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«Orgasme du cerveau» : sur YouTube, le phénomène « ASMR » prend de plus en plus d'ampleur (VIDÉOS)

Découvrez le phénomène ASMR, les «orgasme du cerveau» sur le web

Si ces vidéos vous font de l'effet, vous prenez le risque d'y devenir accro. Si au contraire vous ne ressentez strictement rien, vous allez certainement trouver ce sujet loufoque et serez peut-être même mal à l'aise. Dans tous les cas, ce phénomène fascinant nommé "ASMR" rassemble en ligne des milliers de personnes et prend de plus en plus d'ampleur sur Youtube.

Certains évoquent des fourmillements dans le cerveau qui peuvent s'étendre jusqu'à la colonne vertébrale, d'autres un frisson intense. Parfois on parle d'un état de transe. Rien d'orgasmique a priori, mais un sentiment de plaisir qui semble transcender nos sensations habituelles.

Ces sensations portent un nom aux allures très scientifiques: ASMR, pour Autonomous Sensory Meridian Response, traduisible par "Réponse Automatique des Méridiens Sensoriels". Et pourtant, aucune preuve rigoureuse de son existence, neurologique ou psychologique n'a encore été apportée. Difficile de définir ce sentiment de plaisir qu'aux Etats-Unis, certains comparent à un "orgasme du cerveau" (braingasm). A l'occasion de la Journée mondiale de l'orgasme ce 21 décembre, Le HuffPost fait le point sur ce phénomène.

"Explosions dans la tête"

Maria, connue sous le pseudo GentleWhispering (Léger murmure), est l'une des "artistes ASMR" - c'est ainsi qu'ils se nomment - les plus populaires sur Youtube avec près de 300.000 abonnés et des vidéos regardées des millions de fois. Sur Vice, elle décrivait en 2012 cette sensation comme suit: "c'est comme des bulles dans la tête [...] C'est comme une petite explosion, et ensuite des petits éclats et de petites étoiles qui descendent le long du dos".

Sur ABC News Australia cette année, elle insistait: "Si vous pensez que les gens normaux éprouvent un sentiment de calme, en fait, nous le ressentons comme des explosions dans la tête, [...] ça ressemble vraiment à de l'euphorie". Testez-donc (pas besoin de comprendre l'anglais pour la regarder, tout est dans le chuchotement):

Vous n'avez rien ressenti ? C'est normal, tout le monde n'est pas sensible à l'ASMR. Si les vidéos sont aussi populaires, c'est qu'à en croire la "communauté" d'amateurs, les effets sont puissants. Réduction du stress, solution contre les insomnies, méthode de relaxation... sont autant de bienfaits recensés par les internautes.

Max (le prénom a été modifié), 20 ans, consommateur occasionnel de vidéos ASMR, a accepté de se confier au HuffPost. Quand il regarde une telle vidéo, il décrit ressentir "une sensation très agréable au niveau du crâne. Ça m’hypnotise. Je reste sans bouger, juste à me concentrer sur la sensation que ça me procure. Ça me détend, m'aide à m'endormir".

Tapotements, crépitements... le tout en son 3D

Pour créer cette sensation chez leurs auditeurs, les "artistes ASMR" recèlent d'astuces. La seule donnée invariable, semble-t-il, c'est le chuchotement, comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessus. Mais selon les chaînes Youtube, les triggers (déclics) varient. Murmures au creux de l'oreille grâce à des micro binoraux (en 3D), tapotements, crépitements, fausses coupes de cheveux ou manucures, pages qui se tournent... On retrouve à chaque fois au moins deux piliers: des sons bien particuliers et une concentration extrême du Youtubeur sur ce qu'il fait, comme s'il vous était entièrement dévoué.

Chacun réagirait différemment à ces sons, même si certains semblent faire l'unanimité. Célébrité ASMR en Australie, Dmitri Smith, connu sous le nom de MassageASMR, a par exemple son objet fétiche, qui semble faire craquer ses abonnés: le "Silver Soap". Il s'agit simplement d'un savon, emballé dans du plastique, dont le bruit serait si singulier que rien d'autre ne peut l’imiter. Au grand dam de Dmitri, qui a essayé moult fois de le reproduire.

Le phénomène ne cesse de croître sur Youtube, et fait de plus en plus parler de lui aux Etats-Unis (récemment, le New York Magazine, The Independent, l'International Business Time, la BBC, le Washington Post, The Independent...) sans que les études scientifiques s'en soient mêlées.

