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Commission Charbonneau: l'entrepreneur Louis Marchand de Maskimo dénonce l'hypocrisie des partis

Louis Marchand de Maskimo dénonce l'hypocrisie des partis
CEIC

Le propriétaire de Maskimo Constructions a dénoncé l'influence des politiciens dans l'octroi de contrats de pavage par le ministère des Transports. Selon Louis Marchand, cette situation explique pourquoi les partis politiques ont fait si longtemps du financement sectoriel, une pratique avec laquelle il a rompu, par principe, en 2009.

Un texte de François Messier

« Le financement sectoriel? Regardez, on est dans l'industrie depuis 1957. La fameuse loi de M. Lévesque sur le financement populaire, c'est un mythe. Je pense que c'est le plus grand drame d'hypocrisie collective au Québec », a lancé M. Marchand à la procureure en chef Sonia LeBel au début de son interrogatoire.

« Tous les partis politiques, tout le monde sollicite les gens qui travaillent avec le gouvernement. Ce n'est pas seulement les entrepreneurs en construction, puis c'est vrai que ça existe. »

— Louis Marchand, au sujet du financement sectoriel

Selon M. Marchand, qui a acheté de son père en 2008 l'entreprise basée à L'Épiphanie, les individus qui assistent à des évènements de financement politique - entrepreneurs, ingénieurs, mais aussi comptables et avocats - sont toujours les mêmes, peu importe le parti qui les organise.

« Ça fait qu'on ne peut pas dire que c'est pour des convictions politiques. Même moi, j'en ai fait pour les trois partis différents. », a-t-il dit.

Des partis hypocrites, dit Marchand

M. Marchand s'est dit outré par le double langage des partis politiques comme le PLQ, le PQ ou l'ex-ADQ, qui s'accusent l'un l'autre de faire ce type de financement et a donné en exemple des cocktails auxquels il a participé au nom de Maskimo pour l'ex-chef du PQ Pauline Marois et la libérale Julie Boulet.

Ainsi, a-t-il expliqué, il a participé en 2008 ou 2009 à un cocktail de financement privé pour Pauline Marois, regroupant une quinzaine d'entrepreneurs ou d'ingénieurs, à la demande de l'entrepreneur Normand Trudel. Il a cependant dit y avoir contribué par un prête-nom, par crainte de répercussions du côté du PLQ.

M. Marchand, qui a aussi plusieurs fois participé à des cocktails de la libérale Julie Boulet, a expliqué qu'il avait cependant refusé de participer à l'un d'eux en 2004, déçu du peu de contrats obtenus jusqu'ici du MTQ. Il avait alors été appelé directement par celle qui était alors ministre déléguée des Transports, qui déplorait sa décision.

« Elle était très très très déçue qu'on ne participe pas à son évènement de financement », lui aurait-elle dit.

Il dit avoir par ailleurs été surpris d'être à nouveau sollicité en 2012 par Amina Chaffaï, l'attachée politique de Mme Boulet, alors que les scandales de financement éclataient dans les médias. M. Marchand a refusé d'y participer.

« Si on y allait, c'était pour Mme Boulet et pour l'intérêt de Maskimo. »

— Louis Marchand

Le prix à payer lorsqu'on ne paye plus...

M. Marchand a attribué ses difficultés, depuis sept ou huit ans, à ouvrir une carrière à La Tuque à son refus de continuer à faire du financement politique. Il dit avoir eu toutes sortes de problèmes qu'il n'aurait pas eus autrement avec la ville et le ministère des Transports, dirigé au début de cette période par Julie Boulet.

« Si j'avais continué à financer, ça ferait longtemps qu'elle serait partie, la carrière (...) C'est clair qu'il y a de la politique en haut de ça. »

— Louis Marchand

« Quand on a arrêté de contribuer. Il n'y avait plus de rencontres, plus de communications avec le bureau de Mme Boulet ou peu importe », a expliqué M. Marchand. « Tous les autres députés, c'était la même chose ».

« (Avant), quand on avait des problèmes », a-t-il expliqué, « on pouvait contacter un politicien, on pouvait contacter quelqu'un pour expliquer notre problématique. Maintenant, on ne contacte plus personne, parce qu'on sait qu'on va être rappelé pour financer, et la roue va repartir. Alors on essaie de régler nos problèmes nous autres mêmes. »

Mais régler ses problèmes seul ne va pas de soi, dit M. Marchand, qui dit avoir constater que les délais administratifs s'allongeaient depuis qu'il ne financait plus la classe politique, ce qui le mettait en situation désavantageuse face à des concurrents bénéficiant du politique pour faire pression sur l'administration.

« Ça aurait probablement été la même chose avec un autre ministre ou le Parti québécois. Ca a toujours fonctionné comme ça. »

— Louis Marchand

Julie Boulet a été ministre déléguée aux Transports de septembre 2003 à décembre 2008, puis ministre des Transports jusqu'en août 2010. Le portefeuille des Transports a sinon été détenu de 2003 à 2005 par Yvon Marcoux puis par Michel Després jusqu'à l'arrivée en poste de Mme Boulet. Après 2010, cette dernière sera ministre à l'Emploi et à la Solidarité sociale jusqu'en 2012, ainsi que responsable de la Mauricie. Elle est toujours députée libérale de Laviolette, mais n'a pas été inclu dans le cabinet formé par le nouveau premier ministre Philippe Couillard.

Des contrats à la merci du politique?

En fin d'après-midi, M. Marchand a déploré que le MTQ s'obstine à accorder des contrats tarifés dans la région de la Mauricie-Centre-du-Québec et n'a pas écarté l'idée que leur attribution puisse être liée à des questions de financement politique. « En jouant avec les règles, ils sont capables de décider qui va avoir le projet », a-t-il laissé tomber.

