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Après la guerre, les sociétés déboussolées tentent d'oublier la violence

Après la guerre, les sociétés déboussolées tentent d'oublier la violence

Danse-t-on sur les cadavres des millions de morts ou sur un volcan? Au sortir de la Première guerre mondiale, l'Europe s'étourdit de libertés nouvelles pour tenter d'exorciser la violence, mais la perte des repères disparus avec l'ordre ancien prépare le terrain aux totalitarismes du second conflit mondial.

Avec la chute des empires, "le vent de la démocratie souffle. Mais il sera ensuite dévoyé, confisqué et l'Europe va peu à peu se couvrir de dictatures" qui s'appuient sur les masses qu'elles manipulent, souligne l'historien français Jean-Yves Le Naour. "La guerre totale a accouché du totalitarisme, elle a détruit les valeurs morales et sali les idéaux".

Pour l'historien américain d'origine allemande George L. Mosse, la "brutalisation des sociétés européennes" par la Grande Guerre et la "banalisation" de la violence sans précédent qu'elle a entraînée ont facilité l'émergence du fascisme et du national-socialisme.

L'historien français Antoine Prost relativise toutefois: "si l'expérience de la mort de masse débouche sur le nazisme en Allemagne", vaincue et humiliée par le traité de Versailles, "elle fait en France la force d'un refus très profond de la guerre", écrit-il dans une postface à la réédition d'un ouvrage sur l'armistice Rethondes de l'historien et ancien combattant français Pierre Renouvin.

Pour la France, pays victorieux, "la détestation de la guerre est perceptible dès novembre 1918", relève M. Le Naour. "Le pacifisme irrigue toute la société française de l'extrême gauche à l'extrême droite", c'est le "plus jamais ça!".

En France, les associations d'anciens combattants, qui représentent une force considérable, avec plus de trois millions de cotisants, "sont toutes pacifistes" avec des nuances, selon Antoine Prost. Ils demandent aux politiques de conserver la paix.

Sur le plan démographique, la guerre a fait beaucoup de veuves -plus de trois millions- à travers toute l'Europe, mais la disparition de millions d'hommes n'a pas condamné les femmes au célibat comme certains le craignaient. En fait, elles parviennent à trouver mari en épousant des hommes plus âgés, ou plus jeunes, ou appartenant à des milieux restés à l'arrière, ce qui provoquera un important brassage social.

La France, qui a perdu 1,4 million de soldats dans le conflit, connaît un bref baby-boom puis renoue avec son malthusianisme d'avant-guerre. L'écart démographique se creuse avec l'Allemagne qui a pourtant perdu, elle, près de 2 millions d'hommes.

Les femmes, qui ont été de "bons petits soldats" à l'arrière, remplaçant partout les hommes partis sur le front, obtiennent progressivement le droit de vote dans plusieurs pays (Grande-Bretagne, Allemagne, Etats-Unis). "C'est une récompense mais c'est aussi l'aboutissement d'années de combat de la part des suffragettes", souligne Jean-Yves Le Naour. La France toutefois se distingue, le Sénat refusant d'octroyer le droit de vote aux femmes qui devront attendre 1945 pour l'obtenir, même si l'égalité entre les sexes progresse dans de nombreux domaines -études, travail, moeurs- comme un peu partout en Europe.

Les souffrances de la guerre et l'espoir immense qu'a fait naître la révolution russe dans le monde ouvrier avivent les tensions sociales, qui se multiplient partout avec des grèves énormes -parfois insurrectionnelles comme en Allemagne- et une explosion des effectifs syndicaux.

Pour les rentiers, qui dominaient les sociétés européennes d'avant-guerre, c'est la déroute. L'inflation galope dans tous les pays -à l'exception notable de la Grande-Bretagne- et les épargnants français doivent faire une croix sur leurs placements en Russie, balayés par la révolution. Partout, chez les vainqueurs comme chez les vaincus, "la guerre a mis la bourgeoisie au travail", souligne M. Prost.

Dans cette Europe dévastée, où les traumatismes du conflit et de ses dizaines de millions de victimes pèsent sur toutes les sociétés, on va regretter "La Belle époque" idéalisée de l'avant-guerre.

C'est la période des "Années folles", qui font souffler un vent de liberté, de frivolité et de création sur Paris. "Il faut se dépêcher, profiter de la vie, on danse sur les cadavres. Ce n'est pas si joyeux", selon M. Naour.

Les femmes se coupent les cheveux, raccourcissent leurs jupes. "La Garçonne", roman de Victor Margueritte, fait scandale pour les moeurs libres de l'héroïne.

Des musiques nouvelles comme le jazz, arrivé avec les soldats américains, investissent Paris ou Berlin.

La guerre a aussi durablement marqué les artistes européens -écrivains, poètes, peintres, musiciens- qui se sont engagés et ont été frappés par les horreurs des combats. Des dizaines de romanciers n'hésitent plus à décrire brutalement l'expérience de la peur et de la mort, qui imprègnent également les oeuvres de peintres comme l'Allemand Otto Dix.

Le mouvement Dada (Tristan Tzara, George Grosz...) apparu pendant le conflit se propage sur le continent. Transfrontière, il défie les conventions, manie la dérision, affiche un antimilitarisme provocateur.

Dans son sillon, le surréalisme naît au lendemain de la guerre, remettant en question toutes les valeurs morales, politiques et esthétiques. En France, André Breton, Paul Eluard, Aragon, qui ont participé au conflit, refusent désormais totalement l'engagement, et font scandale en rejetant les commémorations qui instrumentalisent les morts, souligne Annette Becker.

Pcm/lma/phv

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