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«Les aiguilles et l'opium» au TNM: sublime et envoûtant

«Les aiguilles et l'opium» au TNM: sublime et envoûtant
Nicola-Frank Vachon/TNM

Le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) frappe très, très fort en cette fin de saison en proposant Les aiguilles et l’opium, relecture de la pièce montée pour la première fois par Robert Lepage en 1991. L’œuvre consacrée a voyagé, à l’époque, un peu partout dans le monde (Japon, Suède, Hongrie, Pays-Bas), en français et en anglais, portée par Lepage lui-même. Puis, trop accaparé par ses autres projets, le metteur en scène a cédé son chapeau de comédien à Marc Labrèche. L’épopée aura duré six ans.

C’est ce même tandem qui reprend du service au TNM ce printemps, dans une version à couper le souffle, littéralement, du désormais classique qu’est devenu Les aiguilles et l’opium. Rarement aura-t-on perçu un murmure d’approbation aussi puissant que celui qui secouait l’établissement de la rue Sainte-Catherine jeudi, soir de première médiatique, au sortir d’une représentation théâtrale. Tout le gratin artistique s’était donné rendez-vous pour assister à ce qui s’annonçait déjà comme un grand cru, et tous avaient la mine réjouie, émerveillée, à la fin de la soirée. Sans exagération, sans flagornerie, on peut certes avancer que Les aiguilles et l’opium, c’est du grand art, du sublime, de l’impressionnant. Un événement avec un grand E et un des incontournables de l’année culturelle 2014.

Cube magique

L’histoire s’appuie sur le récit du destin de trois hommes. D’abord, Robert, un comédien qui, en 1989, souhaite guérir une peine d’amour en se rendant travailler à Paris. Dans sa chambre de l’hôtel La Louisiane, qui a jadis vu défiler Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et Juliette Greco, Robert panse ses plaies et cherche à se comprendre. On s’amuse beaucoup à le voir doubler un documentaire sur le passage du trompettiste Miles Davis à Paris, ce qui sert de prétexte pour inclure ce deuxième protagoniste, qui est en fait le célèbre musicien jazz. Miles Davis (ici incarné par Wellesley Robertson III, magnifique) follement épris de la Juliette Greco qu’il a croisée à Paris en 1949. À son retour à New York, l’artiste se jette dans l’héroïne (les aiguilles) pour oublier les splendeurs de la Ville Lumière. Et, pendant ce temps, Jean Cocteau quitte New York pour Paris et trouve refuge à sa façon dans la drogue (l’opium). Tandis que Robert, lui, désespère de renouer avec sa flamme perdue, partie à… New York. Les aiguilles et l’opium explore le talent, les peurs, mais surtout la souffrance de ces trois êtres que le temps sépare, mais dont les âmes se retrouvent intimement liées.

La grande particularité des Aiguilles et l’opium, c’est sa scénographie, épatante dès les premières minutes. C’est que les personnages évoluent dans un cube ouvert, suspendu on ne sait comment dans les airs. Au gré des tableaux, cette boîte bouge, se tourne et se retourne, se ferme pour offrir différentes perspectives. Elle laisse passer des images de Paris, de New York, expose le décor de la chambre d’hôtel ou d’autres lieux qu’on identifie au premier coup d’œil. Et les acteurs se déplacent avec aisance dans cet espace souvent en mouvement, y entrent et en sortent par des portes ou des fenêtres, jouent dans toutes sortes de positions hasardeuses et sont intégrés aux projections. Ici, Marc Labrèche s’envole dans un ciel constellé. Là, il est aspiré par une spirale de noir et de blanc. Plus tard, Wellesley Robertson III reçoit une injection d’une aiguille simplement dessinée sur l’une des parois du cube. Le procédé et les effets sont de toute beauté et, même au bout de l’heure quarante que dure la pièce (sans entracte), on ne se lasse pas.

Labrèche transcendant

L’ensemble des Aiguilles et l’opium est aussi conduit par un propos fort, qui ne repose pas seulement sur des envolées lyriques intarissables (elles sont rares), mais surtout sur des émotions savamment transmises par Marc Labrèche et Wellesley Robertson III, même si le rôle de ce dernier est muet.

Quelques moments se démarquent particulièrement, comme la lecture de la Lettre aux Américains de Jean Cocteau, récitée d’entrée de jeu, l’énumération des jalons forts de l’histoire du Québec par Robert (il faut entendre ses explications entourant le référendum de 1980, absolument savoureuses) ou encore l’emploi, par Cocteau, de l’image d’un train en marche à vive allure vers la mort pour dépeindre la vie. L’opium, pour lui, constitue une descente de ce train impossible à arrêter.

Les textes de Robert Lepage ne sont pas hilarants d’emblée, mais le génie comique de Marc Labrèche, qui se peaufine sans cesse avec les années, fait le travail et on est enclin à rire dès qu’on devine une réplique drôle aux commissures de ses lèvres. Le ton nasillard qu’il accole à son interprétation de Jean Cocteau en a fait s’esclaffer plusieurs dès le départ. Ce qui ne veut pas dire que le comédien ne sait pas être émouvant; lorsque son Robert raconte comment sa peine de cœur l’étouffe et lui fait craindre l’avenir, on est sitôt bouleversé et on se prend à revisiter nos propres souvenirs de blessures sentimentales. Les aiguilles et l’opium vient assurément jouer dans toutes les zones de nos sensibilités! Comme d’habitude, le charisme de Labrèche transcende tout le reste et n’aurait sans doute pas besoin des fantaisies visuelles de Robert Lepage et sa compagnie Ex Machina pour briller, mais le mariage de son habile performance et des prouesses multimédia se révèle simplement envoûtant.

Les aiguilles et l’opium tient l’affiche du TNM du 6 au 31 mai, et des supplémentaires ont été ajoutées du 3 au 21 juin. Visitez le www.tnm.qc.ca pour plus de détails.

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