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Le cauchemar des femmes prisonnières de l'État islamique

État islamique: des centaines de femmes en otage, vendues ou violées
Radio-Canada

Toutes n'ont pas réussi à fuir. Des centaines de femmes yézidies restent aux mains du groupe armé État islamique, retenues en otage, vendues ou violées.

Un reportage de Marie-Ève Bédard, envoyée spéciale en Irak

Ils se sont installés un peu partout dans le Kurdistan irakien. Dans des camps de fortune exposés aux tempêtes de sable, dans des édifices en construction, sous les ponts. Avant d'arriver là, les dizaines de milliers de Kurdes de la minorité yézidie ont vécu le cauchemar de l'isolement total sur les hauteurs du mont Sinjar : la peur, la fin, la soif.

Ils savent aussi toute l'horreur à laquelle ils ont échappé en fuyant le groupe armé État islamique (EI). En chemin, ils ont perdu un fils, un frère, un père, des familles entières.

À l'urgence de l'hôpital de Duhok, nous rencontrons Samia, en détresse psychologique. Elle aussi a échappé à l'EI, mais pas avant avoir été faite prisonnière.

Elle a quinze ou seize ans, elle ne sait pas exactement. D'une voix douce, le regard baissé, elle raconte son calvaire.

« Des hommes armés de l'EI sont arrivés alors qu'on se préparait à fuir. Ils ont séparé les hommes des femmes, les jeunes des vieux. Ils ont emmené les jeunes femmes en laissant les vieilles derrière. Ils ont seulement pris celles qui étaient jeunes et belles. » — Samia

Samia dit avoir été transportée d'une ville à l'autre comme du bétail avec d'autres prisonnières avant d'aboutir à Falloujah à environ 500 km de chez elle. À chaque escale : l'occasion pour des combattants de se choisir une femme dans le lot des captives.

« À Mossoul, l'émir local de l'organisation de l'EI a choisi la plus belle pour lui et une autre pour son assistant. C'était un cauchemar. J'ai pensé plusieurs fois me suicider, mais je ne l'ai pas fait pour mes parents et mon frère. » — Samia

Samia affirme ne pas avoir été violée, contrairement à de nombreuses autres femmes prisonnières avec elle. On a voulu la convertir de force à l'Islam et la marier à un homme de Falloujah. « Quand j'ai refusé, ils m'ont battue violemment. Heureusement, ils ne m'ont pas violée, mais j'ai vu les femmes être emmenées et mes amies m'ont dit qu'elles avaient été violées », témoigne-t-elle.

Il faut dire que la peur d'être stigmatisé empêche beaucoup des victimes et de leur famille de parler.

Des centaines de femmes retenues en otage

Samia a réussi à s'enfuir, mais selon diverses sources dans la communauté, jusqu'à 1000 femmes et filles seraient retenues en otage, vendues et exploitées sexuellement.

Khider Domle, un expert sur les minorités de l'université de Duhok, est entré en contact avec de nombreuses femmes et jeunes filles yézidis qui se trouvent dans les territoires contrôlés par l'EI.

Il a recensé plusieurs des prisons où elles sont détenues : des maisons, des écoles, des bureaux dans les villes allant de Tal Afar jusqu'à Falloujah, en passant par Mossoul. Il a même parlé avec une jeune fille envoyée en Syrie.

Selon lui, elles sont au moins 3000 toujours détenues par le groupe.

« La communauté internationale ne veut pas croire qu'elles sont si nombreuses, que le problème est si criant. Mais il faut intervenir au plus vite pour libérer ces femmes avant qu'il ne soit trop tard. » — Khider Domle

Avec un réseau de contacts, M. Domle a aidé plusieurs jeunes filles à s'enfuir, dont Samia. Il s'inquiète d'avoir perdu le contact avec plusieurs de celles qu'il a réussi à localiser depuis quelques semaines.

« Avec l'intensification des bombardements aériens de la coalition internationale, nous avons de moins en moins de nouvelles. Des prisonnières nous disent qu'elles servent de boucliers humains pendant les bombardements. » — Khider Domle

Mourir plutôt que d'être prisonnier

Dans le camp de Khanke, Khaled Hossein en est venu à se dire qu'il vaut peut-être mieux pour Souad, sa fille, qu'elle meure dans un bombardement que de rester prisonnière des combattants de l'EI.

Quand il s'est enfui avec sa famille, Souad a pris une autre route. Elle n'a jamais pu atteindre le mont Sinjar.

