait encore de la place.»

Si plusieurs paroissiens se sont rebiffés au départ, la bibliothèque fait aujourd'hui partie du décor. «L'architecte a utilisé le même type de matériaux que dans le reste de l'église, dit Normand Morency. Quand on est dans la nef, on dirait que ça a toujours été comme ça.»

À Montréal et Québec, de nombreuses églises sont achetées par d'autres dénominations chrétiennes plus pratiquantes et souvent liées à des communautés de nouveaux arrivants. Ainsi, 52 bâtiments ont été repris par un autre groupe religieux. Dans le quartier Loretteville de Québec, par exemple, la Mission orthodoxe roumaine a acheté l'église anglicane St-Paul. «Ils ont fait un magnifique travail, dit Denis Boucher. Ils ont vraiment sauvé le bâtiment.»

Retour aux sources

À une centaine de kilomètres de là, toujours dans le Bas-Saint-Laurent, la municipalité de Cacouna inaugurera bientôt sa nouvelle bibliothèque municipale dans les locaux de la sacristie, à l'arrière du bâtiment. L'église pourra poursuivre ses activités à l'avant.

La location de l'espace servira de subvention pour les activités religieuses. «Nous devions déménager la bibliothèque pour agrandir les locaux de la municipalité et l'église avait besoin d'argent», dit la mairesse, Ghislaine Daris. Elle-même ex-présidente de la Fabrique de Cacouna, elle savait que la survie de l'église était en péril. «Avant, 70% des citoyens payaient la dîme, dit-elle. Aujourd'hui, c'est peut-être 15% ou 20%. Si on avait attendu 5 ou 10 ans, il aurait été trop tard.»

La nouvelle bibliothèque municipale ne risque pas de déranger les fidèles pendant le service religieux: la messe est célébrée une seule fois tous les deux dimanches.

Cacouna a rénové l'endroit au coût de 498 000$ et paiera ensuite 750$ par mois pour la location des locaux. Une aubaine, croit Ghislaine Daris, qui évalue les coûts d'un nouveau bâtiment à plus d'un million de dollars. La municipalité n'a toutefois pas commandé d'étude à ce sujet.

La municipalité pourra également produire à l'occasion des spectacles à l'intérieur de l'église, une salle d'environ 800 places. «C'est beaucoup moins cher que de construire un grand bâtiment que nous aurions utilisé une fois aux deux ans», plaide Ghislaine Daris.

Pour la petite histoire, ce déménagement constitue un retour aux sources pour l'église de Cacouna. En effet, la première bibliothèque du village se trouvait dans... la sacristie.

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