"Tout ce sujet est encore très inconnu", note sur le New York TimesBryson Lochte du National Institute on Drug Abuse, qui a écrit une thèse en neurosciences à l'université de Dartmouth sur l'ASMR l'an dernier. Essayant actuellement de publier ses recherches dans une revue scientifique, il préfère pour l'instant ne rien révéler.

Le nouveau YouPorn?

Pour tenter d'éclaircir un peu le mystère, Le HuffPost a fait réagir plusieurs personnes sur le sujet, qui ont oscillé entre amusement et profond rejet. Pour Hélène Romano, psychologue, cela ne fait aucun doute, l'ASMR "c'est un leurre, ça fait appel à la susceptibilité des gens". Même forme de rejet chez une autre psychologue, Angélique Kosinksi Cimelière: "c'est une imposture. Derrière ce terme pseudo-scientifique, il n'y a rien". Toutes deux mettent en avant les appétences culturelles des Américains, plus désireux d'expérimenter de nouvelles formes de thérapies.

Mais le principal problème que les psychologues pointent du doigt, c'est le caractère sexuel des vidéos, qui serait complètement mis sous le tapis. "L'aspect physiologique ou sexuel de ces vidéos est indéniable", nous explique la première. "Mais attention, la jouissance peut être psychique, même physique, sans être forcément génitale. On peut ressentir un bien-être centré sur soi-même qui est sexuel mais non génital. Notre société a trop tendance à confondre les deux."

La communauté nie pourtant en bloc cette assimilation de l'ASMR à la sexualité. "L’ASMR n’a rien à voir avec le sexe, affirmait sur Rue89 SirèneBio, Youtubeuse française. C’est une montée de plaisir, de bien-être, qui ne touche pas les zones sexuelles. On ne peut pas parler d’excitation; c’est vraiment un apaisement, c’est ça qu’on recherche."

(Vidéo en français, de SirèneBio)

On peut pourtant reconnaître que la séparation n'est pas toujours flagrante, notamment lorsque les vidéos mélangent habilement murmures et massages. Il existe d'ailleurs bien une communauté adepte d'ASMR NSFW sur Reddit (Not Safe For Work) mais elle est neuf fois moins importante que la communauté ASMR "purs", et ces vidéos assument clairement leur côté érotique.

Le HuffPost a malgré tout demandé l'avis d'un sexologue, Jacques Waynberg, qui est catégorique: "À partir du moment où il n'y a jamais d'orgasme, ce n'est pas sexuel. Ne mettons pas de la sexualité là où il n'y en a pas".

Ou alors hypnose et musicothérapie

Pour lui, on se situe plutôt dans l'ordre de techniques déjà connues et réappropriées. "Il y a un côté hypnose: la manipulation, les murmures, une sorte d'hallucination auditive qui se transforme en une sensation de plaisir. On se place aussi dans l'univers de la musicothérapie. C'est très clair avec ce type qui utilise des bols tibétains (Dmitri Smith, cité plus haut, ndlr), sauf que c'est un escroc, il ne sait pas s'en servir."

Et si l'ASMR était donc une sensation proche des frissons que l'on peut ressentir à l'écoute de certains morceaux de musique? Bryson Lochte, qui a écrit une thèse sur le sujet, emploie cette comparaison. Il a pu arriver à ce constat en se penchant sur des zones du cerveau déjà bien connues: "On s'est concentré sur ces parties du cerveau associées à la motivation, l'émotion et l'excitation pour enquêter sur cet effet que l'ASMR a sur le 'système de récompense' - la structure neuronale qui déclenche une hausse de la dopamine, et qui satisfait des renforcements comme la nourriture ou le sexe", détaille-t-il. Des études ont déjà prouvé que la musique pouvait déclencher l'activité de la dopamine.

Si cela s'avérerait vrai, cela n'empêcherait certainement pas les deux psychologues que nous avons interrogées de s'inquiéter de l'effet sectaire de ces vidéos. "Si des personnes fragiles tombent là-dedans, cela peut devenir dangereux", souligne Angélique Kosinksi Cimelière. "Les gens qui se sentent mal peuvent essayer de se raccrocher à un tel groupe pour ne pas être seuls", précise Hélène Romano.

Mystère de la vie

A écouter Max nous raconter comment il a découvert ces vidéos, on a pourtant du mal à croire à cette manipulation.

