Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Betty Bonifassi et le groove des chants d'esclaves (ENTREVUE)

Betty Bonifassi et le groove des chants d'esclaves (ENTREVUE)
Courtoisie

Elle a l’une des plus belles voix du Québec. Du moins l’une des plus singulières. Après avoir fait grande impression avec les projets Beast, Les Triplettes de Belleville de Benoît Charest ou encore sur le Chill ‘Em All de Champion, Betty Bonifassi a pris la musique à bras-le-corps pour enfin créer un album à elle, qui s’inspire de l’espoir et du combat pour la liberté des esclaves américains.

Bien avant la poignée de représentations du spectacle Chants d’esclaves, chants d’espoirs proposées depuis quelque temps dans certaines villes du Québec (dont à Montréal dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal), Betty Bonifassi s’est passionnée pour la culture noire. Et cet intérêt très personnel est devenu une source créatrice fondamentale dans ce disque homonyme qui paraît cette semaine.

Dans les premières minutes de la rencontre, elle n’hésite pas : « Cet album, c’est moi du début à la fin. »

Assise dans un fauteuil d’un café de la rue Sainte-Catherine, les yeux grands ouverts, Bonifassi raconte à quel point elle s’est attachée au personnage d’Isabeau dans la saga Les passagers du vent, série de bandes dessinées mythiques de François Bourgeon, dont le premier tome est paru en 1979.

L'album Betty Bonifassi.

Elle explique ensuite la signification toute particulière d’un projet théâtral (qui remonte à plus de 15 ans) impliquant l’œuvre Des souris et des hommes de John Steinbeck (1937). On avait demandé à Betty Bonifassi de créer une musique inspirée des années 30. Durant une recherche étoffée, la chanteuse découvre notamment les enregistrements des musicologues américains Alan Lomax et de son père John, qui sont des œuvres du folklore américain jusqu’alors tenues en vie par la transmission orale. Parmi cette foisonnante réserve de chansons, certaines sont de véritables work songs d’esclaves…

« En creusant, j’ai aussi trouvé des slave songs. Dans une vente de garage, je suis tombée par exemple sur un album qui s’appelle Negro Songs of Protest, des pièces enregistrées par un ethnologue britannique en 1922. Il est allé rencontrer des hommes dans une prison du sud des États-Unis. Là-dedans, il y a entre autres le chant qui est devenu la pièce No Heaven, faite avec Champion. J’ai tout appris par cœur. Il n’y avait aucune musique. Mais je trouvais ça groove, je trouvais ça soul. »

On pourrait croire qu’il est improbable de transposer en matière musicale tangible cette démarche intellectuelle initiale. Comme si l’isolement, la douleur et la colère engendrés par l’esclavagisme seraient impossibles à incarner en chanson tout en intéressant le public. Pourtant, Bonifassi est convaincue du contraire. Cette forme d’art, qui est devenue pour les esclaves un exutoire et un symbole d’unicité dans l’adversité, renfermait de vrais trésors.

Les gandy dancers

La première chanson de l’album intitulée Prettiest Train évoque ces hommes positionnés en rangée frappant le sol de leur pioche. Une cadence qui était souvent accompagnée d’un chant transmis oralement d’une personne à une autre. La motivation? Garder le rythme et oublier du même coup ce labeur obligé. « Cette image que l’on voit souvent dans les films (elle cite O Brother, Where Art Thou?, des frères Cohen), ces hommes cordés, on les appelle gandy dancers. Bien d’autres appellations sont nées entourant l’appel au travail. On a également les work songs ou encore les field songs (au champ). Tout un art s’est donc développé autour du travail…»

Selon l’artiste de 43 ans, l’esclavagisme humain est comme « une épée de Damoclès », il peut tomber n’importe quand. Un mouvement social qui met souvent en opposition les riches et les pauvres. « Ce n’est pas seulement un phénomène du passé. Ce thème à une résonnance jusqu’à nous. En ce moment, il y a des effluves de l’esclavagisme un peu partout sur la planète. Ici et là, ça pue la merde. »

De tous les chants croisés sur sa route, Bonifassi en a conservé une vingtaine. « J’ai retenu ceux qui rejoignaient cette envie de relecture électro motown. J’ai gardé ceux qui groovaient plus, ceux qui pouvaient s’adapter mieux à la musique.»

D’autres hommes

Il y a deux ans, le bassiste Jean-François Lemieux (coréalisation avec Alex McMahon, arrivé plus tard) est embarqué dans le projet. Ils ont écrit pendant un an et demi. Ensuite, la production a été complétée avec l’aide du batteur Benjamin Vigneault et du fondateur et président de la boîte L-A be, Louis-Armand Bombardier.

Au sujet du spectacle, elle continue de le peaufiner au fil du temps. « Le concert évolue toujours. Il n’a rien de moralisateur ou d’académique. Je ne veux pas faire de politique. Ce n’est pas mon rôle. Je désire plutôt rendre hommage à ces hommes et femmes qui ont subi l’esclavagisme. Je veux partager cette culture du travail. C’est la musique avant tout. L’idée est de célébrer. Le spectacle, je le veux festif et énergique. J’aimerais beaucoup faire une scène commune avec le groupe A Tribe Called Red. Je trouve que nous avons eu la même pensée. Ils font un truc très intelligent. »

Dans la tête de Bonifassi, il n’y a pas à dire, les idées se bousculent. D’autant plus que Robert Lepage pourrait s’investir dans la proposition scénique.

« Le peu que je peux en dire, c’est que Robert Lepage m’a dit qu’il voulait faire un spectacle comme il a fait avec le travail de Peter Gabriel, confie l’artiste. Comme ce fameux spectacle dans les années 1990 (il a signé la mise en scène de la tournée mondiale The Secret World Tour). « Mon projet le galvanise beaucoup. Robert, c’est une bonne connaissance. Il vient voir beaucoup ce que je fais. Et il a adoré mon dernier spectacle. Il y voit quelque chose d’intemporel et de fort. Il m’a invité à voir Les aiguilles et l’opium en me pétant un rendez-vous le lendemain. Il a vu que j’en avais en dedans sur le sujet. »

Une histoire à suivre.

---

Électro blues

Betty Bonifassi

Sous étiquette L-A be

1. De la musique oui, des paroles, non

Les 5 commandements de la musique au travail

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.