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Saga du CUSM: pleins feux sur l'enquête de l'escouade Marteau

Commission Charbonneau: l'escouade Marteau et son opération au CUSM
CEIC

Le sergent-enquêteur Jean-Frédérick Gagnon a expliqué le stratagème par lequel l'ex-PDG de SNC-Lavalin Pierre Duhaime et le président de sa division construction Riadh Ben Aïssa ont versé 22,5 millions $ en pots-de-vin à deux hauts responsables du CUSM afin de rafler le contrat de 1,34 milliard $ pour la construction en PPP du nouvel hôpital universitaire anglophone.

Un texte de Bernard Leduc et François Messier

« C'est la plus grande fraude de corruption de l'histoire du Canada. » — Le sergent-enquêteur Jean-Frédérick Gagnon

Dans le cadre de l'opération Lauréat, l'escouade Marteau a pu établir que l'ancien directeur général du CUSM, Arthur Porter, et son bras droit Yanaï Elbaz, ont chacun reçu 11,25 millions en 2010 par l'entremise d'une compagnie coquille des Bahamas, Sierra Assets Management, pour avoir aidé le consortium SNC-GISM à obtenir le contrat.

Le témoignage de M. Gagnon s'inscrit dans la foulée de celui livré par les enquêteurs de la commission André Noël et Éric Desaulniers qui avaient expliqué les différents services rendus par les présumés corrompus aux présumés corrupteurs.

Suivant ce qu'a pu établir Marteau, ce sont à l'origine quelque 30 millions de dollars que devaient y faire transiter MM. Duhaime et Ben Aïssa, sous prétexte de financer les activités d'un agent commercial de SNC-Lavalin en Algérie chargé d'y obtenir un contrat gazier d'importance.

En fait, et de façon plus précise, les millions d'abord transférés à la demande des deux hommes à Sierra Assets - dont M. Porter était le bénéficiaire - ont par la suite été transférés, pour l'essentiel, à deux autres coquilles, soit Pan Global Holdings - Yanaï Elbaz et son frère Yohann- et Regent Hamilton Lumley Associates - Pamela Porter, épouse d'Arthur Porter.

« Ce n'est pas Pan Global Holdings et Sierra Assets Management qui ont reçu de l'argent, c'est Arthur Porter et Yanaï Elbaz qui ont reçu chacun sous leur contrôle 11,25 millions $. » — Le sergent-enquêteur Jean-Frédérick Gagnon

L'enquêteur Gagnon a souligné le rôle central dans ce stratagème joué par Jeremy Morris, avocat britannique basé à Nassau, aux Bahamas, qui a mis sur pied Sierra Assets à l'automne 2009 et signé le contrat avec SNC-Lavalin pour le transfert des 30 millions, officiellement pour payer les services de l'agent commercial.

Un première version de ce contrat a d'abord été signée le 2 décembre 2009 par M. Morris et un cadre principal de SNC-International, Ronald Denom, qui obéissait alors aux consignes de MM. Duhaime et Ben Aïssa, en vue de paiements étalés entre le 11 décembre 2009 et la fin janvier 2010.

Le contrat avait incidemment été antidaté au 1er mai 2009, puisque le contrat en Algérie, réel, avait été obtenu en juin.

SNC-Lavalin n'ayant finalement obtenu le contrat du CUSM qu'au printemps 2010, soit plus tard qu'anticipé, une seconde version du contrat avait alors été rédigée et signée, en modifiant en conséquence les dates de paiements, étalés cette fois entre avril et juin 2010.

La signature de M. Denom aurait cependant été cette fois imitée, selon l'enquêteur, et le document antidaté non plus de juin, mais de septembre 2009. Ce dernier changement apparaît incongru, puisqu'il s'agissait officiellement d'embaucher un agent commercial pour un contrat obtenu en juin. Et, incongruité supplémentaire : le mot septembre sera par la suite modifié pour novembre afin de correspondre au moment de la création d'Asset Management... mais sans pour autant régler la première incongruité.

