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Loin du front, les civils frappés par les privations

Loin du front, les civils frappés par les privations

Même loin des tranchées et des horreurs du combat, les populations civiles européennes ont payé elles aussi un lourd tribut à la Première guerre mondiale, victimes parfois de terribles privations qui ont fait des centaines de milliers de morts à travers tout le continent.

A rebours de ce que prévoyaient tous les experts militaires et économistes de l'époque, ce conflit qui devait être court s'est installé dans la durée, désorganisant l'économie des belligérants et provoquant crises alimentaires et parfois famines, notamment dans les empires centraux.

La guerre entraîne en effet une pénurie de main-d'oeuvre générale : L'Allemagne enrôlera 13 millions de soldats à elle seule, l'Autriche-Hongrie 9 millions, la France 8 millions.

En Allemagne, "tous ces bras partis à la guerre n'ont été que partiellement compensés par des prisonniers de guerre dans l'Agriculture et des femmes dans les usines", souligne Arnd Bauerkämper, professeur d'Histoire de l'Université libre de Berlin.

La mobilisation intervenue au coeur de l'été, lors des moissons, puis la réquisition des chevaux et le manque d'engrais dont les composés servent désormais en priorité à fabriquer les explosifs, vont entraîner dans la plupart des pays un effondrement durable de la production agricole.

Dès 1915, il devient évident que le conflit ne connaîtra pas d'issue rapide, et il faut réorganiser toute l'économie autour de l'effort de guerre.

A ce jeu, France et Grande-Bretagne seront plus efficaces, leur pouvoir politique veillant à ménager les civils pour préserver la paix sociale, contrairement à l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, sous la coupe des militaires, où "l'armée prend tout ce dont elle a besoin et les civils se contentent du reste", résume l'historien américain Jay Winter.

L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie ont d'autant plus souffert qu'elles ne disposaient pas des vastes empires coloniaux d'où Londres et Paris ont tiré d'importantes ressources matérielles et humaines.

En outre, elles ont été soumises dès le début par les Alliés à un blocus économique très strict du fait de la suprématie anglaise sur les mers, souligne M. Bauerkämper.

Dès 1915, les pénuries de vivres frappent l'Allemagne qui était le premier importateur mondial de produits alimentaires avant la Guerre. Les céréales sont sévèrement rationnées. Viande, charcuterie ou saucisses disparaissent quasiment des étals. La pénurie de charbon devient rapidement générale.

L'hiver 1916/1917, particulièrement froid, est marqué par une famine provoquée par une épidémie de mildiou qui divise par deux les récoltes de pommes de terre. C'est pour les Allemands "l'hiver des rutabagas", cette espèce de gros navet au goût fade, consommé matin, midi, et soir en soupe, en gratin, en pudding, en marmelade ou pour faire du pain.

La disette est aggravée par l'abattage au début de la guerre d'un tiers du cheptel porcin en raison du manque d'aliments pour l'élevage après l'arrêt des importations de Russie, alliée des Français et Britanniques.

En 1917, la ration alimentaire quotidienne moyenne des civils allemands, est tombée à 1.000 calories, selon l'historien français André Loez.

Les historiens estiment qu'entre 400.000 et 800.000 civils seraient morts de faim ou de malnutrition entre 1914 et 1918 en Allemagne, où Jay Winter n'hésite pas à parler de "calvaire économique" de la population.

Dans l'empire austro-hongrois, l'Autriche ne reçoit plus de blé de la Hongrie qui le garde pour elle depuis 1915, et va connaître elle aussi une situation alimentaire critique.

Au point que le célèbre jardin du Prater à Vienne sera transformé en potager géant, et que pour nourrir les habitants affamés l'office du ravitaillement de la capitale fera saisir sur le Danube, à la fin de la guerre, des péniches chargées de céréales roumaines destinées à l'allié allemand.

La situation est un peu meilleure dans le camp occidental, même si comme partout en Europe la production agricole a chuté et certains produits deviennent rares : ainsi le beurre, le sucre ou le café, remplacés par des " ersatz " comme la margarine et la chicorée.

En France, il faut attendre 1917 pour que se généralisent des pénuries et que soit mis en place un système de rationnement, alors que le marché noir prospère depuis longtemps en Allemagne dans des proportions que ne connaîtront pas ses adversaires.

La Grande-Bretagne sera la moins touchée : outre ses ressources coloniales, elle a conservé tout son potentiel agricole, contrairement à la France dont 20% des terres les plus riches sont occupées ou transformées en champ de bataille.

Les privations sévères et les confiscations liées au conflit dans toute l'Europe centrale et orientale sont largement responsables des troubles civils qui vont s'y multiplier à la fin de la guerre, contribuant à l'éclatement des empires vaincus, estiment les historiens.

Et en Russie, où des millions de civils connurent la faim, elles formèrent le terreau des émeutes de Petrograd et de la Révolution de Février 1917, qui entraîna l'abdication du Tsar Nicolas II puis quelques mois plus tard l'arrivée des bolcheviks au pouvoir lors de la Révolution d'Octobre.

hap/aro/lma

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