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Commission Charbonneau: au coeur du financement de Nathalie Normandeau avec Bruno Lortie

Commission Charbonneau: Bruno Lortie, l'ex-chef de cabinet de Normandeau, entendu
CEIC

L'ex-chef de cabinet de Nathalie Normandeau a convenu avoir organisé entre 2003 et 2010 les événements de financement annuels de la ministre. Bruno Lortie s'appuyait sur ses amis Marc-Yvan Côté de Roche et Christian Côté de Dessau pour l'organisation respective des cocktails tenus chaque année à Québec et à Montréal.

Un texte de Bernard Leduc

M. Lortie a expliqué que Nathalie Normandeau avait des objectifs de financement à atteindre, fixés par le PLQ, et que ces événements servaient à combler la différence avec le financement qui venait de sa circonscription gaspésienne.

Mme Normandeau, qui pouvait ramasser quelque 25 000 $ dans sa circonscription, devait donc trouver la même somme - pour un total de 50 000 $ - alors qu'elle était ministre déléguée au Tourisme (2003-2005). L'objectif est passé à 100 000 $ lorsqu'elle est devenue ministre aux Affaires municipales (2005-2009), doublant pour ainsi dire la différence à combler.

M. Lortie a reconnu que parmi les invités aux cocktails se trouvaient notamment des représentants des firmes Roche, BPR et SNC-Lavalin ainsi que des maires, mais il soutient qu'ils étaient choisis par ses organisateurs et que lui-même ne se mêlait pas de cet aspect.

Il remettait tout au plus à la ministre la liste des invités, la veille de l'évènement, sans plus de commentaire.

Bruno Lortie soutient par ailleurs n'avoir jamais fait de sollicitation, mais ajouté qu'il arrivait par ailleurs que Violette Trépanier et Marcel Leblanc, deux responsables du financement au PLQ, mettent la main à la pâte pour trouver les 30 à 40 invités souhaités par cocktail.

L'ex-chef de cabinet de la ministre a expliqué qu'il s'agissait généralement toujours des mêmes invités et que, règle générale, ils ne parlaient pas spécifiquement de dossiers avec la ministre lors des cocktails.

« Moi je vous dis que règle générale, on ne nous parlait pas de dossiers. » — Bruno Lortie

« Il se peut que la ministre ait été sensibilisée à un projet précis : je ne suis pas capable de nier ou de confirmer », a-t-il nuancé, ajoutant : « Est-ce qu'un maire a pu nous parler d'un dossier, fort probable. Honnêtement, fort probable ».

Il a reconnu par ailleurs qu'il était arrivé une fois, tout au plus - au meilleur de ses souvenirs - que la ministre remette à un maire présent une lettre d'intention confirmant une subvention d'infrastructure, soit à la mairesse de Boisbriand.

« Il est arrivé à une occasion où elle a remis une enveloppe. Mais elle n'a pas fait d'annonce comme (…) Je fais référence à Boisbriand. » — Bruno Lortie

M. Lortie a soutenu que le « financement, c'était juste un ajout à mes tâches », et que cette activité lui « plaisait autant qu'un trou de balle dans la tête ».

Retour sur la version des Côté

Devant la commission Charbonneau, l'ex-vice-président principal au développement des affaires de Roche,Marc-Yvan Côté, avait admis avoir été impliqué entre 2004 et 2009 dans le financement du cocktail annuel à 1000 $ le billet qu'organisait son ami Bruno Lortie au profit de la ministre des Affaires municipales Nathalie Normandeau.

Selon Marc-Yvan Côté, ces cocktails étaient au cœur de la stratégie de financement de l'ex-ministre pour atteindre l'objectif de 100 000 $ par année établi par le PLQ pour les ministres libéraux.

Christian Côté a lui admis avoir aidé M. Lortie à trouver des invités pour ces cocktails entre 2005 et 2008. La commission a présenté en preuve une liste de représentants d'entreprises ayant acheté des billets pour le cocktail de 2005 et de maires y ayant été invités, liste envoyée par Christian Côté à Bruno Lortie à la veille de l'événement.

La stratégie, a-t-il expliqué, était de solliciter la présence de maires que l'on savait souhaitée par ces entrepreneurs, et qui assumaient alors le prix de leurs billets.

Lortie contredit Zambito

Bruno Lortie a par ailleurs reconnu que l'entrepreneur Lino Zambito l'avait approché pour organiser un cocktail, mais il soutient que ce dernier se proposait d'amasser 100 000 $ pour le PLQ, et pas spécifiquement pour la ministre Normandeau - qui en sera néanmoins l'invitée d'honneur.

L'ex-chef de cabinet de la ministre Normandeau soutient que dès que l'ex-entrepreneur d'Infrabec l'a approché, il l'a dirigé vers Violette Trépanier. Il soutient d'ailleurs que c'est le PLQ qui a pris l'événement en charge et que, « dans la tête de Mme Trépanier, cet argent-là n'allait pas dans le comté de Mme Normandeau : ça restait au parti ».

Lors de son témoignage, Lino Zambito avait précisément dit que le cocktail qu'il avait organisé était pour Nathalie Normandeau.

« J'ai toujours vu Marc-Yvan Côté comme mon grand frère »

Marc-Yvan Côté, qui a travaillé pour la firme Roche de 1994 à 201, a reconnu devant la commission qu'il était « capable d'avoir de l'information » sur des dossiers qui intéressaient la firme Roche par son ami Bruno Lortie, mais s'est défendu d'avoir jamais obtenu de « l'information privilégiée ».