« C'est ce qu'elle me dit aussi. Ces gens-là n'ont aucun Dieu, s'ils avaient un Dieu, il ne ferait pas ce qu'il font et ne trancheraient pas les têtes. Vous savez de quoi ils sont capables, comment croyez-vous que ma fille est traitée? » — Khaled Hossein, père de Souad

Pour Nassima, la mère de Souad, l'idée d'être maintenant à l'abri dans une tente alors que sa fille est en danger est insupportable, même si elle parvient à lui parler parfois au téléphone.

« Je donnerais tout, je vivrais dans la rue pour la retrouver. Chaque fois que nous parlons, elle pleure. Je lui dis de ne pas pleurer, je lui dis que le Kurdistan et les Peshmerga sont nos frères et qu'ils vont venir la secourir, que nous serons bientôt réunis. Mais dès que je raccroche, je fonds en larmes. » — Nassima, la mère de Souad

Une rançon de 10 000 $ contre sa fille

Un homme croisé dans une école de Duhok, où des centaines de yézidis s'entassent, affirme ne plus pouvoir attendre. La voix brisée par les sanglots, il explique avoir réussi à amasser les 10 000 dollars américains que l'EI lui réclame contre la libération de sa fille.

Il reste inquiet malgré tout : « L'argent, ce n'est pas le problème. On a facilement obtenu l'aide de toute la communauté. Mais on ne sait pas à qui faire confiance pour s'assurer que l'échange puisse avoir lieu Il n'y a plus personne à qui faire confiance là où elle est. »

Lui comme d'autres parents des celles qui manquent toujours à l'appel ne comptent plus que sur lui-même pour sauver sa fille, avant qu'il ne soit trop tard.

42 membres de sa famille capturés

La culpabilité de ne pas avoir su protéger les siens hante aussi Youssef Omar. Il préfère oublier le jour où 42 membres de sa famille avec qui il prenait la fuite ont été capturés.

« Les combattants de l'EI sont arrivés sur la route alors que nous fuyons à bord de voitures et d'un tracteur. Ils nous ont bloqué le passage. Nous voulions seulement sauver notre peau. Les pères ne pensaient pas à leurs fils, les enfants ne pensaient pas à leurs parents. C'est un jour que nous préférons oublier. » — Youssef Omar

Mais il ne peut oublier sa mère de 87 ans, malade, et sa fille de 16 ans. Il dit ne pas savoir quel sort elles subissent, simplement qu'elles sont toujours en vie. « Nous espérons que la communauté internationale, que les pays étrangers vont nous aider, secourir nos filles et nous les rendre. Pourquoi ne voient-ils pas notre souffrance? », se demande-t-il.

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Displaced Iraqi Sunnis, who fled their home a few weeks ago due to attacks by Islamic State (IS) jihadists in the northern city of Mosul, take shelter at the Bahrka camp, ten kilometres west of Arbil, in the autonomous Kurdistan region of Iraq, on August 23, 2014. =
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Displaced Iraqi children who fled their home a few weeks ago due to attacks by Islamic State (IS) jihadists in the northern city of Mosul, play at the Bahrka camp where they found shelter, ten kilometres west of Arbil, in the autonomous Kurdistan region of Iraq, on August 23, 2014.
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Displaced Iraqi Sunnis, who fled their home a few weeks ago due to attacks by Islamic State (IS) jihadists in the northern city of Mosul, cook at the Bahrka camp where they found shelter, ten kilometres west of Arbil, in the autonomous Kurdistan region of Iraq, on August 23, 2014.
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Displaced Iraqi Sunnis, who fled their home a few weeks ago due to attacks by Islamic State (IS) jihadists in the northern city of Mosul, wait as their food cooks at the Bahrka camp where they found shelter, ten kilometres west of Arbil, in the autonomous Kurdistan region of Iraq, on August 23, 2014.
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Displaced Iraqi Sunnis, who fled their home a few weeks ago due to attacks by Islamic State (IS) jihadists in the northern city of Mosul, take shelter at the Bahrka camp, ten kilometres west of Arbil, in the autonomous Kurdistan region of Iraq, on August 23, 2014.
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Displaced Iraqi Sunni children, who fled their home a few weeks ago due to attacks by Islamic State (IS) jihadists in the northern city of Mosul, take shelter at the Bahrka camp, ten kilometres west of Arbil, in the autonomous Kurdistan region of Iraq, on August 23, 2014.
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A displaced Iraqi Sunni woman, who fled her home a few weeks ago due to attacks by Islamic State (IS) jihadists in the northern city of Mosul, looks out of a tent at the Bahrka camp, ten kilometres west of Arbil, in the autonomous Kurdistan region of Iraq, on August 23, 2014.

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