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Nike et le Brésil, les liaisons dangereuses

Nike et le Brésil, les liaisons dangereuses
Nike

12 juillet 1998. La France s'apprête à disputer sa première finale de Coupe du monde face au Brésil de Ronaldo. Ballon d'Or en titre, Il Fenemenoest au sommet de son art et éclaire la compétition de sa classe. Mais une heure avant le coup d'envoi, c'est la stupeur. Une première feuille de match circule dans la tribune de presse, sur laquelle Ronaldo figure sur le banc des remplaçants. C'est le peu séduisant Edmundo qui doit épauler Bebeto sur le front de l'attaque auriverde. Une demi-heure plus tard, alors que les médias s'interrogent sur l'absence du buteur, Ronaldo retrouve son poste de titulaire. Vous connaissez la suite, la star passe à travers son match et la France remporte le titre. Et un, et deux, et trois zéro!

Ce n'est que le lendemain de la finale que le mystère Ronaldo se désépaissit. Le médecin de l'équipe révèle que le buteur a été victime d'une "dystonie neurovégétative" et de "convulsions". Et pourtant il a joué. Cet épisode engendre une série de déclarations contradictoires au cours des semaines qui suivent, générant une polémique au sein-même de la sélection nationale. Pour certains, l'équipementier Nike a imposé la titularisation de Ronaldo malgré sa santé défaillante. Fait avéré ou pas, l'entreprise américaine a noué une relation particulière avec la sélection la plus titrée du monde.

A tel point que Nike est devenu le bouc émissaire de la défaite face à la France. A leur retour à l'aéroport de Rio, les joueurs ont été accueillis par une affiche qui résumait bien le sentiment national: un drapeau brésilien sur lequel on avait remplacé la devise "Ordre et progrès" par le mot "Nike". Une commission parlementaire a même été mise sur pied en 2000 pour vérifier si Nike n'avait pas été le sélectionneur officieux.

Le Brésil, l'équipe symbole de Nike dans le football

"L'affaire Ronaldo" n'est pas la seule à avoir éclaboussé la fédération brésilienne (CBF). Elle est en tout cas l'épicentre de plusieurs suspicions nées à la fin des années 1990. Un comble, le vice-président de la commission censée enquêter sur les transactions entre Nike et la CBF était Eurico Miranda, vice-président du club de Vasco de Gama, dont la dernière campagne électorale avait été financée par... la CBF et deux agents liés à Nike. Conflit d'intérêt, risque de corruption? "Aucun problème éthique", déclarait l'intéressé. L'affaire sera finalement classée sans suite, après l'audience de 125 témoins, dont plusieurs joueurs, les médecins et l'ancien président brésilien de Fifa João Havelange (condamné plus tard dans une autre affaire de corruption).

Nike et la fédération brésilienne sont liés depuis 1996, date du premier gros contrat de sponsoring accordé par la firme américaine dans le football. "L'accord avec le Brésil lui a donné une présence et une énorme visibilité", soulignait en 2012 Simon Chadwick, professeur en stratégie marketing à l'université de Coventry. "Même si quelques clubs avaient déjà adopté la marque, c'est la sélection brésilienne qui lui a permis d'affronter Adidas sur son terrain".

Des clauses toujours plus tordues

Valorisé à 125 millions d'euros sur 10 ans, ce contrat est un record pour l'époque (25 millions par an désormais). La presse locale en a révélé les clauses secrètes en janvier 1999. Selon les termes, l'équipementier devenait le fournisseur officiel de la seleção et contrôlait aussi tous les autres contrats de sponsoring de la CBF, auxquels il pouvait apposer son veto. Nike avait obtenu en outre le droit d'organiser 50 matchs amicaux en 10 ans, en décidant du lieu, de la date et de l'adversaire. Le tout en retirant au Brésil tous les dividendes, à l'exception des droits télés.

Enfin, clause la plus tordue, Nike obtenait la garantie de la présence de "huit meilleurs joueurs du moment" lors de chaque match. C'est peut-être cet accord qui a fini par imposer un Ronaldo malade sur le terrain du Stade de France en 1998. Il faut dire que le Brésilien était également l'ambassadeur la marque, baladé de pays en pays pour faire sa promotion. De quoi donner à Nike l'influence nécessaire pour souffler ses suggestions au sélectionneur Mario Zagallo... Ronaldo était leur homme-sandwich, après tout.

Nike toujours très influent au Brésil

Juca Kfouri, premier journaliste à avoir révélé le larcin, déclarait en 1999: "Il est évident que la fédération a offert la souveraineté de l'équipe à Nike. La CBF est plus intéressée par la rémunération qu'elle peut obtenir plutôt que les intérêts de l'équipe". Pour un ex-député communiste brésilien, Aldo Rebelo, le problème de santé de Ronaldo a été dû à la pression marketing excessive. "Il possible que sans ces contrats Ronaldo n'aurait pas eu de convulsions", soufflait-il malicieusement. "Disney n'a jamais vendu Mickey Mouse, mais la CBF a cédé l'équipe nationale à Nike. Elle aurait dû vendre le spectacle, pas le produit". Par ailleurs, les élus ont enquêté et trouvé de nombreuses irrégularités: enrichissement illicite de personnalités du football, trafic d'influences, fraude fiscale, etc.

Si l'équipementier n'a jamais été inquiété, le député Rebelo y voyait autre chose de plus profond: "Le contrat de Nike était juste un signe. C'était la partie émergée de tout ce qui se passe dans le football brésilien", disait-il au moment des faits. "La corruption est comme une éruption cutanée, résultant du choc du capitalisme". Et l'avenir n'a pas contredit le député. Dernier scandale en date, le transfert de la nouvelle étoile Neymar, de Santos à Barcelone. Plus de 12 millions d'euros ont été dissimulés aux fiscs espagnol et brésilien dans la transaction. L'ancien président du Barça, Sandro Rosell, a été inculpé début juin dans cette affaire. Son ancien poste? Patron du marketing pour Nike au Brésil...

La France est aujourd'hui la sélection nationale pour laquelle Nike paye le plus cher (42 millions par an jusqu'en 2018), mais les conséquences n'atteignent pas ces sommets. Lors de la photo de groupe, les joueurs sous contrat avec un autre équipementier ont dû être "cachés" à l'arrière plan. A aucun moment il ne fallait qu'Adidas laisse traîner ses trois bandes sur des crampons visibles. Cela a offert quelques dommages collatéraux plutôt cocasses: le géant Raphaël Varane a été contraint d'être placé au premier rang, obligé de se ratatiner pour faire oublier les 16cm qui les sépare de Yohan Cabaye. Ce dernier se tient alors droit comme un "I"...

La virgule prend ces détails très au sérieux. À tel point qu'un certain Nicolas Piry, représentant Nike de son état, a été intégré au staff de l'équipe de France...

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