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«Sœurs»: Annick Bergeron porte la parole de Wajdi Mouawad (ENTREVUE)

«Sœurs»: Annick Bergeron porte la parole de Wajdi Mouawad (ENTREVUE)
Courtoisie

Reconnu pour ses projets épiques (Forêts, Incendies, Temps), l’auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad a pris un détour vers l’intime avec le cycle Domestique. Une idée née d’une discussion avec la comédienne Annick Bergeron, au terme d’une représentation de Seuls, symbole du fils. Quelques années plus tard, il lui a confié les deux rôles de la pièce Sœurs, qui sera éventuellement suivie de Frères, Père et Mère, des œuvres témoignant du vécu des membres de la famille.

«Sœurs» au Théâtre d'Aujourd'hui

Quand l’actrice a fait remarquer au créateur à quel point le personnage de la sœur, dont on entend seulement la voix dans Seuls, était touchant et intéressant, Mouawad a décidé d’écrire sur la sororité. Il a ensuite demandé à Bergeron de rencontrer sa véritable sœur, Nayla.

« Wajdi s’est aperçu que le fait d’écrire directement sur sa famille avait quelque chose de très impudique et ça le bloquait, explique l’actrice. Je lui ai donc servi d’intermédiaire. Sa sœur et moi avons le même âge, nous sommes des aînées de famille, nous prenons soin de nos parents vieillissants et nous avons plusieurs similitudes dans nos parcours de vie. Il trouvait donc intéressant de voir comment j’allais la percevoir et faire évoluer son point de vue de petit frère. »

Étant donné que Mouawad avait débuté la création de Seuls en solitaire, il a proposé à Bergeron de faire de même. Celle-ci s’est isolée pendant trois semaines en France pour élaborer des bouts de scénarios, développer des personnages et préparer des vidéos, afin de donner naissance à l’embryon de la pièce.

À partir de ce matériau, l’auteur a écrit un texte sur les liens de sang, le rôle des sœurs aînées dans les fratries québécoise et orientale, et l’héritage des combats et des douleurs que lèguent les parents à leurs enfants.

« Même si on aimerait parfois divorcer de leur histoire, on est souvent porteur du désir de réparer nos parents et de prendre leur défense. L’une des deux femmes de la pièce veut se débarrasser du deuil de l’exil vécu par ses parents immigrants, alors que l’autre veut vivre sans la douleur imbriquée à sa langue maternelle. Ses parents d’origines franco-manitobaines ont déménagé au Québec pour vivre en français, mais comme elle travaille à l’international, la langue française est un détail. »

Sœurs métaphoriques prises au tournant de la cinquantaine, les deux femmes se rencontrent par hasard dans un hôtel d’Ottawa, où elles libéreront une parole longtemps enfouie.

« L’avocate médiatrice en conflits internationaux ignorait qu’elle portait tous ces mots en elle, alors que l’autre, une experte en sinistre pour une compagnie d’assurance, n’avait tout simplement jamais eu l’espace pour s’exprimer ainsi. Ni une ni l’autre n’ont eu la fameuse grande sœur réconfortante, puisqu’elles l’étaient pour les autres. Dans leur espèce de fatigue, se révèlent beaucoup de chagrins et de renoncements. Mais la pièce est également pleine de traits d’humour et de légèreté qui rejoignent énormément le public. »

Fait amusant, certains des spectateurs français qui ont vu Sœurs n’ont pas compris qu’Annick Bergeron interprétait les deux personnages. « On me demandait parfois pourquoi la deuxième actrice ne venait pas saluer à la fin. » Une méprise qui s’explique peut-être par une méconnaissance des traits de l’actrice et par des personnages composés avec nuances. « Outre les changements de costumes, il y a une transformation de l’accent, puisque je passe du québécois au français-libanais. Wajdi a aussi construit des langages différents pour l’une ou l’autre. Mais il y a des passages où les frontières entre les deux femmes sont plus floues. »

Loin de la grandiloquence à laquelle il est habitué, Wajdi Mouawad a douté de son écriture intimiste en cours de processus. « Il se surprenait lui-même à inclure moins de coups de théâtre et de grandes révélations. Par moments, il se demandait s’il n’avait pas besoin d’ajouter quelque chose. Mais j’insistais pour dire que non. Nous devions suivre le fil de vérité de ces femmes qui ne sont pas des héroïnes de l’histoire avec un grand H, mais des petites madames qui font leur possible. Parce qu’elles ont leur place sur scène, elles aussi. Lorsqu’il a calmé cette inquiétude, il a laissé parler ces petites voix. »

Après un arrêt au Théâtre d’Aujourd’hui, du 13 janvier au 7 février, Sœurs partira en tournée à travers la France en mars, avril et mai, en plus de visiter plus d’un festival au cours de l’été.

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