La commission a d'ailleurs montré, grâce à un tableau, que Maskimo n'a plus obtenu de contrats tarifés à compter de 2009, année où M. Marchand a décidé de cesser de contribuer à des partis politiques. Ses concurrents ont cependant continué à en recevoir.

« On joue avec la règle. Des projets qui sont à 20 km de mon usine, on les octroie comme en 2006 en tarifés », a-t-il déploré, « puis en 2008, un projet qui est juste en face de mon usine à Trois-Rivières sur l'autoroute 40, on l'octroie en soumission publique ».

Selon le propriétaire de Maskimo, si la décision du MTQ d'attribuer sans appel d'offres ces contrats de pavage de moins d'un million $ peut se justifier en région éloignée où l'absence de concurrence ne permet pas de tirer les bénéfices du libre marché.

Mais agir de la sorte dans sa région est « ridicule », soutient-il.

Il y existe, dit-il, assez d'usines pour que laisser libre cours au jeu de la concurrence soit profitable pour le MTQ. De plus, dit-il, ces dernières n'ont pas besoin de ce type de contrats du gouvernement pour se maintenir en vie, contrairement à d'autres ailleurs au Québec, puisqu'elles produisent toutes un tonnage suffisant pour que leur rentabilité ne soit pas compromise.

Dès 2004, dit-il, son père avait dénoncé la situation, dans une lettre à la ministre déléguée des Transports Julie Boulet.

Il se demandait alors pourquoi le ministère avait accordé un contrat sans appel d'offres de 1 million de dollars dans la région de Portneuf alors que, selon lui, un contrat lancé en appel d'offres publics aurait pu faire baisser les coûts de 20 % ou 30 %. Cette démarche est cependant restée vaine.

Des dons considérables

Selon des données recueillies par la commission Charbonneau, les employés de Maskimo Construction et d'autres résidant à la même adresse qu'eux ont donné 98 895 $ aux trois grands partis politiques du Québec entre 1998 et 2011.

Le Parti libéral s'est taillé la part du lion de cette manne, en recevant 62 700 $. Le PQ a reçu 32 020 $. Le tableau de la commission montre clairement que le parti politique au pouvoir était favorisé.

« On ne finance pas pour obtenir des contrats mais pour éviter d'avoir des problèmes si on ne le fait pas. »

— Louis Marchand

Un autre tableau préparé par la commission montre que les cinq entreprises ayant des usines d'enrobés bitumineux du pavage en Mauricie - Maskimo, Bourget/Routek, Pavage Portneuf, Pavage Boisvert et Pavages Continental - ont donné pas moins de 427 000 $ au Parti libéral entre 1998 et 2011.

L'essentiel de ces sommes ont été versées entre 2003, année où le Parti libéral a pris le pouvoir, et 2009.

Des sollicitations incessantes des partis

« C'est certain que quand un parti est au pouvoir, que le député dans ton comté est au pouvoir, c'est automatique : tu te fais appeler chaque année pour les évènements de financement. C'est pas évident de dire non. »

— Louis Marchand

« Pis c'est pas toujours ces gens-là aussi », a poursuivi M. Marchand. « Des fois, c'est des firmes de génie-conseil qui t'appellent. Des fois, c'est un entrepreneur en construction qui est un client chez toi qui t'appelle. »

« T'es toujours mal placé pour dire non. Ils ont le don de trouver une personne qui a un levier sur toi. Fais que t'embarques. Mon père n'a pas fait mieux ou pire que les autres. Il a fait ce que tout le monde faisait : tu dis oui, pis tu vas au cocktail de financement politique. »

« Ces gens-là appellent Louis Marchand, pas chez moi, à ma résidence. Ils m'appellent toujours Louis Marchand, président-directeur général de Maskimo. Ils m'appellent à mon travail. »

— Louis Marchand

M. Marchand a soutenu que les contributions aux partis politiques permettaient aux entrepreneurs de se faire voir et d'être connus des politiciens, ce qui pouvait s'avérer utile en cas de problème, avec le ministère des Transports du Québec (MTQ) par exemple.

Il soutient toutefois qu'au milieu des années 2000, le choix de contribuer ou non n'existait pas vraiment. « À cette époque-là, t'étais mieux de financer pour ne pas avoir de problème », a-t-il dit. « Si t'as dit non, tu peux en subir les conséquences ».

« Ça a toujours fonctionné comme ça », soutient M. Marchand qui explique que tous les élus provinciaux étaient mal à l'aise de faire de la sollicitation d'entreprises, mais qu'ils avaient de fortes pressions pour atteindre leurs objectifs de financement.

« Tous les députés trouvent ça l'enfer. »

— Louis Marchand

M. Marchand a précisé qu'il n'a en fait financé qu'un seul politicien par conviction, soit Jean-Paul Diamond, qui a été député libéral de Maskinongé en 2008 et en 2012. M. Diamond avait été vice-président au développement des affaires de Maskimo avant de se briguer les suffrages.

Il a également précisé que, dans 90 % des cas, ce sont les dirigeants de Maskimo qui étaient appelés à contribuer aux partis politiques. Ces derniers n'étaient que rarement remboursés, dit-il, puisqu'ils étaient prévenus que cela était pris en compte dans leur salaire.

En plus d'être propriétaire de Maskimo Constructions depuis 2008, M. Marchand a été le président-directeur général de l'entreprise jusqu'à l'été 2013. Il s'est retiré de la gestion quotidienne de l'entreprise pour poursuivre ses études en administration à Denver, au Colorado. Il assure toutefois qu'il suit ses activités de près.

M. Marchand reviendra mardi pour son contre-interrogatoire.

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