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Nigeria: comment Boko Haram a touché les points sensibles de la communauté internationale

Comment Boko Haram a touché les points sensibles de la communauté internationale
afp/ho

Soudain, tout le monde en parle. Boko Haram aura mis 12 ans à attirer l'attention de la communauté internationale, politiciens et stars du showbiz réunis. Angelina Jolie et Ashton Kutcher ont retenu le nom, faute parfois d'en connaître la signification (en langue Haoussa: "l'éducation occidentale est un péché"). Les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et même la Chine ont promis leurs assistance au gouvernement nigérian.

Pour cela, il aura fallu enlever plus de 200 filles et menacer de les vendre en esclavage.

En février, Boko Haram avait attaqué une école, tuant 59 personnes, principalement des élèves. Peine perdue. Mais cette fois, l'opération de com' est réussie. "Les yeux du monde sont enfin et fermement fixés sur la région Nord-Est du Nigeria", constate The Guardian.

Bousculades au premier rang

"Déchirant et scandaleux", Barack Obama ne mâche pas ses mots. La First Lady Michelle Obama lui a emboîté le pas sur Twitter en s'appropriant le hashtag #BringBackOurGirls (Ramenez nos filles).

De nombreuses autres personnalités se sont jointes à ce qui semble s'être transformé en véritable campagne. Hillary Clinton, Wyclef Jean, Sean Penn, Justin Timberlake: ils y ont mis tout leur poids.

Angelina Jolie est "dégoûtée" en les imaginant "là-bas, terrifiées, maltraitées et vendues".

#BringBackOurGirls a été tweeté plus d'un million de fois. Les filles enlevées sont devenues les filles du monde entier.

Représentée par l'ancien premier ministre britannique Gordon Brown, l'ONU veut soudain lancer un programme pour protéger les écoles au Nigéria.

"Il est scandaleux que cette affaire mobilise si peu", s'offusque pourtant Pascal Riché, co-fondateur de Rue89. "Pour devenir professeures, médecins ou avocates, ces jeunes filles ont pris le risque de se faire tuer, elles et leurs familles méritent toute notre admiration".

En un an, Boko Haram aurait fait presque 3 000 victimes, soit environ autant que les attentats du 11 septembre 2001. Jusqu'à l'édito de Pascal Riché, Rue89 n'avait publié qu'un seul article mentionnant "Boko Haram" dans le titre.

Du silence au vacarme

Google Trends est catégorique: Jusqu'en avril 2014, le monde (de Google) ne faisait pas grand cas de Boko Haram. L'enlèvement des lycéennes a fait exploser le nombre de recherches sur la plateforme américaine.

"C’est pour ça d’ailleurs que vient la communauté internationale désormais", annonçait une journaliste sur France Info jeudi matin. Pour quoi, exactement?

Le monde (de Google) semble être particulièrement sensible à une des nouvelles caractéristiques de Boko Haram: l'enlèvement, les filles, la traite humaine.

Comme si la possibilité de sauver les victimes transcendait les acteurs, les enlèvements mobilisent plus que les massacres.

Contrairement à d'autres groupes "terroristes", Boko Haram a longtemps laissé les enlèvements de côté. Jusqu'à celui du Français Francis Collomb (2012), puis du père Vandenbeusch (2013), Boko Haram "ne pratiquait pas les enlèvements des Occidentaux", rappelle le porte-parole de l'UNICEF Laurent Duvillier sur France Info.

Autre point sensible: la confession de la majorité des filles enlevées. "Pourquoi est-ce que ça a choqué: il faut savoir que les trois quarts des filles sont de confession chrétienne", affirme Julie Vandale au cours de la même émission. Le Nord-Est du Nigeria est une région à prédominance musulmane.

"Ce qu’il faut savoir, c’est que Boko Haram, quand il naît au début des années 2000, ne vise pas du tout les chrétiens, mais les forces de l’Etat comme la police ou l’armée, les symboles d’un Etat laïque", indiquait déjà Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement et spécialiste du Nigéria, en 2011.

Par ailleurs, l'Organisation internationale pour les migrations estime à 700.000 femmes, filles, hommes et garçons réduits en esclavage chaque année. Un total de 1,2 million d'enfants seraient actuellement victimes de la traite.

Rien de bien nouveau, donc. Sauf, peut-être un homme en treillis militaire qui, kalachnikov à la main, mélange les ingrédients et en parle au monde entier sur internet.

Selon Jean-Dominique Merchet, spécialisé dans les questions militaires, les organisations sont devenues de véritables "entreprises à communication massive".

"Le terrorisme a besoin des médias pour exister, c'est notre tragédie", avouait le journaliste sur i-Télé.

Dans son livre "Généalogie du terrorisme contemporain", Patrice Gueniffey mentionne "le lien étroit entre l’histoire du terrorisme et celle des moyens de communication".

"Depuis la fin du XIXe siècle, l’histoire du terrorisme accompagne les progrès techniques qui ont permis, d’abord une diffusion plus large et plus rapide de la presse, plus tard l’intégration de dessins, puis de photos, qui amplifiaient l’écho des attentats".

Le terrorisme veut provoquer la terreur. En 2003, au sommet de la politique sécuritaire américaine, la stratégie de la CIA mettait l'accent sur l'éradication de la peur du terrorisme plutôt que du terrorisme en soi: "Notre objectif sera atteint quand les Américains et les autres peuples civilisés pourront mener leur vie sans avoir peur d'attaques terroristes".

Alors, sans communication, la menace terroriste aurait moins d'impact.

Rien ne confirme que l'enlèvement des adolescentes est une opération de communication volontaire. Mais quoi qu'il en soit, ça a marché.

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