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Bataille idéologique et mémorielle sur le rôle de la France au Rwanda

Bataille idéologique et mémorielle sur le rôle de la France au Rwanda

Si Kigali accuse régulièrement la France d'avoir été un acteur du génocide, Paris a concédé des "erreurs d'appréciation" mais nie vigoureusement toute participation. Vingt ans plus tard, le rôle de la France avant, pendant et après le génocide rwandais fait toujours l'objet de thèses radicalement opposées.

Au début des années 90, la France est l'alliée du président hutu Juvénal Habyarimana, alors en butte à la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), basée en Ouganda.

Après une offensive du FPR déclenchée le 1er octobre 1990, Paris envoie plus de 300 soldats au Rwanda: c'est l'opération Noroît, à laquelle participe aussi l'ex-puissance coloniale belge.

L'objectif officiel est de protéger les ressortissants étrangers. Mais alors que la Belgique retire ses troupes un mois plus tard, les Français restent au Rwanda.

Les troupes françaises interviennent en soutien (sous forme de conseil, d'assistance et d'instruction) à l'armée rwandaise et aident à repousser le FPR vers ses bases ougandaises.

En 2008, une commission d'enquête rwandaise (commission Mucyo) accusera ces militaires français d'avoir participé dès février 1992 à la formation des milices interahamwe (extrémistes hutu, fers de lance du génocide).

Paris a toujours nié toute implication, mais cette présence militaire française controversée a été reconnue "à la limite de l'engagement direct" par la commission d'enquête parlementaire française, qui, en 1998, a conclu à des "erreurs d'appréciation" de la France au Rwanda.

Après les accords d'Arusha en août 1993, qui prévoient un partage du pouvoir entre hutu et tutsi, et le déploiement de la force de l'ONU Minuar, les soldats français se retirent, mais quelques dizaines de "techniciens" militaires resteront dans le pays.

La commission rwandaise Mucyo a souligné que dès le 7 avril 1994, au lendemain de l'attentat contre l'avion du président Habyarimana qui marque le début du génocide, les Français ont évacué plusieurs dignitaires du régime hutu, dont la veuve du président, Agathe, accusée d'avoir joué un rôle majeur dans la préparation du génocide.

Mme Habyarimana vit depuis en France, où elle fait l'objet d'une enquête pour complicité de génocide.

Mais la principale accusation rwandaise concerne l'opération Turquoise, lancée le 22 juin 1994, alors que le FPR tutsi gagne du terrain (il prendra Kigali le 4 juillet, marquant la fin du génocide). Paris, mandaté par l'ONU, envoie 2500 hommes pour établir une "zone humanitaire sûre" dans le sud du pays.

La France se dit neutre dans le conflit, mais milices et soldats rwandais ne sont pas désarmés et aucun génocidaire n'est arrêté.

Pour le pouvoir rwandais actuel, Turquoise a été un moyen déguisé de permettre à des milliers de génocidaires hutu de fuir vers le Zaïre. Pire, les soldats français ont été, selon le président Paul Kagame, "complices", mais aussi "acteurs" des massacres.

A Bisesero notamment, les Français ont laissé des rescapés tutsi à la merci des tueurs pendant trois jours avant d'intervenir, selon les témoignages d'un journaliste et d'un militaire français, gendarme et ex-membre des forces spéciales.

La commission Mucyo a également accusé des militaires de viols sur des tutsi (une plainte déposée par trois Rwandaises est instruite en France depuis 2009).

La France a rejeté ces "accusations ignominieuses", comme les qualifie Paul Quilès, qui présida la commission d'enquête parlementaire en 1998.

"Turquoise a permis de sauver une quinzaine de milliers de vies", s'est défendu le général Jean-Claude Lafourcade, chef de l'opération, tandis que l'ex-chef de la diplomatie Alain Juppé soulignait que "la France a été la seule puissance à agir".

La question des livraisons d'armes aux extrémistes hutu reste également un point lancinant. Edouard Balladur, Premier ministre français de l'époque, a toujours déclaré que son gouvernement avait "mis fin à toute livraison d'armes au Rwanda".

Mais un homme comme le capitaine Paul Barril, ex-gendarme de l'Elysée, est accusé d'avoir signé en mai 1994, au plus fort du génocide, un contrat d'armement de 3 millions de dollars avec le gouvernement hutu rwandais. Il fait l'objet d'une plainte pour "complicité de crimes contre l'humanité".

Le domaine judiciaire devient le terrain de la bataille idéologique et mémorielle qui se joue entre le Rwanda et la France, notamment à propos de la responsabilité - hutu ou tutsi ? - de l'attentat contre l'avion d'Habyarimana qui déclencha le génocide.

L'enquête du juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière met en cause des proches de Paul Kagame dans l'attentat. Les mandats d'arrêt internationaux qu'il signe en 2006 contre neuf proches du président rwandais entraîneront une rupture de trois ans des relations diplomatiques entre Kigali et Paris.

Le juge Marc Trevidic a repris l'enquête en 2007. Il s'est rendu sur place en 2010 pour des expertises balistiques, qui estiment que la zone de tir "la plus probable" est un site où se trouvait un camp hutu, mais sans pour autant formuler de conclusion sur l'identité des tireurs.

En matière de justice toujours, la France a longtemps traîné pour arrêter et juger les génocidaires présumés vivant sur son sol.

En mars toutefois, Pascal Simbikangwa, un ex officier rwandais, a été condamné à 25 ans de prison pour son rôle dans le génocide. Kigali a salué une "étape importante".

Mais dans une interview à l'hebdomadaire Jeune Afrique, le président Paul Kagame a minimisé la symbolique de cette condamnation.

cf/prh/hba/de

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