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Commission Charbonneau: Magouilles, abus et menaces sur les chantiers du Québec

Reprise de la commission Charbonneau: la discrimination syndicale étudiée
CEIC

Grutiers payés à ne rien faire pendant deux ans, paix syndicale achetée à coups de dizaines de milliers de dollars en liquide, entrepreneurs et travailleurs intimidés par le syndicaliste Bernard « Rambo » Gauthier sur la Côte-Nord, ça joue dur sur les chantiers du Québec.

Les enquêteurs de la commission Charbonneau ont rencontré, depuis un an, quelque 70 personnes sur des chantiers, notamment au Saguenay, en Abitibi et sur la Côte-Nord, qui avaient beaucoup à dire sur des problèmes vécus de discrimination, d'intimidation et d'extorsion.

Si certains viendront sous peu à la barre, il seront au final peu nombreux à le faire : la commission a pris au sérieux leurs craintes de représailles et a plutôt décidé de confier à l'enquêteur Michel Comeau la responsabilité de rapporter les propos de la plupart d'entre eux.

Michel Comeau a d'entrée de jeu rapporté les difficultés rencontrées par ses enquêteurs sur les chantiers, où ils n'étaient pas bienvenus :

« On s'est vite rendu compte que, sur les chantiers, il y avait un genre de loi du silence. »

— Michel Comeau

D'un côté, les travailleurs ne voulaient pas être vus avec un enquêteur, de l'autre, les délégués syndicaux et les agents de chantier ne voulaient pas leur parler tant qu'ils n'avaient pas consulté leur avocat.

Lorsque les syndicats en mènent large...

Le premier exemple, présenté par l'enquêteur Comeau, a permis d'apprendre que quelque 12 grutiers de la FTQ-Construction ont été payés à ne rien faire, pendant deux ans, sur le chantier de Péribonka d'Hydro-Québec (2004-2008).

Le coût, assumé par la firme allemande Bauer, qui dirigeait le chantier, a été refilé à la société d'État.

« Ils étaient payés à jouer aux cartes dans leurs roulottes. »

— Michel Comeau

Ces grutiers avaient été imposés sur le chantier, aux cotés des grutiers Allemands de Bauer, au terme d'une entente entre la FTQ-Construction, Hydro-Québec et l'entreprise, à laquelle avait participé Jocelyn Dupuis et Jean Lavallée.

« Il y avait un travailleur allemand sur chaque grue, et ils étaient accompagnés de deux travailleurs grutiers de la FTQ payés selon le décret, 24h sur 24, à ne rien faire », a résumé l'enquêteur Comeau.

Le coût de la paix syndicale

L'enquêteur a par la suite présenté des témoignages troublants sur la phase 2 (2002-2005) du chantier de l'Aluminerie Alouette de Sept-Îles. Selon certains des témoins rencontrés, la paix syndicale aurait été achetée sur le chantier à coups de dizaines de milliers de dollars versés en argent liquide par des entrepreneurs à des délégués syndicaux.

Ainsi, d'après un des entrepreneurs, il était évident qu'il y avait une entente pour maintenir la paix sur le chantier entre Simard-Beaudry, de Tony Accurso, qui agissait sur le chantier comme entrepreneur général, la FTQ-Construction et Joe Lombard, le responsable du chantier pour Alouette.

Selon un témoin interrogé par l'enquêteur, une rumeur voudrait même que Simard-Beaudry ait eu le contrat principal après que Jocelyn Dupuis eut fait valoir aux dirigeants d'Allouette que les travailleurs de la FTQ-Construction boycotteraient le chantier si M. Accurso ne l'avait pas.

Un entrepreneur en maçonnerie a par ailleurs confié à la commission avoir été contraint de verser 50 000 $ à un délégué syndical en échange de cette fameuse paix. Il a admis avoir dû recourir à de la fausse facturation afin de trouver l'argent liquide demandé.

Tant l'ex-président de la FTQ- Construction Jean Lavallée que son ex-directeur général Jocelyn Dupuis avaient vanté le bon déroulement des travaux sur ce chantier, qui s'était terminé trois mois avant son terme prévu, lors de leur passage devant la commission.

