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A Bakhtchissaraï, les Russes de Crimée devant les urnes, les Tatars chez eux

A Bakhtchissaraï, les Russes de Crimée devant les urnes, les Tatars chez eux

Elvira glisse dans l'urne transparente son bulletin de vote en faveur de la Russie et range son passeport ukrainien. Cette Ukrainienne d'origine russe, ravie, est persuadée de l'avoir utilisé pour la dernière fois dans cette partie de la Crimée où vivent les Tatars qui ont eux boycotté le scrutin.

Cette mère de famille ukrainienne d'origine russe est venu tôt dimanche, juste après l'ouverture des bureaux de vote, avec ses deux adolescents blonds prendre part au référendum sur le rattachement de la péninsule à la Fédération de Russie dans la vieille ville de Bakhtchissaraï.

Si cette grosse bourgade de 25.000 habitants est la capitale de la communauté musulmane tatar de Crimée, qui est contre l'intégration de la péninsule en Russie et a appelé au boycottage du scrutin, elle compte aussi une minorité d'Ukrainiens d'origine russe qui dimanche matin se pressait en nombre pour glisser leurs bulletins dans l'urne.

"Oui, oui, c'est la dernière fois que j'utilise ce passeport ukrainien, du moins je l'espère. Et c'est une très bonne chose", dit-elle dans un grand sourire. Elle pose les mains sur les épaules de son fils et de sa fille: "Ces deux là vont grandir en Russie, et c'est tant mieux. Ils auront plus de possibilités, de débouchés. C'est un pays riche et puissant".

"Oui, j'ai des voisins et des amis tatars qui veulent rester dans l'Ukraine... Je ne comprends pas vraiment pourquoi", dit-elle d'abord. "Enfin si, c'est sans doute parce que Staline les a déplacés. Ils en gardent le souvenir et ils en veulent à la Russie, sans doute. C'est compréhensible", ajoute-t-elle finalement.

Accusée d'avoir collaborée avec l'Allemagne nazie, la communauté tatar de Crimée a été déportée en Asie Centrale en 1944 et n'a pu rentrer dans ses terres ancestrales que quarante-cinq ans plus tard.

En ce dimanche matin froid et pluvieux à Bakhtchissaraï seuls les Russes sont sortis pour voter. Les Tatars sont invisibles, calfeutrés chez eux. Au cours des derniers jours, ici et ailleurs dans la péninsule, ils ont manifesté leur rejet de ce scrutin, brandissant le long des routes des drapeaux jaune et bleus de l'Ukraine et appelant au boycottage.

Dans le bureau de vote installé à deux pas de la grande mosquée, les électeurs se pressent devant les tables d'émargement. Tout le monde peut voter: si un nom ne figure pas sur les grandes feuilles des listes électorales il suffit de s'adresser à la secrétaire de la commission qui, sur une feuille volante, recopie à l'encre violette les noms et adresses figurant sur le passeport frappé du trident ukrainien. Une heure après l'ouverture des portes la liste comportait quarante noms.

Les deux urnes transparentes ont été scellées avec de la ficelle et un cachet de cire. Il y a des isoloirs mais le secret du vote est relatif: les bulletins sont glissés sans enveloppés, rarement pliés, la case cochée visible par tous. Sur les dizaines observés dimanche matin, pas un seul était hostile à l'unification avec la Russie.

Svitlana Nikitina, 37 ans, longue tresse blonde dans le dos, est née à Bakhtchissaraï mais travaille dans la publicité à Simféropol, capitale de la province à trente kilomètres de là. "C'est une bonne chose", assure-t-elle. "Kiev nous obligeait à faire nos campagnes en ukrainien, alors qu'ici tout le monde ou presque parle russe. Cela n'avait aucun sens. Nous n'avons rien à faire avec l'Union européenne. Nous sommes des slaves, notre culture est russe, notre place en Russie".

A 70 ans Anna Ivanovna a elle aussi voté pour Moscou. "Oui, nous allons devenir russes. A la fois c'est bien et à la fois, à mon âge, c'est difficile de changer de pays. J'aime bien mes habitudes, ma routine. Tout cela me fait un peu peur... Nous verrons bien".

Ivan Konstantinovitch a un an de plus mais ne se pose pas ce genre de question. Il a voté dans les premiers, a joint ses mains et les a levées au-dessus de sa tête en signe de victoire. "Nous avons attendu ce moment depuis des années", dit-il.

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