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Dans le sud thaïlandais, les femmes aussi portent le poids de l'insurrection

Dans le sud thaïlandais, les femmes aussi portent le poids de l'insurrection

Depuis que les rebelles ont tué son mari, Tungrudee Jaiin élève seule ses quatre enfants dans l'extrême sud thaïlandais, où les femmes aussi portent le lourd fardeau d'une insurrection meurtrière qui dure depuis dix ans.

Cette musulmane de 39 ans, qui a eu l'oeil emporté par une balle tirée par des insurgés présumés, fait partie des nombreuses veuves de ce conflit qui a fait quelque 5.900 morts depuis 2004 dans une région à majorité musulmane au sein d'un pays essentiellement bouddhiste.

La majorité des victimes de ce conflit complexe, brutal et localisé sont des civils, pris entre l'armée thaïlandaise et des rebelles sans pitié qui se battent pour l'autonomie de cette partie du royaume rattachée à la Malaisie jusqu'au début du XXe siècle. Les insurgés s'en prennent aussi bien aux bouddhistes qu'aux musulmans, accusés de collaborer avec les autorités.

Environ 400 femmes ont été tuées depuis dix ans, et selon les autorités, 2.700, bouddhistes ou musulmanes, sont reconnues comme veuves de guerre, leur mari ayant été tué par les forces de sécurité ou les insurgés.

D'innombrables autres femmes, soeurs ou filles ont dû endosser le rôle de soutien de famille après que l'homme de la maison a été arrêté ou a rejoint la rébellion.

D'une voix douce, sans aucune colère, Tungrudee, qui s'est convertie à l'islam pour son mari, raconte les événements sanglants qui l'ont rendue veuve et borgne il y a cinq ans.

Deux semaines après avoir tué son mari qu'ils suspectaient d'être un informateur, "ils sont revenus et m'ont tiré dessus", au visage, au ventre et aux jambes. "Ils ont mis le feu à notre maison", ajoute-t-elle. Son fils aîné a été gravement brûlé.

Sans ressource, elle s'est alors réfugiée avec ses quatre enfants, aujourd'hui âgés de 4 à 15 ans, dans le "village des veuves" de Rotan Batu. Grossissant au fil des ans et des morts, ce sanctuaire protégé par l'armée accueille désormais 140 femmes et 300 enfants, musulmans et bouddhistes.

"Parfois je me sens faible et je me dis, comment vivre sans mon mari? Mais quand je vois mes enfants, je me dis, qui prendra soin d'eux si je ne suis plus là?", lance Tungrudee, dont les assaillants n'ont jamais été arrêtés.

En plus d'une pension de veuve de 100 euros par semaine, elle vend des légumes sur le marché voisin pour joindre les deux bouts.

Ces veuves n'ont d'autre choix que d'être fortes pour faire face à un conflit dont la fin ne s'annonce pas malgré les négociations de paix entamées il y a un an, quasiment au point mort.

Les experts estiment que les femmes musulmanes portent un fardeau particulier dans cette région conservatrice, où leur rôle est généralement confiné à s'occuper d'une famille nombreuse, tandis que la politique est réservée aux hommes.

"Souvent, les femmes n'ont pas voix au chapitre", explique Angkhana Neelapaijit, de la fondation Justice pour la paix.

"Elles n'ont pas vraiment leur mot à dire en ce qui concerne la politique, par exemple, si leur enfant exprime des sympathies pour le mouvement (rebelle), elles ne peuvent pas le contrôler", poursuit-elle.

Une récente enquête de la fondation met d'autre part en lumière une éducation limitée condamnant ces femmes à des métiers sous-payés ou au chômage. D'autres ne connaissent pas suffisamment le thaï pour affronter l'administration dans une région où les forces de sécurité interpellent régulièrement insurgés présumés, en même temps que nombre d'innocents.

Alors malgré les aides de l'Etat, il est "presque impossible" pour elles de nourrir leurs enfants ou de leur offrir une éducation décente, selon l'étude.

Il y a malgré tout certains signes d'émancipation. "Le rôle des femmes s'étend (...) parce que beaucoup d'hommes malais musulmans sont diminués parce qu'ils sont suspectés par les autorités, en prison, ou morts", assure Noi Thammasathien, réalisatrice de documentaires qui travaille sur la question des femmes.

Ainsi, de plus en plus d'entre elles rejoignent des organisations de la société civile appelant à la justice, alors que les défenseurs des droits de l'Homme accusent autorités et insurgés d'agir en toute impunité.

Alors que la paix est encore loin, les femmes de Rotan Batu sont résignées à accueillir plus de veuves et d'enfants dans ce village de modestes bungalows, d'ateliers et de jardins potagers.

Unies par une souffrance qui dépasse les différences religieuses, elles plaisantent ensemble en s'acquittant de leurs tâches quotidiennes.

"Les femmes souffrent beaucoup ici", lance Mariyah Nibosu, en façonnant un pot en argile qu'elle mettra ensuite en vente.

"Mais nous sommes fortes. Nous devons nourrir nos enfants toutes seules. Nous devons survivre".

apj/dr/abd/cac

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