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Les homards souffrent-ils lorsqu'on les plonge dans l'eau bouillante?

Les homards souffrent-ils lorsqu'on les plonge dans l'eau bouillante?
Michael Turek via Getty Images

Les crustacés souffrent-ils lorsqu'on les plonge dans l'eau bouillante? Face au spectacle de milliers de homards cuisinés au Lobster Maine Festival, dans le Maine (États-Unis), l'écrivain et journaliste américain David Foster Wallace s'était justement posé cette question. C'était en l'an 2000 et, déjà, les militants animalistes de Peta affirmaient déjà que les homards souffraient, tandis que ceux qui faisaient leur beurre sur le dos du homard disaient évidement le contraire.

L'écrivain, qui n'avait rien d'un végétarien militant, mettait alors le lecteur face à ce fait: "Même en couvrant la marmite et en s'en détournant, on peut entendre les cognements et claquements du homard contre la paroi. Ou encore les pinces de la créature raclant la marmite. En d'autres termes, le homard se comporte pas mal comme vous et moi si nous étions plongés dans de l'eau bouillante."

Projection? Anthropomorphisation? Le journaliste avait fait son job et interrogé la science: les homards sont dotés de nocicepteurs, mais aussi de l'équivalent pour les invertébrés des prostaglandines, ainsi que de neurotransmetteurs similaires à ceux qui permettent à notre cerveau de transmettre la douleur. Il se passerait donc bien quelque chose sous la carapaces des homards.

Mais d'un autre côté, le système neural du homard est bien moins développé, et surtout différent par nature de celui de l'homme. S'agit-il donc de réflexes, ou ressentent-ils bien de la douleur? L'investigation du journaliste s'achevait sur un doute, mais aussi sur une proposition qui donnera son titre à l'article: considérons tout même la possibilité de la douleur chez les homards.

Depuis, d'autres chercheurs se sont penchés sur la question, et le doute s'est en partie levé sur les question posées par David Foster Wallace.

Coquillages et crustacés

Publié récemment, un article du Washington Post fait justement le point. C'est là aussi l'histoire d'un chef, qui rentre dans un bar, et qui demande à un chercheur, spécialiste des invertébrés, si les homards souffrent lorsqu'il les fait cuire. Une question que le l'éthologue, Robert Elwood, ne s'était jamais vraiment posée. Mais avant de se lancer, encore fallait-il répondre à une autre interrogation.

Puisqu'il s'agit d'invertébrés dont les systèmes nerveux sont différents de ceux des mammifères (pour lesquels le ressenti de la douleur ne fait pas de doute) comment savoir si crabes, homards et autres crevettes ressentent de la douleur, ou s'ils expriment de simples réflexes? Réponse de Robert Elwood: en observant leurs comportements.

Car la douleur, c'est l'expérience consciente de l'événement douloureux qui succède au réflexe, une fois que le signal est parvenu au cerveau. L'idée de l'éthologue fut donc d'aller chercher des réponses au-delà de ces réflexes. En imprégnant les antennes de crevettes d'acide acétique, celles ont cherché à les nettoyer grâce à des mouvements complexes de leurs pattes, action qui fut atténué lorsqu'il appliqua un anesthésiant local.

Il s'intéressa alors aux crabes. Soumis à un bref choc électrique localisé, le bernard l'hermite se frotte précisément à l'endroit du choc sur de longues périodes.

Privés de l'une de leurs pinces, les crabes bruns se frottaient se focalisant eux aussi sur leur blessure. Et le chercheur de remarquer que crevettes et crabes n'hésitaient pas à se contorsionner pour atteindre les plaies. "Ce ne sont pas que des réflexes", explique Elwood au Washington Post. "Ce sont des comportements complexes et prolongés qui impliquent clairement le système nerveux central".

Des chercheurs en ébullition

Et ça va plus loin. Lors d'une autre expérience, des crabes verts habitués à se planquer de la lumière sous les rochers ont préféré changer de refuge après avoir reçu un choc électrique sous l'un de ceux-ci. "Donc il y a un apprentissage rapide", explique Elwood, "exactement ce à quoi l'on s'attendrait de la part d'un animal qui ressent la douleur".

Question suivante: qu'est-ce qui pourrait pousser des crustacés à accepter de ressentir un peu de douleur? L'homme est capable de souffrir sous les roulements de la fraise du dentiste pour son propre bien, mais les crustacés, eux, sont-ils capables de tels calculs? La réponse est oui.

Retour chez les bernard l'hermitte, qui squattent des coquillages abandonnés, sauf si cet habitat devient invivable en raison de choc électriques à répétition provoqués par le chercheur.

Et lorsque c'est le cas, ils hésitent à partir et réagissent un peu comme nous le ferions avec un voisin bruyant. On le supporterait sans doute plus longtemps dans un grand condo avec vue sur la Tour Eiffel que dans un studio au rez-de-chaussée d'un immeuble dans Hochelaga-Maisonneuve. Le bernard l'hermite, c'est pareil. En fonction de la qualité du coquillage et de la densité des chocs, celui-ci fait son calcul, ce qui indique, une fois de plus que les réactions des crustacés dépassent largement le cadre du réflexe.

Il en va de même des calmars, analysés par Robyn Crook, une neurobiologiste de l'université du Texas. Des céphalopodes plus enclins à prendre la fuite et projeter de l'encre lorsqu'ils ont été touchés près d'une blessure déjà infligée qu'ailleurs sur leur corps. Plus attentifs au toucher et aux stimulis visuels, un calmar blessé se comporte tellement différemment que, pour la chercheuse, cela ne fait pas de doute: la réaction du poulpe répond bien aux critères de la douleur.

Les crustacés ressentent-ils donc de la douleur? Sans doute. Peuvent-ils souffrir dans la durée? Cela impliquerait d'en savoir plus sur leur conscience, qui ne peut qu'être l'objet ,pour l'instant, d'hypothèses. Quoiqu'il en soit Elwood assure avoir changé la façon dont il traitait ses invertébrés en laboratoire. Quant à son ami cuisinier, il lui a emboîté le pas. "Nous sommes en train d'en savoir beaucoup plus sur la douleur et la nociception", conclut Crook. "Comment cela ne pourrait-il pas intéresser, même les plus sceptiques?"

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