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Le journal d'un djihadiste né à Montréal

Le journal d'un djihadiste né à Montréal

Exclusif - Ils ont tout laissé derrière, pays, travail, famille, pour aller combattre en Syrie et peut-être mourir au nom d'Allah. De plus en plus de jeunes djihadistes d'un peu partout dans le monde font la une des médias. Mais voici un jeune combattant, né à Montréal, dont vous n'avez pas entendu parler : Sami.

D'après un reportage de Chantal Lavigne

Le compte Facebook de Sami, maintenant fermé, nous offre une fenêtre sur son expérience. Et des indices pour retracer son parcours vers le djihad.

Le 2 avril 2013, une photo d'Istanbul orne la page Facebook du jeune Montréalais. Sami est parti faire le djihad en Turquie. Facilement accessible, ce pays est la porte d'entrée principale pour les étrangers qui veulent aller combattre en Syrie. Un voyage motivé par son retour vers l'Islam, qui serait survenu en 2011.

Sur Twitter, il écrit que « l'Islam ne doit pas être une mode, mais un mode de vie ».

À cette époque, il est actif sur les réseaux sociaux, sous le pseudonyme d'El Sami, et sous son nom de combattant, Abu Safwan (al Kanadi, soit « le Canadien »). De nos jours, le djihad se fait aussi sur le front numérique.

Sur Facebook, on voit que Sami aime plusieurs mosquées à Montréal, notamment à Pierrefonds, où nous avons rencontré une personne qui le connaissait « depuis qu'il est devenu religieux ». « C'est à partir non pas de son adolescence, mais de sa période adulte. C'est à partir de là qu'il a changé, explique-t-elle, parce que je sais qu'avant il n'était pas comme ça. »

Un membre de sa famille confirme d'ailleurs qu'« avant de revenir vers la religion, il ne parlait jamais de politique. Il a été élevé loin de tout ça ». Mais son discours va changer.

Retour sur sa vie et ses déboires à Montréal

Né à Montréal en 1998 d'une mère québécoise et d'un père syrien, Sami vit avec son père après le divorce de ses parents, un an et demi après sa naissance.

Peu de gens semblent se souvenir de son passage à l'école secondaire Jean-XXIII de Dorval. Il quitte tôt la maison familiale.

Dernière adresse connue : Pierrefonds. Il passe d'un emploi à l'autre. De temps en temps, il appelle son père pour donner des nouvelles ou quand il a besoin d'argent. Un proche précise qu'il avait « beaucoup de problèmes », notamment de drogues et d'alcool. Des problèmes avec la justice aussi, avons-nous découvert.

En 2010, il participe à une agression brutale. À la suite d'une querelle dans un bar, ses complices et lui entrent chez un couple en fracassant la porte. Ils attaquent l'homme violemment. « C'est Sami le plus violent dans cette histoire-là. C'est Sami qui m'a donné les coups les plus violents », raconte la victime. Le jeune homme est déclaré coupable. Selon le juge, le motif de l'agression reste nébuleux. Il soupçonne un lien avec le trafic de stupéfiants.

En avril 2013, il doit comparaître en cour pour une autre accusation de voies de fait, mais il ne se présente pas. Un mandat d'arrestation est lancé contre lui.

L'éveil religieux

Le spécialiste de la radicalisation et des médias sociaux Benjamin Ducol, chercheur à l'Université Laval, a interviewé plusieurs jeunes djihadistes et leur famille, surtout en France et en Belgique. Il s'est penché sur les comptes de Sami.

« Chez toutes les personnes quasiment qui partent du côté de la Syrie pour rejoindre des groupes djihadistes, on a toujours cette phase d'éveil religieux, où les gens finalement vont redécouvrir leur religion ou vont se convertir directement à l'Islam, dit-il. C'est un peu une sorte de bricolage identitaire qui s'opère chez ces gens-là. Ils apprennent la religion de manière rapide, de manière extrêmement superficielle. »

Selon la personne rencontrée à la mosquée de Pierrefonds, Sami dit être parti parce qu'il est syrien d'origine, et qu'il était contre ce que le président Bachar Al-Assad faisait contre les civils. « C'est représentatif de la première vague de combattants volontaires occidentaux qui sont partis autour de 2012 jusqu'à début 2013 parce que l'Occident ne faisait rien pour aider à combattre le régime de Bachar Al-Assad », affirme Benjamin Ducol.

