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Un poulet, un morceau de cochon: le prix d'un électeur en Indonésie

Un poulet, un morceau de cochon: le prix d'un électeur en Indonésie

Un poulet ou un morceau de cochon: tel est le prix d'un électeur sur l'île indonésienne de Sumba où l'on vit avec peu. Pratique courante dans l'archipel, l'achat de voix y est aussi plus acceptée que la corruption des élites.

Une série d'enquêtes d'opinion publiée avant les législatives du 9 avril montrent que l'honnêteté et la probité sont les vertus auxquelles les Indonésiens sont les plus attachés en politique.

Paradoxalement, ces enquêtes ont aussi révélé que des millions d'électeurs jugent acceptable l'achat de voix, pourtant illégal.

"Cette distorsion (de perception) est réelle", explique Sandra Hamid, responsable pour l'Indonésie de l'Asia Foundation, une ONG spécialisée dans la gouvernance et le développement.

"Les gens ne voient pas cette pratique comme de la corruption. Ils ne comprennent pas qu'en acceptant de l'argent (des candidats), ils contribuent à la corruption", analyse-t-elle.

Selon une étude récente de la fondation, plus de 40% des Indonésiens sont prêts à accepter de l'argent liquide ou un cadeau des mains d'un candidat aux législatives. Une autre étude porte cette proportion à 50%.

"Ils voient des sommes énormes impliquées dans des affaires de corruption à haut niveau, alors quand on leur offre 50.000 roupies (un peu plus de 3 euros), ils pensent +bon, je prends+", assure Sandra Hamid.

Un habitant sur deux dans la troisième démocratie du monde (250 millions de personnes) vit au-dessus, ou au niveau, du seuil de pauvreté de 2 dollars par jour.

Beaucoup s'entassent dans des bidonvilles géants, sans eau courante ni électricité.

Pendant les campagnes électorales, on leur distribue T-shirts, colis alimentaires et menue monnaie pour les inciter à se rendre aux meetings. Celui-ci terminé, on les ramène en bus à leur funeste réalité.

A une semaine du scrutin, le populaire parti Golkar tient le pavé à Jakarta. Des centaines de "sympathisants" font main basse sur les repas et les boissons gratuits. Ils confient avoir accepté 50.000 roupies pour venir.

Une majorité d'Indonésiens n'ont aucune confiance dans leurs représentants au Parlement, une institution souvent classée parmi les plus corrompue dans les comparaisons internationales même si des parlementaires coupables d'infractions au droit des marchés publics ou de détournements de fonds ont été condamnés à des peines de prison.

Le père Michael Keraf, qui dirige la Donders Foundation dans le sud-ouest de Sumba, mène une difficile bataille contre l'achat de votes, "oeuvre du diable", selon lui.

"Pour donner un exemple très simple, un poulet sur le marché coûte entre 5 et 10 dollars. Accepter un poulet d'un candidat, c'est accepter que votre dignité ne vaut guère plus qu'un poulet", explique le pasteur.

L'an dernier, une affaire de prévarication avait semé la mort et le chaos sur l'île de Sumba.

Des membres de la Cour constitutionnelle avait perçu des pots-de-vin pour valider l'élection d'un candidat, Markus Talu, contre le représentant sortant, Kornelius Kodi Metet. La collusion avait été éventée, provoquant des émeutes.

Quinze personnes avaient été tuées, la plupart à la machette, et 75 maisons brûlées. Un mois plus tard, le juge-président de la Cour constitutionnelle, Akil Mochtar, était arrêté mais il n'a pas été inquiété dans ce dossier.

"Je n'ai jamais soudoyé le juge, et la Cour constitutionnelle a pris sa décision, qui est définitive", se défend Markus Talu.

Mochtar est accusé d'avoir empoché 5 millions de dollars pour truquer neuf élections régionales.

Si le prix d'un électeur est modique, il faut se montrer plus généreux pour gagner la confiance de personnalités influentes.

Des dignitaires d'une minorité religieuse et leurs compagnes ont ainsi été récemment invités à la résidence d'un candidat aux législatives portant les couleurs d'un grand parti près de Jakarta. Ils sont repartis avec des cravates et des corsages et une enveloppe de 70 dollars chacun.

"Le candidat a promis de nous rendre la vie plus facile --en tant que minorité religieuse (dans le pays musulman le plus peuplé du monde, NDLR), nous connaissons de nombreux problèmes, surtout pour obtenir des lieux de prière", confie la femme d'un dignitaire requérant l'anonymat.

"Son intention était d'acheter nos votes et l'influence de mon mari. Je pense que c'est mal", dit-elle tout en admettant avoir accepté l'argent et réserver son bulletin de vote au candidat en question.

"J'aurais voté pour lui de toute façon, ça n'a rien à voir avec l'argent", assure-t-elle.

ad/sr/gab/pt

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