Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Au milieu des ruines, pleurs et prières à la tombe du "saint" de Homs

Au milieu des ruines, pleurs et prières à la tombe du "saint" de Homs

Dans le Couvent des pères jésuites, un coin de paradis au coeur du Vieux Homs dévasté, des habitants se recueillent devant la tombe du père Frans, prêtre néerlandais à la bonté légendaire abattu il y a un mois dans la cité syrienne.

Sa sépulture bien entretenue dans un petit carré de jardin, là même où il aimait s'asseoir, est devenue un lieu de pèlerinage pour tous ceux qui ont connu ou entendu parler de Frans van der Lugt.

Le prêtre, âgé de 75 ans lorsqu'il a été tué par un inconnu le 7 avril, avait choisi de rester avec les civils pendant les deux ans de siège de la vieille ville par le régime, malgré les privations et les raids. Il avait même lancé un appel à l'aide internationale pour la population en détresse dans une vidéo sur YouTube.

"Il était un saint tellement il était serviable", assure Kinan Mitri, chargé par le couvent de recueillir des témoignages en vue d'un ouvrage sur le jésuite, seul prêtre et seul occidental à être resté dans le Vieux Homs assiégé. "Il s'est sacrifié pour les autres".

Les visiteurs, qui affluent par dizaines tous les jours, n'arrivent pas à contenir leurs larmes. Certains font le signe de croix, d'autres sont plongés dans une triste méditation.

"Il prenait sur son vélo mon père malade à l'hôpital (de campagne des rebelles) malgré les bombardements", se rappelle, ému, un homme qui n'a pas souhaité s'identifier. "Il répétait 'je ne suis pas Syrien mais j'aime la Syrie comme mon propre pays. Je serai le dernier à quitter les lieux'".

A l'AFP qui l'a contacté en février via Skype, il avait confié vouloir "partager" la peine du peuple qui lui a "tant donné".

Près de la tombe ornée de fleurs se dresse un grand portrait de lui souriant, un enfant s'accrochant à sa jambe. Sur le livre de condoléances on peut lire "Paix soit à ton âme, toi, symbole de l'humanité".

Même les plus jeunes gardent un souvenir indélébile du prêtre qui, durant ses 50 ans en Syrie, avait lancé des projets agricoles en faveur des démunis et célébré des prières entre chrétiens et musulmans.

"Pour la fête des Rameaux en 2012, il est allé sous les bombes, du couvent ici à Boustane al-Diwane, jusqu'à chez nous à Bab al-Sebaa pour célébrer la messe car tous les prêtres étaient partis", raconte Charbel, un jeune roux de 15 ans, en référence à deux ex-quartiers rebelles.

Une des images que les gens gardent en mémoire est celle du prêtre distribuant à vélo des bidons d'eau et du pain aux familles terrées chez elles.

Dans le couvent en pierre datant du XIXe siècle, sa petite chambre toute simple est restée telle quelle, avec un matelas pour dormir, un portrait de la Vierge et l'Enfant et une étagère remplie de livres.

Il était également à l'écoute des personnes souffrant de forte dépression, ayant suivi une formation de psychothérapeute.

"Je lui confiais mes secrets et il me consolait, c'était un père pour moi", affirme Joumana, une musulmane accueillie avec sa soeur et leurs enfants dans le couvent pendant des mois.

"Il ne faisait aucune distinction entre chrétiens et musulmans et on célébrait toutes les fêtes ensemble", dit cette femme de 35 ans au voile noir qui a perdu son mari dans un raid.

"Une fois, il a cherché pour les enfants une petite piscine gonflable ici dans le patio. Il était fou de joie à les voir barboter dans l'eau", se rappelle-t-elle. "Quand ils pleuraient à cause des raids, il inventait des jeux pour les distraire".

Au début du siège, il accueillait dans le couvent un grand nombre de déplacés avant que la majorité ne quitte en février.

Son meurtre n'a pas été élucidé; on parle d'un homme cagoulé venu frapper à sa porte avant de l'abattre et de fuir. Des voisins l'ont découvert baignant dans son sang, une balle dans la tête. Régime et rebelles se sont accusé mutuellement d'avoir commandité l'assassinat.

Après sa mort, une poignée de gens sont restés, dont Marie, qui faisait la cuisine avant de connaître la disette durant le siège. D'ex-locataires s'avancent vers elle et l'un d'eux lui lance affectueusement "t'as bonne mine maintenant", avant de lui remettre du pain.

"Grâce à Dieu", répond-elle. "Mais c'est père Frans qui nous manque". Les yeux se rougissent, dans un silence pesant.

ram/tp

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.