La commission avait déjà prouvé qu'en février 2005, Jean Lavallée, Jocelyn Dupuis et Joe Lombard ont séjourné sur le yacht de Tony Accurso. Les deux syndicalistes ont convenu qu'il s'agissait alors de souligner la réussite du chantier Alouette 2.

L'enquêteur Comeau a avancé que, selon certains entrepreneurs, chaque journée gagnée sur l'échéancier se traduisait par des profits de 1 million de dollars.

Les enquêteurs ont aussi interrogé Jules Bernier de l'International, un représentant syndical important sur ce chantier, qui a admis que lui et d'autres délégués ont reçu en cadeau des voyages de pêche. L'homme soupait incidemment de façon fréquente avec Jimmy Accurso, le fils de Tony Accurso.

Les témoignages recueillis ont aussi permis d'apprendre que la Commission de la construction du Québec (CCQ) n'arrivait pas à exercer son autorité sur le chantier sur lequel régnaient les délégués syndicaux Jules « Matou » Bernier de l'International et Bernard « Rambo » Gauthier de la FTQ-Construction.

Le nom de Denis Vincent a par ailleurs de nouveau rebondi devant la commission. Selon l'enquêteur Comeau, un individu lié à l'entreprise Montacier a expliqué que la compagnie s'était associée à 50 % avec l'homme réputé proche des Hells Angels par la police, sur les conseils du directeur général de l'International Donald Fortin, ce qui a permis à Montacier de décrocher un contrat sur le chantier Alouette 2.

M. Vincent, dont la commission a prouvé les liens avec Jean Lavallée, a en fait servi de bailleur de fonds et fourni 200 000 $ en argent liquide à Montacier.

Selon ce témoin, M. Vincent était proche du syndicaliste Jules Bernier, qui veillait sur ses intérêts sur le chantier, notamment grâce à sa proximité avec Jimmy Accurso.

Rambo, le dieu de la Côte-Nord

La commission s'est ensuite penchée sur le chantier de La Romaine, soit la construction en cours de quatre centrales par Hydro-Québec le long de la rivière du même nom, au nord de Havre-St-Pierre.

Un chef d'équipe d'une entreprise du Saguenay, qui y avait un contrat, a notamment dénoncé avoir été contraint d'embaucher plus de travailleurs que nécessaire sous la pression de délégués syndicaux. La facture, a-t-il précisé, était refilée à Hydro-Québec.

Le syndicat contraignait aussi l'entreprise à recourir à du personnel précis pour des tâches insignifiantes, comme aller chercher une simple pelle sur le chantier.

Selon ce témoin, le représentant syndical du local 791 de la FTQ-Construction pour la Côte-Nord, Bernard « Rambo » Gauthier, et ses lieutenants en menaient large, ce qui correspond à l'impression générale récoltée par les enquêteurs dans la région :

« Là-bas, Rambo est vu comme un dieu : c'est une personne influente sur les chantiers. »

— Michel Comeau

Plusieurs témoins ont fait état des méthodes intimidantes employées par Bernard Gauthier pour faire valoir les intérêts de ses membres comme bloquer le chantier, forcer des arrêts de travail, intimider des travailleurs syndiqués CSN, voire s'assurer de leur renvoi,... Un témoin aurait même affirmé que le propre supérieur de M. Gauthier au local 791, Bernard Girard, lui aurait confié n'avoir aucun contrôle sur « Rambo ».

Selon ce chef d'équipe cité plus haut, les employeurs n'ont pas le loisir de décider qui engager sur la Côte-Nord, c'est Bernard Gauthier qui décide. Ils auraient d'ailleurs pris l'habitude de soumissionner entre 20 % et 30 % plus que nécessaire sur les contrats dans cette région afin de compenser les inconvénients causés par les syndicats.

Un autre entrepreneur a confié avoir été frappé et menacé par des gens de la FTQ-Construction de se faire casser les jambes s'il ne réembauchait pas cinq individus congédiés pour incompétence. Il a aussi expliqué que le contremaître, de facto, sur le chantier était le délégué ou le représentant syndical, les travailleurs n'acceptant d'ordre de personne d'autre.