Le compte Facebook de Sami nous en dit peu sur la façon dont il aurait été recruté. Mais sur des forums plus discrets que Facebook ou Twitter, les aspirants djihadistes peuvent entrer en contact avec ceux qui sont déjà sur le terrain.

« La plupart du temps, les seules indications qu'ils vont recevoir, c'est [de] prendre un billet d'avion pour la Turquie, se rendre à la frontière. [...] Et dans ces villes frontalières, on a tout un tas de passeurs, des gens qui sont chargés de faire passer ces combattants occidentaux du coté de la Syrie », ajoute M. Ducol.

Une fois passé la frontière, Sami envoie des photos en tenue de combattant, ce qui lui vaut des admirateurs à Montréal. « Que Allah te donne le paradis. [...] Tu es un exemple frère pour nous », peut-on lire dans des commentaires parus sur les réseaux sociaux.

Sami se retrouvera avec le Front al-Nosra, la branche syrienne officielle d'Al-Qaïda, mais on ne sait pas trop quel est son rôle précis au sein du groupe. Au début, Sami laisse entendre que sa vie quotidienne est plutôt agréable.

De mai au 26 novembre 2013, l'engagement de Sami dans le djihad s'affermit. En janvier, il met en ligne une vidéo où on le voit brûler son passeport canadien, avant de le prendre pour cible. Il n'est pas le seul djihadiste à poser ce geste sur Internet et à rompre symboliquement les liens avec le pays d'origine.

Affrontements entre groupes rebelles

Sur Facebook, Sami énumère les batailles livrées par sa brigade dans le nord-ouest de la Syrie.

Le groupe de Sami, le Front al-Nosra, participe notamment à une vaste offensive contre les troupes de Bachar Al-Assad dans la région de Latakia, où il semble être basé. Mais les succès de son groupe, la branche syrienne Al-Qaïda, sont de plus en plus éclipsés par l'avancée fulgurante du groupe armé État islamique (EI).

Le chef de ce groupe, Abou Bakr Al-Baghdadi, vient d'annoncer la création d'un nouvel État islamique, dans les régions conquises en Syrie et en Irak, dont il se proclame le calife. Il ordonne à tous les musulmans de lui prêter allégeance et presse les djihadistes du monde entier à venir combattre pour la cause. Son appel semble avoir été entendu. Sur Twitter, des Canadiens disent être en route vers la Syrie pour joindre le groupe armé État islamique.

Au cours des mois qui vont suivre, l'EI confronte le monde à des images d'une rare violence : massacres, viols collectifs, crucifixions et décapitations hautement médiatisées.

Le profil de djihadistes étrangers change, selon le chercheur Benjamin Ducol, « ce n'est pas innocent. On essaie d'attirer des gens pour qui ce message là va résonner. Parce qu'ils ont une appétence particulière pour ce type de choses, soit parce qu'ils sont déjà dans une spirale de violence, soit ici, soit ailleurs ».

La majorité des combattants étrangers qui se rendent maintenant en Syrie ou en Irak se joignent à ce qu'il considère comme le camp gagnant : l'EI.

Sur son compte, Sami évoque aussi les batailles entre groupes rebelles. Au printemps 2014, il affiche sur Facebook une vidéo de combattants capturés par son groupe al-Nosra. Des hommes terrorisés, qui pensaient qu'ils allaient affronter les troupes du régime de Bachard Al-Assad, pas d'autres rebelles musulmans, souligne Sami.

Juste avant l'été, Sami publie des photos de médicaments. Il dit que l'approvisionnement devient difficile et que son groupe manque d'argent.

Puis, début août 2014, son principal compte Facebook est fermé. Notre fenêtre numérique sur sa vie de djihadiste disparaît.

L'équipe d'Enquête a toutefois eu des nouvelles récentes de lui. Après son congé de l'hôpital, il aurait été hébergé dans une maison sécurisée à Antakya, en Turquie. Un contact au sein d'al-Nosra affirme qu'il est toujours avec ce groupe et qu'il est retourné en Syrie. Mais rien n'est certain. Notre correspondante dans la région, Marie-Eve Bédard, s'est entretenu cette nuit avec Sami : lisez son article sur ICI.Radio-Canada.ca un peu plus tard aujourd'hui.

La GRC s'intéresse au cas de Sami. S'il revenait au pays, il pourrait s'exposer à des poursuites en vertu de la Loi sur la lutte contre le terrorisme, car le Front al-Nosra fait partie des organisations visées.

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