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Commission Charbonneau : le «témoin A» vide son sac, des rencontres à 500 $ avec le premier ministre Charest

Des rencontres à 500 $ avec le premier ministre Charest
Capture d'écran

EN DIRECT - Le témoignage d'un ex-ingénieur de BPR et Roche, sous le couvert de l'anonymat, a permis de révéler que le PLQ aurait, au moins une fois, proposé des « rencontres privées avec le premier ministre » contre financement. Il a aussi été question de financement pour Pauline Marois ou encore des liens d'amitié entre le président de Roche et le libéral Sam Hamad.

Un texte de Bernard Leduc

et François Messier

La commission Charbonneau a présenté, dans le cadre du témoignage de cet ex-ingénieur de BPR et Roche, un courriel envoyé par Claude Lescelleur à André Côté de Roche, de la fin août 2009, au sujet d'un cocktail le 5 septembre suivant à l'occasion de l'inauguration d'un musée à Gaspé.

M. Lescelleur, le défunt directeur général de Roche-Gaspé, y écrit notamment : « Les gens du Parti libéral viennent de me téléphoner pour me dire qu'il y aura des rencontres privées avec le premier ministre à 14 h 30 à l'Auberge des Commandants. Pour les gens intéressés, le coût de cette rencontre est de 500 $ par personne ».

Le témoin A a aussi été interrogé sur un souper gastronomique présidé par Pauline Marois en octobre 2008. La commission a présenté à cet effet une lettre d'invitation envoyée par Yvon Careau du PQ adressée au président de Roche Mario Martel, comprenant un bon de commande pour des billets à 1000 $, précisant que les chèques doivent être personnels.

Le témoin a soulevé qu'un tel document était rare, puisqu'en général, tout se faisait par téléphone. La lettre dit notamment : « Nous sommes d'ores et déjà convaincus que Mme Marois portera une oreille attentive à vos suggestions et à vos préoccupations ».

Le témoin, qui se souvient de l'événement, explique avoir souligné à M. Martel que ces billets seraient en fait gratuits, dû moins pour eux deux, puisque Roche venait de promettre une contribution de 10 000 $ à Ernest Murray, le responsable du bureau de circonscription de Mme Marois dans Charlevoix. M. Murray lui a d'ailleurs confirmé ce fait.

Prête-noms : les partis politiques savaient

Le témoin-mystère, qui a fait du financement sectoriel pour BPR et Roche pendant 25 à 30 ans, est convaincu que les partis ont toujours su que les firmes devaient notamment faire du prête-nom pour leurs contributions politiques.

« Oui, je l'affirme : autant au PQ qu'au PLQ, tout ça était connu et dans les mœurs de l'époque. »

— Le témoin-mystère

Le témoin a souligné qu'il était en fait facile de trouver des personnes pour jouer le rôle de prête-nom dans l'entourage du personnel de Roche, soit des frères, des sœurs ou encore les époux des secrétaires.

« Je peux vous dire que c'était très facile, c'était un cadeau qu'on faisait aux gens : on leur demandait de faire un chèque de 400, on leur remboursait immédiatement un chèque de 400 personnel et ils recevaient 300 $ en cadeau sur leur rapport d'impôt ».

Le témoin mystère a levé du même souffle le voile sur les façons détournées par lesquelles Roche lui remboursait ses contributions politiques.

Ainsi, entre 2005 et 2007, à la demande de la firme, il a facturé Roche pour des bonis de performances qui, en réalité, représentaient ses dons politiques faits dans le cadre de son travail de développement d'affaires.

Par exemple, a-t-il dit, si Roche lui devait 10 000 $ après impôt, il refilait alors à la firme une facture de 23 000 $, soit 10 000 $ plus les impôts, la TPS et la TVQ.

Puis, pour des raisons qu'il ignore, la méthode de paiement a été changée pour 2008 2009 par le président Mario Martel. Désormais, le témoin devait facturer diverses compagnies proches de Roche ou affiliées à la firme qui se faisaient alors rembourser par Roche.

La commission a présenté des factures à l'appui des allégations du témoin mystère faites aux firmes Pluritec, FBG consultants, Noram et Kwatroe. Il a tenu à souligner leur caractère factice, puisqu'elles ne correspondent à aucun service rendu.

Lorsque Roche paie le golf à Sam Hamad

Le témoin est formel : le président de Roche et l'actuel ministre libéral du Travail Sam Hamad, un ancien vice-président de cette même firme, sont de grands amis.

« Je suis persuadé que Mario Martel et Sam Hamad étaient de grands amis parce que M. Martel me l'a confié à plusieurs reprises. »

— Le témoin A

Il dit avoir lui-même participé, en juin 2006, à un quatuor au club de golf privé La Tempête avec les deux hommes ainsi que Benoît Savard, à l'époque organisateurs pour le PLQ. « L'entreprise assumait tous les frais », a-t-il précisé, ajoutant que « l'intérêt corporatif » de Roche est évidemment de maintenir les liens avec le gouvernement.

Ce club de golf a incidemment été construit, en 2005, par un membre du conseil d'administration de Roche.

Le témoin a précisé qu'il a sinon joué au golf à plusieurs reprises dans sa vie avec « Benoît Savard et des personnes influentes au gouvernement ». Il a ajouté que ce type de rencontres entre « l'organisation d'un parti politique et la députation et les chefs d'entreprises » était fréquent.

