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Espagne: les images de l'expulsion de Carmen, 85 ans, émeuvent tout un pays (PHOTOS)

Espagne: les images de l'expulsion de Carmen, 85 ans, émeuvent tout un pays (PHOTOS)
Andrés Kudacki / AP

Carmen, 85 ans, est assise sur une chaise à côté de son lit. D'une main, elle tient sa canne. De l'autre, elle essuie ses larmes. Au fond de la pièce, sur un mur blanc, deux tableaux. Dans un cadre, l'écusson du Real Madrid. Peut-être un souvenir de l'époque où le football avait encore de l'importance pour Carmen.

Ce jour-là, vendredi 21 novembre, il n'en a plus aucune. La vieille dame est sur le point d'être expulsée et Andres Kudacki, photographe de l'agence Associated Press, est là pour la suivre et témoigner de ce moment à travers ses clichés. Des clichés qui seront diffusés et commentés par tous en Espagne dès le lendemain car ils révéleront la réalité brutale d'une vieille dame en train de perdre son appartement dans le quartier à l'identité fière et marquée de Vallecas, dans le sud de Madrid.

Le fils de Carmen avait emprunté 70 000 euros (98 000$) à un particulier, se servant du bien de sa mère en guise de garantie. Incapable de rembourser cette somme une fois l'échéance arrivée, ce dernier a dû se résigner à laisser la maison au prêteur pour qu'elle soit vendue aux enchères. Son nouveau propriétaire a ensuite voulu prendre possession des lieux et a donc réclamé l'expulsion.

Kudacki, qui photographie des expulsions depuis deux ans et demi, est arrivé très tôt sur les lieux ce vendredi. Il était 6h et, à ce moment déjà, une patrouille de police surveillait le domicile de Carmen. La vieille dame y était réfugiée avec son fils et deux agents de la PAH (Plataforma de Afectados por la Hipoteca), une organisation qui s'oppose aux expulsions. "Sont ensuite arrivés huit fourgons de police et les rues ont été bloquées par du personnel antiémeute", raconte Kudacki au HuffPost.

"La scène était terrible"

Le photographe explique que de plus en plus de gens sont ensuite venus protester contre l'expulsion de Carmen et que les tensions avec la police ont commencé: "J'étais à l'intérieur de l'appartement et on entendait tout." C'est à partir de ce moment que Kudacki a pris les photos de cette femme, désespérée au beau milieu de chez elle. Il a alors pris de nombreux clichés mais n'a finalement diffusé que ceux que vous pouvez voir en fin d'article. "La scène était terrible, dramatique".

"Carmen n'arrêtait pas de répéter qu'elle avait travaillé toute sa vie dans les champs, qu'elle avait déjà perdu son mari, qu'elle avait dit à ses amis qui l'accompagnait à la messe et qui priait pour elle que rien ne pourrait la sauver. C'est une personne qui a travaillé toute sa vie et qui se retrouve maintenant à tout perdre ou n'avoir quasiment rien", déplore photographe qui raconte que Carmen avait demandé à finir sa vie dans cet endroit et qu'on ne le lui prenne qu'après sa mort.

Son fils, détaille Kudacki, avait récemment commencé à travailler comme télévendeur après avoir été au chômage. "Elle a pris ce qu'elle pouvait, pas tout. Elle a emmené le maximum, son fils aussi, et l'appartement est resté presque intact."

"Nous sommes des témoins, pas des ennemis"

Le photographe souligne qu'en laissant les lieux, il a lui-même été confronté à des tensions avec la police. "Le chef de l'intervention est venu me voir et a donné deux coups dans mon appareil photo puis a levé le poing comme s'il allait me frapper au visage. Je lui ai demandé des explications et il m'a répondu: 'Si tu veux porter plainte, vas-y, mais tu ne feras pas de photo de moi'".

À leur sortie, la tension est montée d'un cran dans la rue. Kudacki assure que les activistes ont ensuite essayé de s'approcher de l'endroit où était emmenée Carmen et dit avoir profité de cette occasion pour se rendre dans un appartement voisin et continuer à faire ses clichés. C'est de là qu'il a photographié la police qui faisait rentrer un militant menotté dans un fourgon. "Les policiers étaient très violents" se rappelle-t-il.

En marge de son récit, Kudacki tient a préciser que, dans de nombreux cas, ni la police ni le gouvernement ne comprennent son travail et qu'ils voient seulement les photographes comme des "ennemis". "Nous sommes uniquement là en tant que témoins, pas pour jouer les activistes ou pour prendre partie. Et eux nous considèrent comme des ennemis. Nous montrons seulement qu'il y a une problématique, nous essayons de refléter ce qu'il s'est passé et la police nous met des bâtons dans les roues".

Au moment de conclure, le photographe insiste sur le pouvoir des images. Une photo puissante "fait bien plus réfléchir et permet de continuer à faire vivre dans l'imaginaire ce qu'il est en train de se passer". Quelque chose d'indéniable quand on voit les clichés ci-dessous.

Le club de football Rayo Vallecano s'est engagé à aider Carmen. Une rare réaction dans un pays frappé, depuis le début de la crise en 2008, par des milliers d'expulsions de propriétaires ne pouvant plus rembourser leurs dettes (sur la seule année 2013, les banques ont saisi 49 694 logements, soit 11,1% de plus qu'en 2012, auprès de propriétaires surendettés qui ont dû être expulsés ou donner leurs clés pour solder leur ardoise, selon la Banque d'Espagne).

Sur le réseau social Twitter, les hashtags (mots-clés) "#YoSoyCarmen" (#JeSuisCarmen) et "Rayo Vallecano" figuraient parmi les sujets les plus discutés dimanche matin.

"Non seulement moi mais aussi l'encadrement, les joueurs, le club: dans la mesure de ce qui nous sera possible, nous allons aider cette dame pour qu'elle trouve un endroit où vivre dignement et qu'elle ne se sente pas seule", avait annoncé samedi Paco Jemez, entraîneur du Rayo Vallecano, l'un des clubs aux budgets les plus modestes de la première division espagnole. "Cette situation en particulier, parce que c'est une dame du quartier, nous concerne en tant que club", avait-il poursuivi, le Rayo devant préciser cette semaine l'aide concrète qu'il lui apportera.

Après l'annonce du club, la maire de Madrid, Ana Botella, et le ministère espagnol de l'Economie ont chacun annoncé qu'ils tenteraient de trouver une solution pour l'octogénaire, hébergée en attendant par son petit-fils.

Regardez les photos d'Andrés Kudacki :

Andrés Kudacki (AP)
Andrés Kudacki (AP)
Andrés Kudacki (AP)
Andrés Kudacki (AP)
Andrés Kudacki (AP)

Cet article initialement publié sur Le Huffington Post Espagne et a été traduit de l’espagnol.

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