Il a aussi mentionné des cas de machineries sabotées en guise de moyen de pression.

Selon un autre témoin, même les policiers de la Sûreté du Québec craignaient « Rambo »...

Le but général des manœuvres syndicales, explique l'enquêteur Comeau, est d'allonger autant que possible la durée du chantier avant de garantir le plus de travail possible aux syndiqués.

Et selon des entrepreneurs rencontrés par l'enquêteur, Hydro-Québec « ferme les yeux » sur ces abus, car il veut que « les chantiers avancent ».

Il ajoute que les entrepreneurs hésitent aussi à porter plainte, notamment à la CCQ, par crainte de la réaction des travailleurs sur les chantiers en cours ou à venir, lors de prochains contrats.

L'entreprise FGL avait cependant dénoncé par lettre à Hydro-Québec, au début de décembre 2009, l'intimidation dont ses employés étaient victimes de la part des travailleurs de la FTQ-Construction.

Son patron, Fernand Gilbert, a demandé à la société d'État de prendre d'urgence des mesures, dénonçant des « menaces graves », des « bris d'équipement », de « l'intimidation ». Selon FGL, des surintendants forts qualifiés ne veulent plus, par peur, mettre le pied sur le chantier de la Romaine.

Un ancien dirigeant de la FTQ-Construction a confié à l'enquêteur Comeau avoir fait deux grosses erreurs dans sa carrière syndicale : avoir embauché Jocelyn Dupuis et Bernard « Rambo » Gauthier.

Il a admis que dans le local géré par M. Gauthier, à peine 200 des 500 syndiqués étaient de bons travailleurs. Il reconnait aussi savoir qu'il leur arrivait de faire du sabotage sur les chantiers pour obtenir ce qu'ils voulaient.

Des motards au local 144 de l'International ...

L'enquêteur Comeau s'est par la suite intéressé au local 144 des Tuyauteurs de l'International (CPQMCI), un syndicat que dirigeait Gérard Cyr.

Plusieurs témoins ont dénoncé la tendance du local à imposer un pourcentage - autour de 5 % selon les témoins - de travailleurs incompétents sur les chantiers. L'un d'eux les a décrits de façon colorée comme des « saucisses », sinon des « marchettes » lorsqu'il s'agit de travailleurs trop âgés pour faire correctement le travail. Les employeurs ne contestaient pas leur présence.

Un témoin a notamment dénoncé le fait que dans une raffinerie, le local parvenait à imposer à la direction le double des tuyauteurs nécessaires au travail prévu.

Un autre a indiqué que lors d'un de ces fameux tirages que les syndicats organisaient sur les chantiers, certains des membres du 144 qui vendaient les billets affichaient les couleurs des Rowdy Crew, un ancien club-école des Hells Angels.

Un autre témoin, directeur de la maintenance dans une raffinerie, a dénoncé la toute-puissance de M. Cyr : « C'est Gérard qui décidait tout : si c'était pour bien aller ou mal aller sur un chantier ».

Un entrepreneur en soudure, lui-même ancien délégué syndical du 144, a dénoncé le fait que Gérard Cyr lui imposait qui prendre sur les chantiers, au détriment de ses propres hommes.

25 000 $ pour son silence

Un monteur d'acier du local 711 de l'International qui travaillait à la mine Osisko, à Malartic, a confié à l'enquêteur avoir reçu la visite de fiers à bras pour le convaincre de travailler plus lentement. Congédié, il a alors menacé de tout déballer aux médias jusqu'à ce qu'un représentant du local lui offre 25 000 $ pour qu'il se taise. Il est par la suite retourné travailler pour la mine.

La discrimination syndicale avait été abondamment décriée par l'ex-syndicaliste Ken Pereira cet automne. Cette discrimination, avait dit M. Pereira, était étroitement liée au pouvoir que détenaient à l'époque les syndicats de la construction dans le placement de la main-d'oeuvre. Le gouvernement du Québec a depuis accordé la responsabilité du placement de la main-d'oeuvre à la Commission de la construction du Québec.

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