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Sortie de «Nymphomaniac» : pourquoi Lars von Trier fait-il si peur?

Mais pourquoi Lars von Trier fait-il si peur?
DR

C'est aujourd'hui mercredi 1 janvier la sortie en France de Nymphomaniac, le dernier film de Lars von Trier. Connu pour être un personnage provocateur à la filmographie souvent jugée choquante, il n'a, cette fois encore, pas dérogé à ses habitudes. Le film est présenté comme "le porno de Lars von Trier". Mais il serait trop facile de limiter le réalisateur à cette seule facette. Derrière la provocation gratuite se cache un homme complexe et une œuvre qui l'est tout autant.

Le film Nymphomaniac est-il l'ultime provocation de Lars von Trier? Ce que l'on peut déjà dire, c'est que le quatorzième long-métrage du réalisateur danois a de quoi défrayer la chronique: l'histoire d'une nymphomane auto-diagnostiquée racontant sa vie en huit chapitre. Le thème, certes, mais le format aussi déstabilise. Nymphomaniac sort en deux parties.

» (re)Découvrez la bande-annonce ci-dessous:

Une vie hors des sentiers battus

Lars von Trier est un habitué des polémiques, des films chocs. Les affiches de Nymphomaniac ne font pas exception. On y voit les portraits des principaux acteurs, de Charlotte Gainsbourg à Shia LaBeouf, ayant un orgasme. Son nouveau film est d'ores et déjà qualifié de porno grand public. Mais cette provocation en est-elle réellement une? Pour répondre à cette question, il faut aller chercher dans la filmographie et la vie de Lars von Trier.

Lars von Trier a depuis toujours été confronté à des systèmes de valeurs radicalement différents. Celui de la société danoise d'abord. Mais aussi celui d'une famille communiste plaidant une liberté morale souvent extrême. Il est un enfant isolé de ses camarades de classe, jusqu'à être placé dans un asile psychiatrique à douze ans. Si ces faits ne prédestinent en rien une personne à un avenir aussi subversif que celui que le réalisateur connaît désormais, ils sont une piste d'explication de sa volonté de confronter le spectateur à une autre réalité. La sienne.

Ses premières amours cinématographiques ne sont pas surprenantes lorsque l'on connaît Lars von Trier. Plus particulièrement le réalisateur russe Andreï Tarkovski. Ce dernier a subi la sévère censure soviétique durant les trois quarts de sa carrière. Sa première idole du cinéma est donc un personnage qui ne se plie pas au conformisme qu'on cherche à lui imposer.

Premier film, première provocation

Dès son premier film, Element of Crime, sorti en 1984, il défraie la chronique. Il déclare à la presse: "J'espère de tout cœur que le film sera perçu comme un film immoral. Je ne suis pas né pour faire plaisir. Je ne tiens pas à contenter les gens, je veux qu'ils prennent position". Le ton est donné.

L'univers d'Element of Crime est dur, sale, prenant place dans une ville du Caire méconnaissable. L'intrigue repose sur le passé du personnage principal, un enquêteur nommé Fisher, que le spectateur se doit d'imaginer en permanence. Déroutant. Mais Lars von Trier fait en même temps éclater son génie au grand jour. Le film est un succès retentissant.

» Visionnez sa bande-annonce ci-dessous:

Les suites de sa filmographie seront en grande partie consacrées à dénoncer les conventions sociales imposées, notamment, par la religion. Le film Breaking The Waves, sorti en 1996, en est l'exemple parfait.

Sublimer les codes cinématographiques

En 2000, Lars von Trier remporte la Palme d'Or pour son film Dancer In The Dark, situé entre le drame et la comédie musicale, avec la chanteuse islandaise Björk dans le rôle principale. Si le film n'est pas aussi choquant que ceux évoqués précédemment (la peine de mort, la justice et le rêve américain y prennent tout même de beaux coups au passage), il est l'occasion pour le réalisateur de se jouer des codes cinématographiques au grand jour. Dans Dancer In The Dark, il rend la comédie musicale dramatique, parfois morbide, comme vendeuse de rêves que les Américains ne font que toucher du doigt.

