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L'avenir sans magie des chamans chinois, dernier présage de l'exode urbain

L'avenir sans magie des chamans chinois, dernier présage de l'exode urbain

Tournant les pages vieillies d'un grimoire, un chaman chinois vêtu d'un grand costume sombre et d'un chapeau vert assure qu'il prédit l'avenir. Mais celui de sa profession semble bien menacé, à l'heure des migrations massives vers les villes.

"Pour voir un esprit, il faut accomplir les rites anciens", explique à l'AFP Zhao Fucheng, 74 ans, qui prétend communiquer avec le monde des morts depuis sa petite hutte de bois au coeur de la province montagneuse du Guangxi, dans le sud de la Chine.

Il fait partie des milliers de "maîtres des esprits" de la région, auxquels les minorités ethniques locales ont recours comme guérisseurs depuis des siècles.

"Si un danger vous menace et que la chance n'est plus avec vous, je peux améliorer votre sort", affirme Zhao. "Si la médecine ne marche pas, il faut faire appel aux esprits".

Dans le village reculé de Qiuka --accessible par un unique chemin boueux qui serpente à flanc de colline entre des rizières--, Zhao reçoit un flot constant de villageois qui croient comme lui à la force des esprits.

"Les esprits peuvent vous rendre malade, mais ils ne vont pas vous manger ou vous faire quoi que ce soit de ce genre", tempère Zhao Deqing, 13 ans --qui porte le même nom que le chaman, comme beaucoup de familles du village.

Mais le jeune garçon rêve surtout des motos que ses aînés chevauchent à leur retour des villes voisines. Il a bien l'intention de quitter le village dès qu'il aura fini l'école.

Il viendra alors grossir ce qui est sans doute la plus grande migration de l'histoire, celle des quelque 300 millions de Chinois ayant quitté leurs campagnes pour les villes au cours des 15 dernières années.

Le chaman Zhao Fucheng a fait de la guérison et de la prédiction de l'avenir ses spécialités. "Je communique un peu avec les esprits: je joue du tambour, je souffle dans une corne de boeuf. Je suis capable de faire les choses simples".

En cette matinée ensoleillée, il accepte de prédire l'avenir d'un visiteur entre deux âges.

La date de naissance du client en tête et ses lunettes sur le nez, il scrute un calendrier lunaire imprimé à l'encre rouge, marmonne quelques calculs, puis attrape un gros livre dont les pages s'effritent sous ses doigts.

"Quand vous atteindrez 39 ans, la vie ne sera pas facile pour vous", annonce-t-il au client.

Le chaman pointe un ongle terreux sur un caractère et le lit à voix haute, avant d'adopter un ton rassurant: "Pas de quoi s'effrayer pour autant".

Pendant la décennie de violences de la Révolution culturelle (1966-1976), nombre de chamans furent tués ou malmenés au nom de la lutte contre les "superstitions féodales".

A Qiuka, les "maîtres des esprits" racontent qu'ils ont caché leurs livres jusqu'à ce que la tension retombe, au début des années 1980.

Puis, avec les bouleversements économiques et l'explosion des coûts médicaux, les chamans ont vu les clients affluer de nouveau.

Qiuka ne compte que quelques centaines d'habitants mais plusieurs "maîtres des esprits".

"Les gens viennent me voir s'ils sont malades", témoigne Zhao Fukai, la soixantaine grisonnante, qui serre contre lui un épais volume jauni par les ans.

"Les anciens nous ont laissé ce livre", raconte-t-il, avant d'avertir: "Pour attirer les esprits, il faut du sang. Cela peut faire peur."

Dans les villages du Guangxi, une catégorie de population brille par son absence: les jeunes.

Après le collège, la plupart vont chercher du travail à la ville: les salaires y sont autrement plus élevés que ceux de bûcheron ou de paysan.

La Chine se prépare à l'exode de 300 millions de ruraux supplémentaires dans les dix prochaines années, ce qui laissera des milliers de villages quasi-vides.

Les chamans de Qiuka redoutent de ne plus trouver personne à qui transmettre leurs rites séculaires, menacés --à l'instar de traditions culturelles locales-- de sombrer dans l'oubli.

"On ne gagne pas grand chose avec ce métier, les gens se font davantage d'argent en allant travailler ailleurs", reconnaît le chaman Zhao Jintai.

Son fils, la cinquantaine, reste au village à cause d'un accident industriel. Mais lui ne croit guère aux pratiques magiques de son père.

Yang Shengwen, un chercheur du cru, étudie les traditions chamaniques de sa région. Il s'inquiète des conséquences de l'urbanisation: "Le chamanisme n'a pas disparu, mais la tendance commence à être préoccupante".

"Dans trente ans, il y aura encore des chamans, mais après? C'est difficile à dire".

Depuis son perchoir en altitude, Zhao Fucheng admet qu'il reçoit moins de patients ces dernières années. Mais il livre une explication chargée de mystère: "Les esprits sont partis, donc je communique moins avec eux."

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