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Jouets garçons / filles: comment en est-on arrivé à ces stéréotypes?

Jouets garçons / filles: comment en est-on arrivé à ces stéréotypes?
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Un rayon rempli de rose et de pastels pour les cadeaux destinés aux filles, un autre où règne un camaïeu de bleus, des rouges et du noir pour les jouets à offrir aux garçons. La distinction peut sembler exagérée mais elle est pourtant bien réelle dans les magasins en ces fêtes de fin d'année.

Critiquées par les associations féministes, ces pratiques ont même attiré l'attention du Sénat en France. Ce jeudi 18 décembre, sa délégation aux droits des femmes présidée par Chantal Jouanno (UDI) a publié un rapport listant dix recommandations dans le but de lutter contre ces stéréotypes dans le monde du jouet.

La situation s'est-elle particulièrement dégradée ces dernières années pour que le Sénat français décide de se pencher sur la question ou n'est-ce qu'un changement récent des mentalités qui a mené l'institution à se saisir du dossier? Le HuffPost a rassemblé quelques éléments de réponse sur ce sujet qui fait de plus en plus polémique.

Phénomène récent

Aux garçons les jouets poussant à l'action et à la réussite, permettant un apprentissage technique. Aux filles les jouets tournés vers la sphère domestique, un monde de "magie et de glamour". Cette séparation ne semble pas dater d'hier.

Et pourtant, ce n'est qu'au début des années 90 que le phénomène s'est réellement accentué. D'après Mona Zegaï, auteur d'une thèse sur la socialisation sexuée des enfants par le biais des jouets, entre "1970 et 1980, les catalogues étaient beaucoup moins marqués du point de vue du genre".

À cette époque, "on se souciait de l'égalité entre les sexes", explique la doctorante à l'AFP avec en guise de preuve un extrait de catalogue Leclerc de 1988 montrant une fille et un garçon vêtus de tabliers et en plein ménage, à côté du message "tout faire à deux c'est encore mieux" (voir ci-dessous).

» Tout le monde faisait le ménage en 1988

"Même si cela ne préjuge en rien des usages plus ou moins sexués de ces jouets par les enfants, le marketing avait moins tendance à attribuer explicitement des jouets aux filles et d’autres aux garçons", précise-t-elle au site Womenology.

Manne finacière

Aujourd'hui, "les magasins spécialisés contiennent plus de 20 000 références", fait remarquer Michel Moggio, directeur général de la Fédération des industries du jouet-puériculture. Depuis cette période où les stéréotypes étaient moins marqués, le marché du jouet a en effet explosé.

La promotion de l'égalité, elle, semble en conséquence être passée au second plan. Si pour Michel Moggio le développement de rayons "genrés" et des fameux codes couleurs répond "à un besoin du consommateur de trouver un produit rapidement", il offre aussi un avantage marketing de taille.

» Publicité Lego en 1981 (à gauche) puis en 2014 (à droite)

La segmentation permet en effet de multiplier les ventes. Comme on peut le voir avec l'exemple des publicités Lego ci-dessus (et d'autres qui ont fait parler ces derniers mois), les parents ont aujourd'hui beaucoup plus de mal à transmettre les jouets achetés pour leur fille à leur garçon, et vice-versa, et se voient donc contraints d'en racheter de nouveaux. Il y a 30 ans, les Lego se vantaient d'être unisexe, aujourd'hui ils sont déclinés dans des collections bien ciblées.

Un phénomène qui s'est aussi accentué avec la multiplications des licences clairement destinées à un sexe ou à l'autre, comme Hello Kitty ou les Tortues Ninja.

Évolution des mentalités

Si la moitié des recommandations du rapport de la délégation aux droits des femmes visent fabricants et distributeurs de jouets, l'autre moitié est destinée à l'ensemble des acteurs influençant les choix des enfants.

Les parents — mais aussi enseignants et autres personnes encadrant les plus jeunes — jouent en effet un rôle important dans l'évolution de la situation. Si la segmentation du marché a dans un premier temps été "subie", "les lignes bougent", estime Franck Mathais, porte-parole de La Grande Récré.

"Certains parents ont commencé à réclamer des jouets d'imitation [dînette, boîte à outil, ect., ndlr] mixtes, leurs garçons ayant eux aussi envie de passer l'aspirateur", explique-t-il. Preuve, selon lui, que les fabricants savent "être à l'écoute", la marque Tim et Lou a récemment été créée au sein de l'enseigne et propose outils de bricolage ou de cuisine s'adressant aux filles comme aux garçons, avec un packaging plus neutre (blanc, orange, violet).

» Chacun peut cuisiner, bricoler ou pouponner chez U

En France, les supermarchés U ont notamment fait parler d'eux ces dernières années grâce à quelques parties de leurs catalogues mettant en scène des garçons avec des poupons ou des filles avec des camions (voir ci-dessus).

"Retour en force des conservatismes"

"Tous les parents ne se comportent pas de la même manière", résume cependant Mona Zegaï sur Womenology. "Certains se préoccupent peu [des normes de genre] pour eux – cela ne les gêne pas que leur enfant joue avec des jouets socialement associé à l’autre sexe – mais feront tout de même attention à ne pas en acheter à leur enfant ou que celui-ci ne les apporte pas à l’école car ils savent qu’il pourrait être stigmatisé et exclu."

D'autres sont particulièrement attachés à ces normes "et feront en sorte que leurs enfants ne reçoivent que des jouets qui leur semblent 'adaptés', c’est-à-dire conformes à leur sexe", assure la doctorante qui relève par ailleurs "un retour en force de certains conservatismes qui produit une banalisation des stéréotypes de genre".

Phénomène notamment mis en évidence en 2014 avec la croisade contre une prétendue "théorie du genre". Pour lutter contre les stéréotypes filles/garçons, le gouvernement avait lancé des "ABCD de l'égalité" à l'école mais des mouvements conservateurs, proches des opposants au "Mariage pour tous" et parfois de l'extrême droite, y avaient vu une volonté de nier les différences sexuelles.

» Najat Vallaud-Belkacem revient sur l'ABCD de l'égalité

D'où le souhait de la délégation du Sénat de rendre obligatoires des modules de sensibilisation aux stéréotypes dans toutes les formations ayant un lien avec l'encadrement des enfants et que soit lancée une campagne nationale pour sensibiliser professionnels et consommateurs à la question de l'égalité.

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