Entre-temps, M. Morris avait mis sur pied, le 2 février 2010, au bénéfice des frères Elbaz, Pan Global Holdings, qu'un contrat prévoyant le partage en parts égales des sommes provenant de SNC-Lavalin, et signé par ce même Morris, liait à Sierra Assets depuis le 2 septembre 2009, soit avant que ces deux compagnies coquilles ne soient mises sur pied.

« À partir du moment où un dollar, par exemple, entrerait dans le compte de Sierra Managment, il serait automatiquement divisé en deux parts égales entre Sierra Managment - Arthur Porter - et Pan Global Holdings - les frères Elbaz. » — Le sergent-enquêteur Jean-Frédérick Gagnon

Le premier versement par SNC-Lavalin dans le compte d'Assets Management a eu lieu lieu le 22 avril, soit 21 jours après l'obtention du contrat du CUSM par le consortium SNC-GISM. Les versements suivants s'étaleront sur une période d'un an et demi.

L'escouade Marteau a établi que les seules activités financières d'Assets Management et Pan Global sont liées à ces versements. L'enquêteur Gagnon a aussi noté que, des 11,25 millions d'Arthur Porter, près de 10 millions seront par la suite transférés dans une autre coquille, soit Regent Hamilton Lumley Association, détenue par son épouse Pamela Porter.

Les principaux acteurs dans ce dossier:

  • Pierre Duhaime, ex-PDG de SNC-Lavalin;
  • Riadh Ben Aïssa, ex-vice-président construction de SNC-Lavalin, actuellement détenu en Suisse;
  • Arthur Porter, ex-directeur général du CUSM et président du comité de sélection du projet, actuellement détenu au Panama;
  • Yanaï Elbaz, ex-DG adjoint et responsable de la planification, du redéploiement et de l'immobilier au CUSM;
  • St. Clair Armitage, responsable du PPP au sein du CUSM, qui fait l'objet d'un mandat d'arrestation depuis peu.

Lorsque SNC découvre le pot aux roses

L'enquêteur Gagnon a expliqué que ce n'est qu'en décembre 2011 que les pratiques douteuses de MM. Duhaime et Ben Aïssa ont commencé à s'ébruiter au sein de SNC-Lavalin, et encore, pour un dossier qui n'avait rien à voir avec le CUSM.

Le chef des affaires financières Gilles Laramée et le responsable de SNC-International Michael Novak ont alors dénoncé au C.A. de l'entreprise les deux hommes pour avoir tenté d'obtenir leur autorisation pour des paiements de 34 millions à des agents commerciaux étrangers, sommes qui auraient en fait été destinées à l'obtention d'un contrat en Alberta.

Puis, début 2012, le contrôleur des finances de SNC-Lavalin Construction - dirigée par Ben Aïssa - est emporté dans la foulée de révélations sur les liens que la firme entretenait avec la famille de l'ex-dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, mais non sans prendre la peine de remettre à M. Laramée des « contrats problématiques », dont celui de Sierra Asset Management.

Le C.A., alarmé, a alors confié une enquête interne au cabinet Stikeman Elliot, ce qui se soldera par une plainte formelle aux autorités et l'ouverture par Marteau de l'enquête Lauréat, le 26 mars 2012.

L'opération Lauréat s'est soldée par le dépôt d'accusations de complot, de corruption, de fraude, d'abus de confiance, d'usage de faux et de recyclage de produits de la criminalité contre MM. Duhaime, Ben Aïssa, Porter et Elbaz.

Des pratiques déloyales

MM. Noël et Desrosiers ont expliqué la semaine dernière comment le consortium SNC-GISM l'a finalement emporté sur son rival PCUSM, dirigé par la firme espagnole OHL, grâce à la complicité de MM. Porter, Elbaz et Armitage.

Ils ont décrit comment ces derniers ont manipulé le processus d'appel de propositions au profit du consortium mené par la firme de génie québécoise.

SNC-GISM a finalement emporté la mise en utilisant les croquis de son rival, que Yanaï Elbaz avait remis à Riadh Ben Aïssa, et en obtenant une dérogation à l'insu de PCUSM pour construire un stationnement hors terre, ce qui bafouait une fois de plus les règles de l'Agence des PPP.

Cette dérogation, qui lui a permis d'économiser 25 millions de dollars, a pu être obtenue grâce à la complicité de l'arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce.

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