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Une nouvelle politique culturelle russe comme arme contre l'Occident

Une nouvelle politique culturelle russe comme arme contre l'Occident

Les autorités russes travaillent sur une nouvelle politique culturelle fondée sur les valeurs démarquant la Russie de l'Occident, un projet, en pleine crise sur l'Ukraine, que des observateurs dénoncent comme rappelant l'époque soviétique.

Cette nouvelle politique, dont la rédaction revient au ministère de la Culture, se base sur la thèse que "la Russie n'est pas l'Europe" et s'appuie sur de nombreuses citations des discours de Vladimir Poutine.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2000, le président se pose en homme fort du pays et en héraut du patriotisme russe.

Lors de sa séance de questions-réponses télévisées jeudi, il a consacré une longue tirade à "l'homme russe".

"Un Russe, ou plutôt une personne appartenant au monde russe, pense d'abord et avant tout qu'un homme a une haute destinée morale. Les valeurs occidentales sont (à l'inverse) que la réussite se mesure à la réussite personnelle", a-t-il dit.

Selon une première version du texte du ministère, révélée dans la presse, la Russie est à la croisée des chemins et doit faire un choix entre l'extinction culturelle et la sauvegarde de ses "fondements moraux et spirituels". La solution, "une politique culturelle d'Etat".

Le document est entre les mains d'un groupe de travail du Kremlin présidé par l'un des plus proches appuis de Vladimir Poutine, son chef de cabinet Sergueï Ivanov, un ancien agent du KGB récemment mis sur liste noire par les Etats-Unis.

Dans une interview au journal Kommersant, le ministre de la Culture, Vladimir Medinski a souligné que la Russie devait "protéger" sa culture des errements, selon, lui, de la culture contemporaine européenne.

"La Russie sera peut-être l'un des derniers gardiens de la culture européenne, des valeurs chrétiennes et de la véritable civilisation européenne", a-t-il affirmé.

Experts et universitaires dénoncent le projet.

"L'idée principale, c'est que nous devons nous défendre de l'Occident, que l'Occident est le diable", résume l'analyste politique Alexeï Makarkine.

"Les événements en Crimée (péninsule ukrainienne rattachée en mars à la Russie, ndlr) ont renforcé la tendance" déjà visible ces dernières années, poursuit-il.

Il cite pour exemple la loi adotée en 2012 pour obliger les ONG bénéficiant de financements étrangers et ayant une "activité politique" à s'enregistrer comme "agent de l'étranger".

A l'époque stalinienne, le terme était appliqué aux opposants réels ou supposés du régime, qui étaient alors fusillés ou envoyés dans les camps. Il était aussi employé par les autorités soviétiques dans les années 1970 et 1980 à l'égard des dissidents, accusés d'être à la solde de l'Occident.

"Nous vivions ainsi à l'époque soviétique. C'était apprécié par les conservateurs, ceux qui voulaient un monde confortable, hermétique sans choses irritantes comme l'art abstrait", poursuit l'analyste.

De leur côté, 25 professeurs de l'Académie des Sciences ont rejeté dans une lettre ouverte le concept d'une Russie étrangère à l'Europe.

Accusant le texte et son "idéologie d'Etat" de violer la Constitution russe, les professeurs ont regretté que le gouvernement, plutôt que de financer la recherche et favoriser les débats, ne préfère imposer une vision étrangère à l'histoire.

Le ministre de la Culture a tenté mercredi de calmer le jeu lors d'une conférence de presse.

La nouvelle politique culturelle sera mise en oeuvre par des experts et des personnalités respectées du monde de la culture, a affirmé M. Medinski.

Un expert, membre d'un jury d'attribution de bourses d'Etat aux artistes, s'est voulu rassurant, estimant qu'il pourrait prendre ses décisions en ne s'appuyant que sur des critères artistiques.

"Nous sommes des personnes indépendantes et réputées, pas une unité militaire", a dit cet expert, Edouard Boïakov.

"S'il y a de nouvelles pièces de théâtre", alors c'est que la nouvelle politique culturelle fonctionne, a-t-il déclaré. Mais "si nous finissons tous par écrire uniquement sur la Crimée, et en vers iambiques, alors c'est une autre question", a-t-il ironisé.

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