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Avec la junte thaïlandaise, le bonheur de rigueur au "pays du sourire"

Avec la junte thaïlandaise, le bonheur de rigueur au "pays du sourire"

Repas gratuits, musique et soldats-danseurs façon "boys band": la junte au pouvoir en Thaïlande a lancé une campagne pour "rendre le bonheur au peuple", opération de propagande qui accompagne une limitation des libertés civiles.

L'armée a pris le pouvoir le 22 mai, insistant sur la nécessité de restaurer la paix et l'ordre après sept mois de manifestations meurtrières et des années de crises politiques à répétition commencées lors du précédent putsch de 2006 contre le milliardaire Thaksin Shinawatra.

Confrontée depuis aux critiques internationales et à des opposants au putsch, en nombre limité mais hyper-médiatisés, qui organisent des rassemblements éclair dans la capitale, la junte fait du "bonheur" un maître mot de sa communication.

"Les Thaïlandais ne sont probablement pas heureux depuis neuf ans, comme moi, mais depuis le 22 mai, il y a du bonheur", a récemment déclaré le général Prayut Chan-O-Cha.

"Je pense que c'est de la pure propagande", commente le politologue Paul Chambers. "C'est grossier et trop évident".

Des centaines de Thaïlandais qui participaient cette semaine à l'un des événements organisés par l'armée à Bangkok ont en tout cas retenu le message.

"Aujourd'hui, la société commence à sourire", se réjouit Chutamat Kritcharoen, pendant qu'un groupe de jeunes soldats se déhanche sur scène devant une foule en délire.

Arunee Omsin, 59 ans, est surtout heureuse de pouvoir sortir sans s'inquiéter des possibles fusillades et attaques à la grenade qui ont secoué Bangkok pendant les mois de crise ayant précédé le putsch.

"Par le passé, on nous appelait le +pays du sourire+, mais nous sommes devenus le pays des crises", souligne-t-elle, en faisant la queue pour un repas gratuit, riz et omelette.

Un peu plus loin, des enfants caressent des chevaux de la cavalerie, des Thaïlandais se font faire un check-up gratuit et une jeune femme pose pour une photo, accrochée au bras d'un soldat en tenue de camouflage et au visage impassible peint en vert et noir.

"Cet événement est un nouveau départ pour la société thaïlandaise, pour que les gens à Bangkok et ailleurs se tournent les uns vers les autres et parlent, en utilisant la musique ou d'autres activités collectives", justifie le colonel Sombat Thanyawan, commandant d'un régiment de cavalerie.

L'ambiance de carnaval et la nourriture gratuite rappellent les manifestations ayant précédé le coup d'Etat, quand les opposants à la Première ministre Yingluck Shinawatra, soeur de Thaksin, réclamaient sa chute.

Thaksin reste malgré son exil le facteur de division du pays entre les populations défavorisées du nord et du nord-est qui lui sont fidèles et les élites de la capitale proches du palais royal qui le haïssent.

Et si l'armée se pose en médiateur neutre de cette crise politique qui a fait 28 morts, nombre d'analystes estiment que sa prise de pouvoir a en fait répondu à la plupart des revendications des manifestants, soutenus par les élites.

Alors que la société est depuis 2006 profondément divisée entre les ennemis et les fidèles de Thaksin, certains experts doutent des chances de succès de la campagne de la junte.

"Au vu de la crise politique de la dernière décennie, les Thaïlandais ont été collectivement malheureux et l'armée voit cela correctement. Mais on ne peut pas remédier au malheur national seulement avec des campagnes promotionnelles", souligne Thitinan Pongsudhirak, de l'université Chulalongkorn de Bangkok. "On doit s'attaquer à ses racines, aux sources des divisions sociales et du conflit politique".

La junte, qui a exclu des élections avant au moins un an, a bien annoncé la mise en place de centres de "réconciliation", mais sans détailler le contenu du programme.

Les activités "bonheur" s'accompagnent en outre d'un contrôle strict des médias. Les chaînes de télévision interrompent leurs programmes pour relayer chaque nouvel ordre de la junte et pour des clips de propagande à 18H00.

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