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De l'ex-Yougoslavie au Québec: ce que l'Histoire dit du référendum en Crimée

Ce que l'Histoire dit du référendum en Crimée
AFP

Le référendum sur un éventuel rapprochement de la Crimée à la Russie organisé dimanche 16 mars est-il légal ? Les experts en droit international ont toutes les peines du monde à tomber d'accord. "Pas illégal", dit un professeur à L'Express, toutefois contredit par une chercheuse interrogée par le Nouvel Observateur. Légale ou non, la consultation pilotée par Moscou va poser les bases du rattachement de la péninsule à la Fédération dirigée par Vladimir Poutine.

"Organiser un vote sur un territoire séparatiste, c'est déjà acquérir une part d'autonomie", souligne Francis Hamon, spécialiste du droit constitutionnel et des référendums interrogé par Le HuffPost. Une façon de forcer le destin qui a fait ses preuves.

En 1991, rappelle-t-il, plusieurs pays ont ainsi "volé" leur indépendance de la Yougoslavie en organisant des référendums non-reconnus par la Fédération. En Slovénie, et encore davantage en Croatie où la guerre fit rage pendant plusieurs années, la réplique de l'armée yougoslave contrôlée par la Serbie avait entraîné l'intervention militaire des Nations unies.

Il y eut également des tentatives, comme celles du Québec en 1980 et 1995. Contrairement au référendum organisé en Crimée, ces consultations sur la souveraineté au Québec -soutenues par les autorités locales- auraient pu contraindre le Canada au dialogue mais n'auraient pas décidé du sort de la province.

Pauline Marois a indiqué que le Québec ne reconnaîtra pas le résultat de la consultation en Crimée. Certains évoquent une certaine incohérence tandis que le gouvernement répète régulièrement sa volonté d'organiser une nouvelle consultation sur la souveraineté du Québec. Un récent sondage indique que 34% des Québécois voteraient en faveur de l'indépendance.

Le "précédent" kosovar

Et il y eu aussi des tentatives plus abouties. En 1991, les autorités alors clandestines du Kosovo organisaient un référendum pour une "République" indépendante. La consultation ne sera pas suivie d'effets à courts termes mais constituera les lointains prémices à la proclamation d'indépendance de la province serbe en 2008. C'est justement ce précédent historique que le Parlement pro-russe de Crimée a mis en avant le 11 mars pour déclarer son indépendance. Il a notamment cité l'avis consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice de La Haye en 2010 confirmant, à propos du Kosovo, "qu'une déclaration unilatérale d'indépendance d'une partie d'un État ne viole aucune norme du droit international".

Notons qu'en 2012, les Serbes du Kosovo ont répondu à la déclaration d'indépendance de 2008 en refusant de reconnaître les institutions du jeune État lors... d'un nouveau référendum. Une consultation là encore sans conséquence juridique mais qualifiée de "violation de l’ordre constitutionnel" par le Parlement kosovar.

Pour convaincre du bien-fondé de son intervention en Crimée et du référendum, la Russie s'emploie depuis plusieurs jours à convoquer le passé. Évoquant "la guerre de sécession en Amérique" et "la révolution française", la radio d’État russe écrit sur son site francophone :

"(...) La révolution du Maïdan, dirigée contre le pouvoir légal, a déclenché les mécanismes de division du pays (...). Il suffit de se rappeler 'la révolution des roses' en Géorgie qui a perdu pour toujours l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud à la suite de la politique agressive et maladroite de son leader Mikhaïl Saakachivili. Il n'y a plus de Soudan et de Libye comme État uni."

L'auteur de l'article cite ensuite un politologue russe : "Dans l'espace postsoviétique, il y a eu des cas d'apparition d’États non reconnus officiellement : le Haut-Karabach, la République de Transnistrie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. On peut tirer un parallèle avec la situation actuelle en Crimée. On peut comparer ces événements aux référendums dans différents pays du monde. En 1948, la Terre-Neuve et le Labrador se sont ralliés au Canada, en 1995, il y a eu un référendum sur la sortie de la province du Québec du Canada."

La République de Transnistrie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud... autant de territoires tombés dans le giron russe qui disent la même histoire que celle qui se joue en Crimée. En encourageant et en soutenant l'autonomie des minorités locales, le Kremlin a précipité dans ces régions l'organisation de référendums non-reconnus et les déclarations unilatérales d'indépendance.