Lorsque les firmes réseautent avec Normandeau

Le témoin A a expliqué avoir participé deux fois au cocktail annuel de la ministre des Affaires municipales Nathalie Normandeau à 1000 $ le billet, en compagnie des hauts dirigeants de Roche.

Il note cette particularité qu'à chaque table, une chaise était laissée libre pour accueillir, tour à tour, au fil de la soirée, la ministre, son chef de cabinet ou encore l'attaché politique responsable de l'aide financière... bref, de tout le personnel politique du cabinet.

Le témoin confirme que ces participations, bien qu'indirectement, ont toujours porté leurs fruits, puisqu'elles permettaient de créer des liens de confiance avec les décideurs.

Il a confirmé que c'est bel et bien l'ex-ministre libéral Marc-Yvan Côté, alors chez Roche, qui jouait dans l'organisation de ces événements le rôle de « leader ».

« Un couteau sur la gorge »

Le témoin a expliqué à la commission Charbonneau comment Roche a utilisé ses entrées au cabinet de la ministre des Affaires municipales Nathalie Normandeau pour obtenir du financement pour un projet d'eau potable pour le petit village de Cloridorme, entre Matane et Gaspé.

Il a expliqué qu'après avoir multiplié les rencontres avec le cabinet pour défendre le projet, auquel les fonctionnaires du ministère s'opposaient, la ministre a finalement tranché, par la voix de son chef de cabinet Bruno Lortie.

Lors d'une rencontre réunissant le témoin, le vice-président de Roche André Côté, la mairesse de Cloridorme et des hauts fonctionnaires, Bruno Lortie leur a finalement annoncé que la ministre souhaitait que le dossier soit réglé dans les plus brefs délais en vue d'une annonce publique. Et le projet a donc été de l'avant, malgré l'hostilité des fonctionnaires.

« On sentait que c'était un ordre politique de nature exceptionnelle (...) On sentait que les fonctionnaires avaient un couteau sur la gorge. »

— Le témoin

La loi 106 bafouée

L'ex-ingénieur de BPR et Roche a aussi confirmé qu'à partir de 2002, alors que Québec adopte la loi 106 qui oblige les municipalités à aller en appel d'offres pour les contrats de génie, toutes les firmes ont fait pression sur elles pour qu'elles adoptent des grilles de sélection les favorisants. Il s'agit de ce qu'on nomme des appels d'offres dirigés.

La commission a donné en exemple un appel d'offres à Murdochville avec un courriel du 28 mai 2008 du directeur régional Claude Lescelleur à au vice-président de Roche pour l'est du Québec André Côté.

M. Lescelleur y écrit : « Je connais le gars qui a fait le devis et il a mis des clauses qui nous ont aidés dans le qualitatif ».

L'incontournable financement sectoriel

Le témoin, qui témoigne sous le couvert de l'anonymat pour des raisons médicales, a expliqué hier comment les deux firmes de génie, qui se partageaient les contrats dans les municipalités de l'est du Québec, ont longtemps financé illégalement les partis politiques provinciaux, cultivant au passage leurs entrées au sein des cabinets gouvernementaux.

Comme d'autres témoins, il a expliqué que les firmes de génie et d'autres firmes de services professionnels se sentaient obligées de contribuer à tous les partis. « Si on était dans les années 50, je vous dirais que c'était la dîme. Si on était dans un milieu plus mafieux, je vous dirais que c'était le pizzo. Là je vous dirais une taxe, un droit d'entrée pour le réseautage auprès du gouvernement », a-t-il expliqué.

L'ex-ingénieur a décrit comment BPR et Roche tenaient toutes deux une forme de comptabilité de leurs contributions politiques, confirmant une fois de plus la réalité du financement sectoriel, une pratique pourtant interdite en vertu de la loi électorale du Québec, qui spécifie très clairement que tous ces dons doivent être effectués par des individus à même leurs propres biens.

Le témoin, que le procureur Simon Tremblay appelle Jean Gagnon (nom fictif), a expliqué aux commissaires comment l'élection du gouvernement libéral de Jean Charest en 2003 l'avait contraint à revoir ses façons de faire. Il a ainsi commencé à participer aux activités de financement du nouveau ministre des Affaires municipales, Jean-Marc Fournier, afin de se rapprocher de son chef de cabinet, Jean-Philippe Marois. Cette stratégie a bel et bien fonctionné.

Il a aussi écorché plusieurs députés libéraux toujours actifs en politique. Il a notamment affirmé que le président de l'Assemblée nationale Jacques Chagnon était allé avec lui à la pêche, aux frais de BPR, et que Roche avait aidé l'équipe électorale du député libéral des Îles-de-la-Madeleine Germain Chevarie à amasser l'argent nécessaire pour réaliser un sondage « dirigé » pour l'aider à être élu lors de l'élection de décembre 2008.

Il a aussi confirmé que Roche avait accepté de verser quelques milliers de dollars pour financer la campagne de Pauline Marois dans Charlevoix lors du même scrutin, confirmant des révélations faites plus tôt cette semaine par un ancien responsable de son bureau de circonscription, Ernest Murray.

Il a également soutenu que l'ex-chef de l'ADQ Mario Dumont avait sollicité BPR pour avoir du « financement corporatif ». M. Dumont a nié l'information.

Par François Messier

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