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Les andouillettes de la colère ou le péril d'un chef français au pays des mollahs

Les andouillettes de la colère ou le péril d'un chef français au pays des mollahs
fork and knife on a green...
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Avec andouillettes, boudins et vins à sa carte, le restaurateur français Philippe Lafforgue pensait avoir mitonné la recette parfaite pour attirer les expatriés à Islamabad. Mais son refus de servir les Pakistanais a ravivé le spectre de la ségrégation coloniale en plus de révéler les ambiguïtés sur l'alcool au pays des mollahs.

Tout a commencé par un simple tweet un soir de décembre. Cyril Almeida, un journaliste pakistanais en vue, entend parler d'un restaurant qui n'accepte les réservations que de "détenteurs de passeport étrangers".

L'établissement en question, "La Maison", est une table discrète installée depuis octobre au rez-de-chaussée de l'appartement de son gérant, le Français Philippe Lafforgue, dans le quartier branché de F-7, un écrin de verdure tapissé de pavillons luxueux niché au coeur de la capitale de la République islamique.

Pour en avoir le coeur net, le journaliste pakistanais tente de réserver une table, sans succès. Son sang ne fait qu'un tour, et il lance aussitôt une croisade contre "La Maison": "Non à l'apartheid".

"C'est tellement offensant et odieux... comment un individu peut-il faire tourner un établissement en y interdisant la population même du pays où il vit ?", fulmine l'éditorialiste trentenaire.

Le journaliste contacte alors la police, les autorités municipales et le député du coin. Samedi dernier, deux hauts fonctionnaires locaux tentent à leur tour de réserver une table dans ce bistro de 25 couverts décoré de tapis, de pièces d'artisanat à la perspective élargie par de vastes miroirs. En vain.

Le résultat ne se fait pas attendre. Les policiers débarquent aussitôt à "La Maison", ferment les lieux, arrêtent deux employés locaux et embarquent 300 bouteilles de vin, de bière et de Perrier, ces dernières sans doute prises par erreur pour de fines bulles alcoolisées.

La twittosphère pakistanaise, où la petite et influente élite locale règle une partie de ses comptes, s'embrase, certains voyant dans ce restaurant français une réminiscence des affiches "Les chiens et les Indiens interdits" datant d'avant 1947, lorsque le Pakistan était encore une colonie britannique.

Surpris et froissé par l'enchaînement des évènements, l'accusé Philippe Lafforgue, installé depuis 2005 au "pays des Purs", plaide la bonne foi et le respect de la culture islamique locale.

Bien décidé à servir "des andouillettes et des boudins" de porc, il estime qu'il n'a d'autre choix que de refuser la clientèle locale s'il veut se conformer à la loi.

L'ancien président socialiste Zulfikar Ali Bhutto avait interdit l'alcool dans les années 70, une mesure renforcée sous la dictature islamo-militaire de Zia ul-Haq dont la loi sur la prohibition, toujours en vigueur, interdit sa consommation sauf pour les "non-musulmans" et les étrangers.

L'orthodoxie musulmane interdit par ailleurs la consommation de porc, et donc de certains saucissons, de boudins et d'andouillettes, aliments jugés impurs qui répugnent de toute façon les musulmans, contrairement à l'alcool, régulièrement consommé par certains, en privé, lors de libations nocturnes.

"Tout ce que j'ai fait c'est de suivre la loi pakistanaise. Si je fais des choses illégales, je vais être dénoncé par les mollahs et voir arriver la police", explique l'éclectique M. Lafforgue, arrivé au Pakistan à titre de maître artificier avant de renouer avec son métier de cuisinier pratiqué en France.

Cachez ce vin que je ne saurais voir

Dans l'enclave diplomatique, quartier hyper-sécurisé de la capitale où sont concentrées les ambassades, des restaurants et clubs privés vendent de l'alcool à leur clientèle étrangère et parfois à des Pakistanais accompagnés d'expatriés.

Idem dans les grands hôtels du pays, où un expatrié peut commander au prix fort un verre de bière qui sera servi dans une théière ou une tasse à café, ou accompagné d'une canette vide de bière sans alcool, pour déjouer tout soupçon. Ou qui lui sera directement livré dans la chambre.

Des restaurants autorisent également leurs clients à consommer discrètement des boissons alcoolisées qu'ils ont eux-mêmes apportés sous le manteau.

Ceux qui servent de l'alcool ferment parfois pendant quelques jours au gré des perquisitions de la police, fortement soupçonnée de racketter ces commerçants, voire d'en profiter pour s'abreuver au passage des fontaines interdites.

Après le raid de samedi, Philippe Lafforgue a pu reprendre possession de son établissement. Confiant dans son bon droit, il attend la libération de ses deux employés et le retour de ses précieuses bouteilles, et envisage de rouvrir le restaurant en l'enregistrant cette fois comme un "club privé".

Ses détracteurs lui demanderont-ils demain une carte de membre? Cyril Almeida est clair. Il n'a pas de problème avec un club.

"Mais avoir des critères pour choisir les membres ne veut pas dire que l'on peut exclure des gens sur la base de leur nationalité", prévient le reporter dont la démarche ne fait pas l'unanimité chez ses collègues libéraux, certains estimant qu'il devrait réserver ses flèches aux islamistes.

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