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Louer un appartement sans payer de loyer, un système propre à la Corée du Sud

Louer un appartement sans payer de loyer, un système propre à la Corée du Sud

Pendant des décennies, un système spécifique à la Corée du Sud a permis aux habitants de louer leur logement sans payer de loyer. Mais la morosité prolongée du marché immobilier et la faiblesse des taux d'intérêt menacent ce modus operandi, qui date du 19e siècle.

Selon un contrat "jeonse", le locataire verse au propriétaire une somme importante --souvent équivalente à 40% de la valeur du logement-- à la prise du bail. A la fin du bail, la totalité de la somme est rendue au locataire.

Au milieu des années 90, près de deux-tiers des contrats de location s'effectuaient en ces termes dans le pays.

Le système permet au propriétaire d'avoir à disposition une grosse somme d'argent, à placer dans des investissements à haut rendement comme les banques en proposaient fréquemment, notamment lors du boom économique des années 70 et 80.

Le propriétaire pouvait aussi choisir d'acheter un 2e, voire un 3e appartement, en vue de les louer, dans un marché immobilier orienté à la hausse.

A la fin du bail, le propriétaire pouvait aisément rendre l'argent (tout en gardant les bénéfices réalisés grâce aux intérêts), ou trouver un nouveau locataire qui versait à son tour le dépôt demandé en début de bail.

Les locataires y trouvaient eux aussi leur compte, notamment lorsqu'ils décidaient à leur tour d'acheter.

Un logement occupé se vend en effet en général à un prix excluant le dépôt du locataire. Le nouveau propriétaire ne rembourse ce dépôt au locataire que lorsque ce dernier vide les lieux.

Le système a d'autant mieux prospéré que les banques étaient peu enclines à assurer des crédits immobiliers, préférant prêter aux grandes entreprises qui sont au coeur du modèle industriel de la Corée du Sud.

"Le dépôt +jeonse+ jouait le rôle d'un prêt bancaire, que l'acheteur d'un appartement remboursait quelques années après son acquisition, une fois suffisamment d'économies réalisées (pour rembourser le locataire occupant le logement acheté) et habiter ainsi son bien immobilier", explique Kwon Joo-An, analyste à l'institut Korea Housing à Séoul.

Mais pour une partie des acheteurs, ces appartements étaient de simples véhicules spéculatifs. Ils achetaient ces appartements munis d'un contrat jeonse à prix réduit avant de les revendre un peu plus tard bien plus cher grâce à l'envolée du marché immobilier.

Sur la seule année 1978, les prix immobiliers ont grimpé de 49% dans l'ensemble du pays et de 136% pour la seule capitale.

"A l'époque, le jeonse était une façon d'accroître ses richesses", souligne l'analyste. "Le système a prospéré pendant des décennies sur l'hypothèse que les prix immobiliers seraient toujours orientés à la hausse".

Les autorités ont tenté de calmer la surchauffe grâce à un éventail de mesures à l'impact cependant limité.

Au final, ce sont des facteurs socio-économiques qui érodent la popuparité des contrats jeonse: ralentissement économique et vieillissement de la population.

Depuis 2008, les taux d'intérêt et les prix immobiliers reculent. La baisse des taux réduisent les intérêts engrangés par les propriétaires lorsqu'ils investissent le dépôt versé par le locataire en début de bail.

Le système des loyers mensuels, en usage dans le reste du monde, devient de plus en plus fréquent: il représentait 50% des locations en 2010, contre 30% 15 ans plus tôt.

En raison de la baisse des prix immobiliers, les locataires qui pourraient acquérir repoussent l'acte d'achat, dans l'attente d'une nouvelle baisse des prix.

Et les propriétaires réclament désormais un dépôt jeonse bien plus élevé qu'auparavant, allant représenter jusqu'à 90% de la valeur du logement.

Pour Kwon Joo-An, "le système jeonse ne va pas disparaître mais les propriétaires vont de plus en plus opter pour les loyers mensuels".

Une évolution qui désole de jeunes couples, prêts à acheter.

June Lee, une employée de bureau de 27 ans, va bientôt se marier. Avec son fiancé, elle pensait que leurs 100 millions de wons d'économie (72.000 euros) leur permettrait de signer un bail jeonse pour un appartement de 80 mètres carrés dans la banlieue de Séoul.

"Mais maintenant les propriétaires exigent un dépôt faramineux, ou des loyers mensuels", se lamente-t-elle. "Comment économiser si nous devons gâcher autant d'argent dans un loyer chaque mois?".

Car le système jeonse a renforcé l'idée chez les Sud-Coréens que payer un loyer équivaut à jeter l'argent par les fenêtres puisque ces paiments ne sont jamais récupérés, contrairement au dépôt versé en début de bail.

Et les prix immobiliers avaient tellement grimpé ces dernières décennies que sans jeonse, accéder à la propriété est impossible pour les jeunes couples à revenus moyen, même après la baisse des prix enregistrée depuis 2008.

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