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Le magazine BEEF! est-il vraiment sexiste ?

Saignant et viril, le magazine français BEEF est-il sexiste ?
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"Ramassis de clichés", "gonflé à la testostérone", "boucherie sexiste", l'accueil réservé par une partie de la presse au nouveau magazine français BEEF!, dont le premier numéro sort ce jeudi 27 mars, fut pour le moins saignant. Il faut dire que dans son édito inaugural, son rédacteur en chef, Alexandre Zalewski, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère.

"La gent féminine a décidé de prendre le pouvoir au point que l'on retrouve aujourd'hui des femmes à la tête de multinationales de la high-tech et même de l'automobile," écrit-il. "Profitons-en pour reprendre la place laissée libre en cuisine. Nous pourrons ainsi réaffirmer nos valeurs et redonner à la viande rouge, aux féculents, aux matières grasses toute la place qu'ils méritent".

Entrecôte en couverture, le magazine baigne en pleine mythologie du bifteck et des frites, sauce Roland Barthes. "Aussi salé qu’une tirade réac à la Zemmour", canarde les Inrocks, "bourgeois bourrin" surenchérit Le Nouvel Obs. "Je ne pensais pas que ça ferait autant de buzz", raconte au HuffPost, Alexandre Zalewski qui reste bon joueur, même si "se faire comparer à Zemmour, c'est hard" confesse-t-il.

Puritains s'abstenir

Mais tournons la couverture, pour voir ce qu'il en est. Déclinaison française du magazine allemand du même nom, en bon culinaire masculin BEEF! propose des recettes à base de viande certes, mais pas seulement. Une interview in extenso du boucher bohème Yves-Marie Le Bourdonnec y côtoie un reportage sur une brigade de taulards étoilés dans une prison allemande, un autre sur le Ron Zacapa, rhum d'exception fabriqué dans les montagnes guatémaltèques, ou encore un focus sur le beurre Bordier.

La recette du culinaire masculin: de la barbaque, mais aussi de l'alcool, du gras, et des produits de qualité. Trop cliché? Le magazine saignant tomberait plutôt à point. "Ça touche quelque chose de réel des hommes dans la cuisine et de leur volonté de se distinguer des femmes", remarque le sociologue Daniel Welzer-Lang, auteur de Nous, les mecs, Essai sur le trouble actuel des hommes. Secoués dans leur identité, les hommes, ou à tout le moins, certains hommes, voudraient affirmer leur singularité dans leur manière de faire de la cuisine.

BEEF! un magazine sexiste?

La symbolique de la viande s'oppose alors à celle du légume telle une garantie nécessaire quand il s'agit d'investir une cuisine domestique qui relevait jadis des compétences de leurs compagnes. Car derrière ce gage de masculinité réelle ou fantasmée, pointe une autre réalité. "Il y a de plus en plus d'hommes qui mangent très peu de viande," précise Daniel Welzer-Lang, "tout comme il y a une véritable tendance à faire attention à son poids, une des formes du changement masculin aujourd'hui, c'est justement de cuisiner le légume":

Le message que BEEF ! adresserait donc aux hommes: vous pouvez faire à manger tout en restant viril. "À la première lecture, ça peut paraître sexiste", reconnaît le sociologue, "en réalité ça marche bien". D'autant plus que le magazine, qui affiche un prix de vente relativement élevé (7,50 euros) s'adresse à une clientèle aisée, plus proche du quadra affirmé que de l'étudiant qui s'interroge en quête d'identité.

Hypocrisie

Alors sexiste, BEEF? "Quand je vois ce que fait une certaine presse féminine, qui met par exemple systématiquement en avant les régimes à l'approche de l'été, ou publie à tour de bras des articles sur comment garder son mec, je me demande si l'on ne se trompe pas de cible", réagit Alexandre Zalewski.

Le magazine assume l'idée qu'hommes et femmes puissent ne pas avoir les mêmes goûts, et les mêmes manières de faire. Et d'une certaine façon, les faits lui donnent raison."On a pu remarquer qu'en matière de cuisine les hommes sont très machines", s'amuse Daniel Welzer-Lang, "l'exemple type, c'est la trancheuse pour la charcuterie". Une réalité que BEEF!, dont le premier numéro fait la part belle aux couteaux Laguiole, a bien sentie.

Il n'empêche, opposer comme dans l'édito les femmes et leurs machines à pain aux hommes qui préfèrent le pétrir, ce n'est pas bien méchant mais ça passe encore mal. "C'est surtout représentatif d'une société crispée sur les questions de genre après le débat sur le mariage pour tous, et les rumeurs sur la théorie du genre", analyse Alexandre Zalewski.

Pas mesquin, le rédacteur en chef a tenté de tempérer en citant le célèbre sketch de Florence Foresti associant les hommes aux steaks et aux patates. "On m'a rétorqué que je n'étais pas humoriste".

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