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Et si Berlin prenait la pose pendant un siècle...

Et si Berlin prenait la pose pendant un siècle...

Une photo capture d'habitude un instant fugace mais que révélerait-elle si le temps de pose était d'un siècle entier ?

Cette question un peu folle est à l'origine du projet "Century Camera" de Jonathon Keats, un artiste conceptuel américain qui s'est fait connaître en tentant de créer Dieu génétiquement ou en se lançant dans le porno pour plantes.

A l'aide de quelques dizaines d'appareils photo au temps d'exposition ultra long, il souhaite enregistrer l'évolution du paysage urbain de Berlin au cours des cent prochaines années.

En échange de 10 euros, l'artiste de 42 ans, qui vit entre San Francsico et le nord de l'Italie, invite les volontaires à s'emparer de l'un de ses 100 appareils photo miniature et à les placer dans des endroits stratégiques de la capitale allemande.

Pour pimenter le défi, il leur demande de garder le silence sur l'emplacement de leur "capsule photo-temporelle" et de ne le révéler qu'à un âge avancé à un enfant capable d'attendre l'âge adulte pour le récupérer.

M. Keats promet que ceux qui se présenteront dans 100 ans à ses associés, l'équipe de la galerie berlinoise Team Titanic, se verront rembourser les 10 euros engagés et gagneront le droit de voir leurs clichés exposés.

Une date de vernissage est même d'ores et déjà annoncée: le 16 mai 2114.

"Je ne serai pas là", a confié sans rire l'artiste, lors d'un entretien à l'AFP.

Se revendiquant philosophe expérimental, il souhaite voir ce que le fait de "confier un appareil photo à ceux qui ne sont pas encore nés" engendre comme réflexion chez ceux qui aujourd'hui vont s'interroger sur l'héritage des décisions qu'ils prennent pour la ville.

"Les premières personnes qui verront ces photos seront ces enfants qui n'ont même pas encore été conçus", souligne M. Keats. "Ils sont impliqués par les décisions que nous prenons mais ils n'ont aucun pouvoir. Si quelqu'un a le droit de nous espionner, ce sont bien eux, nos héritiers", dit-il.

Car, ce qu'il souhaite instaurer, c'est bien, décrit-il, une "surveillance" - un mot dont il a bien conscience de la "lourde charge" émotionnelle mais qu'il utilise à dessein.

Il souhaite en fait ouvrir le débat, particulièrement après le scandale des révélations sur l'espionnage de masse pratiqué par les Etats-Unis, une option qu'il préfère à celle d'une simple critique sociale du phénomène.

"Rien n'est caché ici, hormis ce qui passe pour les appareils photo eux-mêmes", souligne-t-il.

Le procédé est simple et ambitionne évidemment la longue durée: les boitiers en acier de M. Keats utilisent une feuille de papier noir, plutôt qu'une pellicule, qui doit être peu à peu impressionnée par la lumière passant par un objectif de la taille d'une tête d'épingle.

"Si l'appareil est dirigé vers un bloc de maisons et que ces dernières sont ratissées au bulldozer après 25 ans pour laisser la place à un gratte-ciel, nous ne verrons que les fantômes de ces maisons, leurs ombres", prédit-il.

"Le gratte-ciel sera encor plus impressionnant, il y aura un effet de surimpression", estime M. Keats, selon qui le quotidien de l'activité humaine ne devrait pas apparaître sur les clichés.

L'artiste, qui lors de précédentes expériences, s'est essayé au ballet pour abeilles et au visionnage de documentaire de voyage par des plantes, concède que de nombreux clichés pourraient ne pas aboutir.

"La technologie n'a jamais été expérimentée, c'est pourquoi nous nous fondons sur des hypothèses", affirme-t-il.

Mais cela ne l'empêche pas de déjà penser à implanter le projet de "l'appareil-photo du siècle" dans d'autres villes et il espère même intéresser les Nations Unies.

Depuis la chute du Mur, il y a 25 ans, Berlin traverse une période de profondes mutations et c'est l'une des raisons qui ont présidé au choix de cette ville pour y lancer vendredi le projet.

Il va falloir maintenant définir les meilleurs points de vue pour une observation séculaire.

"Cela va être intéressant de voir si les gens choisissent un endroit très connu comme le Mur de Berlin ou s'ils préfèrent leur petit coin de jardin", s'enthousiasme Julia Schulz, de la galerie Team Titanic.

kjm-elr/fjb

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