Au-delà des suspicions de fraude, il apparaît ainsi que convoquer un référendum, c'est le gagner. "Celui qui organise choisit le moment du vote, les termes de la question posée, la composition du corps électoral... il met toutes les chances de son côté et affaiblit son opposition", analyse Francis Hamon. Est-ce à dire qu'un référendum en Crimée à l'initiative de Kiev connaîtrait une issue différente de celui chapeauté par Moscou? "Un référendum tel que celui organisé en Crimée n'est pas illégitime à condition que les électeurs puissent choisir librement. Mais cela suppose un temps de préparation raisonnable", poursuit Francis Hamon.

Le référendum organisé par Hitler en 1938

En 2008, les tensions entre la Géorgie et Moscou autour de la région séparatiste d'Ossétie du Sud avaient conduit à une guerre de cinq jours en 2008. Le Kremlin a ensuite reconnu l'indépendance de l'Ossétie du Sud et d'un autre territoire séparatiste, l'Abkhazie, et y a stationné des milliers de soldats. Tbilissi et les pays occidentaux avaient dénoncé une occupation de fait. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? En revanche, si le Kremlin a soutenu le référendum d'autodétermination organisé en 2006 en Transnistrie, (une région moldave à la frontière ukrainienne), il n'est pas allé jusqu'à reconnaître officiellement son existence.

Autre point de vue, autre référence à l'Histoire, mais même dessein que la radio d’État russe quand l'historien André Zubov évoque dans une tribune publiée par Libération le référendum organisé par Hitler en 1938 pour approuver l'annexion de l'Autriche entamée quelques semaines plus tôt.

"La gloire de Hitler semblait à son zénith. Le monde tremblait devant l’Allemagne. Les annexions s’étaient déroulées sans un coup de feu. N’était-il pas un politicien génial? Mais, six ans plus tard, l’Allemagne était vaincue, sa population décimée, ses villes rayées de la carte. (…) Tout, pourtant, avait commencé de manière apparemment si lumineuse!

(…) Et que dire du référendum plébiscite sous la menace de baïonnettes amies ? En Autriche, il s’était déroulé le 10 avril, en Crimée il est annoncé pour le 30 mars. Le pouvoir russe a-t-il pris en compte tous les risques de cette aventure invraisemblable? Je pense que non. Pas plus que Hitler en son temps. Sinon, ce dernier n’aurait pas fini dans son bunker sous les bombes russes en avalant une ampoule de cyanure."

Dimanche, environ 1,5 million d'Ukrainiens de Crimée sont appelés aux urnes. "Doit-on réserver le vote à des gens implantés sur le territoire depuis un certain temps ? Doit-on ouvrir le scrutin à l'ensemble de la population ukrainienne ?", interroge Francis Hamon. Au Sahara occidental ou en Nouvelle-Calédonie, l'Histoire a montré à quel point la composition du corps électoral est sujette à débat.

Dans le premier cas, l'incapacité des autorités marocaines et des indépendantistes sahraouis à tomber d'accord sur la composition du corps électoral a contribué à l'ajournement répété d'un éventuel référendum d'autodétermination. De la même manière, rappelle le spécialiste, les kanaks (population autochtone de Nouvelle-Calédonie, favorables à l'indépendance de l'archipel) ont longtemps fait pression sur les gouvernements français successifs pour exclure du corps électoral les caldoches (originaires de la métropole et opposés à l'indépendance).

L'Écosse, puis la Catalogne

En Crimée, le leader de la minorité tatare a appelé au boycott du référendum pour le rattachement de la péninsule à la Russie. La communauté musulmane des Tatars, représente de 12 à 15% des deux millions d'habitants de la Crimée. Déportés sous Staline, les Tatars de Crimée sont opposés à la sécession de la péninsule. Ils avaient soutenu la contestation visant l'ancien président pro-russe ukrainien Viktor Ianoukovitch. Le résultat du référendum étant validé si le taux de participation dépasse les 50%, ce boycott ne devrait toutefois pas avoir de réelle influence sur l'issue du scrutin.

Attendez-vous à entendre très bientôt parler d'autres référendums "illégaux". C'est le terme employé par le chef du gouvernement espagnol pour qualifier le référendum sur l'indépendance annoncé pour le 9 novembre 2014 par les nationalistes catalans. Plus au nord, le Premier ministre Britannique David Cameron a été contraint, au nom de la démocratie, d'avaliser l'organisation d'un référendum sur l'indépendance de l'Écosse le 18 septembre prochain, mais il y est farouchement opposé.

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