"D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours ressenti à un moment ou à un autre cette sensation étrange. Ça pouvait arriver à l'école, en regardant des vidéos (pas d'ASMR, ndlr)… En fait, ça se produisait principalement lorsqu'on m'expliquait ou racontait quelque chose personnellement. Lorsqu'un prof ou un ami m'explique quelque chose que je n'ai pas compris, par exemple.

L'un des plus marquants, c'est quand j'étais chez un ami et que celui-ci m'a montré sa collection de timbres en me donnant pleins de détails sur leur provenance, leur prix, etc. Concrètement, je m'en fichais pas mal de ses timbres, mais ça a provoqué cette fameuse sensation, alors je l'ai laissé parler. J'ai toujours trouvé cette sensation très agréable, et j'étais bien content quand ça m'arrivait.

J'ai mis du temps avant d'essayer de la reproduire tout simplement parce que je n'avais aucune idée de comment le faire, je ne savais pas comment ça fonctionnait. Des fois, je tombais sur des vidéos qui marchaient, alors je les re-regardais. Souvent des vidéos de gens jouant à des jeux vidéo ou donnant leurs opinions à propos d'un jeu."

Ce n'est que par hasard qu'il a découvert les vidéos d'ASMR sur Youtube. "Je traînais sur un forum de jeux vidéo. Quelqu'un avait posté une vidéo de ça, je savais pas ce que c'était alors je suis allé jeter un coup d’œil. Ça a tout de suite déclenché une sensation chez moi, et alors j'ai compris, compris que j'avais enfin mis un nom sur un des grands mystères de la vie !", raconte-t-il en rigolant.

Pourtant, il semblerait que la plupart des personnes de la "communauté" connaissent l'existence de cette fameuse sensation bien avant de pouvoir mettre un nom dessus. Alors que penser ?

Pas facile de trouver un expert en neurosciences pour discuter de ce sujet. Même si nous ne pouvons pas prétendre à l'exhaustivité de notre recherche, nous avons tenté de contacter plusieurs interlocuteurs, mais aucun n'a souhaité, ou pu être en mesure de répondre à nos questions.

En attente d'une IRM

Ginevra Uguccioni, neuropsychologue à la Pitié Salpêtrière, nous a expliqué pourquoi elle ne désirait pas être interviewée: "cette technique semble un peu étrange et je remarque qu'aucune étude sérieuse (comme par exemple à travers une IRM) n'a encore été effectuée à ce sujet. Il m'est difficile donc d'exprimer une opinion si ce n'est une opinion trop personnelle. Ce qui est sûr, c'est qu'à travers cette technique, ils induisent tout simplement un état de relaxation qui conduit bien évidemment au sommeil comme ce que fait par exemple l'hypnose. Il serait intéressant maintenant que ces personnes soient enregistrées sous polysomnographie pour comprendre exactement les mécanismes d'induction du sommeil et les effets de cette technique sur l'activité cérébrale."

Contacté par Le Parisien l'an dernier, le neurologue Pierre Lemarquis émettait toutefois une opinion allant dans le sens d'un déclenchement du système de récompense: "La mise en route probable des circuits de la récompense au niveau du cerveau entraîne un risque d'addiction". Et estimait que "notre cerveau a la capacité d'imiter le monde qui l'entoure, en particulier les actions que nous voyons, comme le bâillement". "Ce phénomène est à la base de tout apprentissage, poursuivait-il. Du coup, nous finissons par ressentir les gestes des ASMRtists comme si nous les effectuions nous-mêmes."

La première fois que cette sensation a été décrite sur Internet, c'était en 2008, sur un groupe Yahoo appelé Society of Sensationalists. La discussion, dont les interrogations portaient sur ces "sensations bizarres dans la tête" et les "picotements de tête", est restée inconnue jusqu'à ce qu'un blog soit créé en 2010: The Unnamed Feeling, La sensation sans nom.

La science aura très certainement des réponses plus précises à nous apporter dans les mois ou les années à venir. "Ce dont nous avons besoin, c'est d'études à partir d'IRM fonctionnelles et de stimulations magnétiques transcrâniennes, qui se penchent sur ce qui se passe dans les cerveaux des personnes qui expérimentent l'ASMR, par rapport à d'autres. Est-ce que leurs cerveaux sont vraiment différents, comment ?", interroge Steven Novella, neurologue de l'université de Yale.

"C'est comme les migraines, poursuit-il, on sait qu'elles existent en tant que syndrome car de nombreuses personnes rapportent la même constellation de symptômes".

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