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Jean-Philippe Baril Guérard: champion olympique de la réplique assassine (ENTREVUE)

Jean-Philippe Baril Guérard: champion olympique de la réplique assassine (ENTREVUE)
Courtoisie Jérôme Guibord

Aussi polyvalent que talentueux, l’acteur Jean-Philippe Baril Guérard vient de publier son premier roman, Sports et divertissements, où il donne la parole à une jeune comédienne décrite comme « une vieille salope superficielle qui détruit tout sur son passage », et il assistera sous peu à la première de sa pièce Tranche-cul, où il livre une attaque en règle à la suprématie de l’opinion.

Sports et divertissements est une ode à la phrase coup-de-poing, un concentré de superficialité volontaire et une orgie de scènes mémorables. On y suit des comédiens dans la vingtaine qui ont « tout » : la beauté, la jeunesse, l’argent, le talent, le temps. Leur cul est bien assis sur la pyramide de Maslow. Mais cette tour est construite sur un vide profond, où se fait entendre l’écho de leur vacuité, de leur incapacité à être seuls et de leur besoin d’attention.

Extrait : « … je veux avoir tout et rendre tout le monde jaloux, que les sportifs envient mes soirées arrache-gueule et que les party animals jalousent mes muscles et mon teint, je veux le sain et le malsain en même temps, je veux le début et la fin, le soir et le matin. »

Gare aux lecteurs physiquement complexés : les mots de Baril Guérard risquent d’être difficiles à digérer. « Quand on met toutes ces formes de jugement sur papier, on réalise à quel point la pression qu’on exerce sur soi est affligeante. Ce n’est pas vrai que ça vient de l’extérieur. On accepte de s’y soumettre. Moi-même, je suis bourré de complexes et j’ai peur de devenir gros et laid. Avec le roman, mon but n’est pas de complexer les gens, mais pour en parler, il faut que ça fasse mal un peu. »

Ses victimes préférées : les comédiens. « Je me suis plu à les asperger de fiel puisque j’en suis un. » On l’a vu au théâtre (Contes Urbains, L’École des femmes, Cyrano de Bergerac) et dans plusieurs publicités. Il est la voix de Radio-Canada Première et il a doublé Sam Claflin (Finnick) dans Hunger Games et Kit Harrington dans Pompéi.

« Je n’ai pas un mépris total pour les acteurs. Mais avec tous les préjugés répandus sur eux, on arrive à dégager un langage commun avec les lecteurs. C’est vrai que la tête peut nous enfler à force de se faire complimenter sur notre apparence, qui au cœur de notre métier. »

« Même Sophie Desmarais, avec son énorme talent, ne serait pas Sophie aux yeux des gens sans son beau visage. C’est affolant! On n’a pas le contrôle sur tout. On fait ce qu’on peut pour maintenir une forme de beauté, de charisme et de désinvolture, pour ne pas avoir l’air d’essayer trop fort, mais une grande partie nous échappe. »

Ce miroir déformant passe à travers les yeux de l’actrice qu’il a imaginée en pensant à son amie comédienne Catherine Brunet (Le Monde de Charlotte, Ramdam) : enfant actrice, allant à l’école 90 jours par année, tournant le reste du temps et pouvant parfois payer deux mois de sa vie avec dix heures de doublage.

« Évidemment, Catherine n’a pas l’odieux de mon personnage, mais son parcours est atypique. Le personnage, au début de la vingtaine, a fait tellement de choses dans sa vie qu’elle se demande ce qu’elle peut cocher de plus sur sa Bucket List, mais avec une forme de déni, ponctuée d’éclats de lucidité. La plupart du temps, elle remplit le vide en méprisant les autres. »

Étourdie à coup de souleries, de drogues, de baises décevantes et d’activités physiques à la chaîne, elle s’occupe également en envoyant des flèches empoisonnées au milieu culturel. Elle juge les comédiens qui ne travaillent pas et les musiciens qui se la pètent. Affirme que le bon goût est en voie de disparition en télé, au cinéma et au théâtre. Et déclare que le buzz se substitue trop souvent à la qualité.

Des critiques qui ne reflètent pas tout à fait la vision de l’auteur. « Mon personnage est beaucoup plus acerbe que je le suis. Mais je vois trop d’œuvres artistiques, souvent au théâtre, où je sens que le créateur a fait un show juste parce qu’il avait envie de faire un show, et non parce qu’il était porté par quelque chose à dire. Je peux excuser bien des maladresses s’il y a quelque chose en arrière. Je crois aussi que le public ne fait pas travailler suffisamment son esprit critique. Il suffit de dire qu’un show est bon pour que plusieurs le croient. »

L’esprit critique se retrouve au cœur de Tranche-Cul, la pièce qu’il a écrite, mise en scène et autofinancée. Sans histoire ni courbe dramatique, le texte est construit de manière à éveiller les consciences. Alors que les 15 comédiens sont assis au théâtre, l’un d’eux lance un commentaire négatif à la placière et ouvre la voie à une succession de monologues cinglants.

« Au début de chaque scène, il y a un nouveau visage et un nouveau propos, pour que le public soit vierge face à l’acteur. On se demande si on adhère ou non, alors que les personnages finissent tous par dire de la marde. C’est le festival du raccourci intellectuel et des argumentations qui n’ont aucun sens, mais qui sont présentées de manière séduisante. Je veux créer un sentiment de culpabilité pour que les gens réalisent qu’ils ont manqué de rigueur intellectuelle en acceptant certaines idées. »

Baril Guérard n’a rien contre l’opinion comme telle, mais contre son influence grandissante. « Dans les médias sociaux et traditionnels, l’opinion prend de plus en plus de place et oblitère les faits. Il y a présentement une anarchie de la prise de parole où tout le monde a le droit de dire ce qu’il veut et où l’opinion d’un ignorant est présentée comme étant aussi intéressante que celle d’un expert. »

« Plus on laisse l’opinion prendre le dessus sur les faits, plus on dévalue la profession des journalistes. Avec le temps, on va être uniquement gavés de communiqués de presse, mais ce n’est pas tout le monde qui a la rigueur intellectuelle pour départager le vrai du faux. Je trouve ça dangereux. »

La pièce Tranche-Cul sera présentée à l’Espace Libre du 4 au 20 décembre 2014. Cliquez ici pour plus de détails.

Le roman Sports et divertissements (Les Éditions de ta Mère) est présentement en libraires.

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