Un ex-ingénieur de Roche, témoignant sous le couvert de l'anonymat, ainsi que l'ex-vice-président de Roche André Côté, ont au contraire soutenu devant la commission que cette relation privilégiée entre les deux hommes avait contribué à débloquer le financement pour plusieurs dossiers d'infrastructures municipales défendus par Roche auprès du ministère.

Devant la commission, Bruno Lortie n'a pas hésité à reconnaître sa grande proximité avec l'ex-vice-président de Roche Marc-Yvan Côté, dont il avait été l'attaché politique quand ce dernier était ministre. Il a aussi convenu que ce dernier l'appelait pour savoir où en étaient rendus certains dossiers et admet avoir aussi pu rencontré des personnes à sa suggestion.

Lortie « en menait large » au cabinet

Lors de son témoignage, l'ex-attaché politique de Nathalie Normandeau, Michel Binette, a soutenu que M. Lortie, « en menait large » au ministère des Affaires municipales et que la ministre avait en lui une « confiance » « peut-être à la limite du raisonnable ».

Selon lui, Bruno Lortie recevait à son bureau au ministère, en tête-à-tête, André Côté de Roche, Charles Meunier de BPR et Christian Côté de Dessau, des firmes qui représentaient alors 95 % de l'ensemble des municipalités dans les quelque 1500 dossiers sur la table à l'époque. Ces derniers lui remettaient des listes de projets en attente de subventions des Affaires municipales.

L'ex-chef de cabinet de Mme Normandeau soutient cependant n'avoir jamais reçu de listes de projets jugés prioritaires de firmes de génie. Tout au plus admet-il avoir reçu une liste de projet de Charles Meunier, en 2005, dont il n'avait alors pas vu l'utilité.

Il affirme de plus n'avoir jamais eu de liste de Roche ou de Dessau ou encore avoir parlé de dossiers avec Christian Côté ou Charles Meunier, sauf rares exceptions au fil des ans.

M. Lortie a tou aussi nié qu'il a pu retarder des dossiers, par exemple en raison de leur couleur politique, comme M. Binette avait laissé entendre.

« Les dossiers qui dorment sur mon bureau, ça n'existe pas! » s'est défendu M. Lortie, offusqué, affirmant que tous étaient traités diligemment et transmis à la ministre.

Des taux politiques

Bruno Lortie reconnaît que lui et la ministre ont pu, à l'occasion, contester le jugement des fonctionnaires sur le taux d'aide à accorder à des municipalités pour leurs projets d'infrastructure d'eau.

Pour Nathalie Normandeau, a soutenu son ancien chef de cabinet, il fallait davantage tenir compte de la capacité de payer des citoyens, d'autant plus dans des régions, comme la Gaspésie, affectées par un haut taux de chômage.

« Mme Normandeau, sa raison d'être impliquée en politique, c'est défendre les régions. Pour elle, les programmes gouvernementaux, faut arrêter de faire du mur-à-mur. » — Bruno Lortie

Aussi ont-ils senti parfois le besoin de favoriser l'octroi de subventions à taux majorés lorsqu'il leur apparaissait que l'impact sur le compte de taxes des citoyens n'avait pas été suffisamment pris en compte dans le financement proposé.

Il a même reconnu que, dans plusieurs cas, la ministre a accordé un taux d'aide majoré contre l'avis de ses fonctionnaires. M. Lortie dit se rappeler spécifiquement de deux cas - probablement du village de Cloridorme en Gaspésie et d'un dossier aux Îles-de-la-Madeleine - où la ministre s'est directement opposée à ces derniers, mais ajoute qu'elle a plusieurs autres fois usée de son pouvoir en ce sens.

« Je pense que c'est arrivé à deux reprises où les gens du ministère ont dit : la lettre pour l'aide, on vous la montre, mais on n'est pas d'accord avec. Et je me souviens qu'après avoir discuté avec la ministre, (elle) a dit : ''écoute, je vais l'assumer cette décision-là, moi je veux aider telle municipalité, pis je vais l'assumer''. » — Bruno Lortie

Selon la commission, quelque 50 dossiers ont bénéficié d'une aide majorée par la ministre, dont un bom nombre n'avaient pas reçu les recommandations d'usage des fonctionnaires.

M. Lortie a souligné que tout cela ne concernait pas les projets jugés prioritaires, qui étaient automatiquement acceptés, mais ceux jugés de moindre importance par les fonctionnaires.

« On y allait dossier par dossier (...) Une fois que les 1 et 2 étaient passés, c'était plus du cas par cas », a-t-il soutenu.

Brève biographie de Bruno Lortie

Bruno Lortie s'est présenté comme un militant libéral de longue date qui, dès 1986, se met au service du gouvernement de Robert Bourassa comme attaché politique du ministre Marc-Yvan Côté. Il est resté à ses côtés jusqu'à son départ en janvier 1994. Il est alors brièvement chef de cabinet de Gaston Blackburn.

Il a travaillé par la suite à la permanence du Parti libéral du Canada à Québec de 1997 à 2003. Il est alors sollicité par le cabinet de Jean Charest pour devenir le chef de cabinet de Nathalie Normandeau, ministre déléguée au Tourisme et aux Régions. Il continue à être son chef de cabinet lorsqu'elle est nommée aux Affaires municipales, portefeuille qu'elle va détenir jusqu'en 2009. Il la suivra alors aux Affaires gouvernementales et quittera la politique en même temps qu'elle, en 2011. Il se retrouve alors chez Hydro-Québec mais est rapidement remercié et travaille depuis à son compte.

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Tony Accurso

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