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Après la catastrophe, jour de peine et de colère à Soma

Après la catastrophe, jour de peine et de colère à Soma

Un cercueil passe de mains en mains au-dessus de la foule se bousculant dans le cimetrière. Un linceul blanc en est extirpé et enseveli. Puis un autre cercueil est déposé à côté. Deux jours après le drame Soma enterre ses mineurs, entre peine et colère.

Une heure avant la prière de la mi-journée, des milliers d'habitants de la ville ont déjà rallié le cimetière municipal. Sous le soleil ils sont assis autour des tombes fraîchement creusées. Trois rangées d'une vingtaine de fosses, au fond desquelles s'affairent encore les employés municipaux avec pioches et pelles.

Un peu en retrait, Fethiye Kudu observe le ballet mortuaire. "Mon mari aussi est mineur, mais dans une autre mine", dit-elle. "Je suis venue par solidarité. Pour nous tous, c'est très difficile".

"J'ai perdu un ami dans l'accident", confie Cana, une autre femme voilée assise sur une chaise en plastique près des alignements de tombes. "Je suis triste mais je ne suis pas fâchée", s'empresse-t-elle d'ajouter, "ce qui s'est passé, c'est Dieu qui l'a voulu".

Au milieu des cris, une autre dépouille est portée en terre. Portant un paquet de petites étiquettes jaunes un employé tente de remettre un peu d'ordre dans la cohue. Sur chacune est inscrit le nom des quelque 300 victimes de la pire catastrophe minière jamais survenue en Turquie.

Toute la matinée, les hauts-parleurs de Soma ont déversé dans les rues des avis de décès : "Son père, sa mère, son frère vous annoncent la mort de leur cher fils Yusuf Bak. Ses funérailles auront lieu après la prière de midi..."

Au coeur de la cité minière de 100.000 habitants, la plupart des commerçants s'apprêtent à baisser leur rideau. Tous arborent un petit mot sur leur devanture "Que votre âme soit en paix".

"Enormément de gens sont morts, j'ai beaucoup de collègues commerçants qui ont perdu un ou plusieurs parents", explique Mustafa Yuzgun, qui s'apprête à fermer sa boutique de téléphones portables. "Et il y a encore de nombreux mineurs qui ne sont pas sortis du fond", ajoute-t-il, "ça fait très mal".

En ce jeudi Soma pleure ses morts. Mais la ville gronde aussi. Dès les premières heures après l'explosion dans un des puits de sa mine de charbon, les accusations pleuvaient sur l'entreprise Soma Kömür critiquée pour manquement à ses obligations les plus élémentaires de sécurité.

La colère a explosé mercredi pendant la visite du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, chahuté et accusé, avec son gouvernement, de faire primer la rentabilité et le profit sur la sécurité de ses "gueules noires".

"J'ai des élèves qui ont perdu des parents dans l'accident. C'est très dur d'en parler", enrage Emek Öz. A l'appel de tous les syndicats turcs, cette enseignante s'est mise en grève. "Tout ça, c'est la faute de ceux qui font travailler tous ces gens, tous ceux qui les exploitent pour le compte de l'Etat", fustige-t-elle.

Même au cimetière de Soma, le deuil et la douleur des familles n'ont pas suffi à couvrir la rage et les imprécations des proches des victimes.

Assise à l'ombre des arbres avec ses amies, Gülhane Celik est venue soutenir toutes les femmes ayant perdu un fils ou un mari.

"J'ai deux fils, un de 43 ans, un autre de 35 ans, qui travaillent à la mine", raconte la sexagénaire, "si simplement on faisait plus attention aux travailleurs nous ne serions pas dans la peine aujourd'hui".

La photo de son neveu épinglée à la boutonnière, Tahsin Ikiz est encore plus vindicatif.

"C'est un drame pour Soma, et si nous sommes si tristes aujourd'hui, c'est parce que c'est un meurtre qui a eu lieu", a accuse le vieil homme. "C'est un meurtre parce qu'on a négligé la sécurité et la santé des gens", selon lui.

A quelques mètres un imam récite des versets du Coran devant la foule recueillie. Ils ne suffiront pas à apaiser M. Ikiz. "Non, ce n'est pas un accident que l'on pleure aujourd'hui", marmonne-t-il, "c'est un meurtre".

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