Toujours dans le désir de se réapproprier les codes du septième art, il sort le film Dogville en 2003. Pour le coup, on peut dire que les décor sont simples. Une scène, comparable à celle d'un théâtre, représentant un village où les murs sont remplacés par des marques blanches tracées au sol. Si cela peut paraître rebutant, il faut tout de même préciser qu'il s'agit d'un des rôles majeurs de Nicole Kidman, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous.

La provocation qui ne passe pas

Une grande partie du grand public a découvert Lars von Trier de manière malheureuse. En 2011, il est l'un des grands favoris (si ce n'est LE favori) pour la Palme d'Or du Festival de Cannes avec son film Melancholia, réunissant Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg. Il commence par poser, lors du photocall, en brandissant vers tous les photographes son poing tatoué d'un simple, mais exhaustif Fuck. Là encore, le ton est donné d'entrée de jeu. Lars von Trier est venu faire le spectacle, sa propre vision de la morale en étendard.

Puis, c'est le dérapage de trop. Lors d'une conférence de presse, il déclare: "J'ai découvert que j'étais un nazi car ma famille est allemande. Ça m'a plu. Je comprends Hitler, mais je pense qu'il a fait beaucoup de mal. Je crois que je comprends l'homme. L'homme n'est pas intrinsèquement bon, mais je le comprends dans un sens. J'ai un peu d'empathie pour lui. […] Je suis très favorable aux Juifs, hein. Non, en fait, pas trop, car Israël pose beaucoup de problèmes. Oula, je ne sais pas comment je vais me sortir de cette phrase." Avant de conclure, perdu dans sa propre provocation: "OK, je suis nazi."

Se dédouanant de tout racisme et de toute sympathie envers le nazisme dans un communiqué (dans lequel il présente aussi ses plates excuses), il tente de rattraper la situation et de sauver la promotion de son film. Peine perdue, le festival l'exclue et le déclare "persona non grata". Melancholia sera tout de même l'un des plus gros succès de sa carrière.

Les racines: la religion

Cet incident a une origine précise. Ses propos ont été prononcés après la question d'un journaliste du Times sur le fait que Lars von Trier ait récemment découvert que ses parents n'étaient pas juifs, contrairement à ce qu'il avait toujours pensé, et qu'ils étaient allemands. En répondant de cette manière, par la provocation, il dévoile un malaise profond: celui de sa propre identité qui a alors été totalement chamboulée.

C'est dans ces supposées origines juives que résidait une grande partie de tendance à dénoncer le poids et les dogmes religieux. Et en la matière, le film Antichrist (2009), avec Charlotte Gainsbourg et William Dafoe, faisait office de figure de proue. Sorti alors que Lars von Trier arrivait à bout d'une phase dépressive importante, il y aborde la contradiction entre la perte injuste d'un être cher et la croyance en une puissance suprême et bienveillante, faisant alors un portrait du Diable prenant peu à peu forme humaine.

Avant Nymphomaniac, Antichrist est certainement le film le plus provocateur du réalisateur. Des scènes de sexes crues, mais surtout des mutilation génitales, une violence presque inexplicable et une plongée dans la folie d'une femme ayant perdu son enfant. Le tout divisé en chapitre. Ce film aura autant eu de succès qu'il aura été décrié.

Pas un provocateur né

Pour résumer la volonté de Lars von Trier de jouer avec les conventions, il faut se replonger dans ces interviews: "Je n'ai jamais réussi à faire un film de genre pur parce que je rajoute à chaque fois mon univers personnel. Breaking the Waves n’est pas un vrai mélo et Dancer in the Dark est une drôle de comédie musicale. Antichrist pour moi, c’est d’abord un film très romantique."

» On vous laisse juger du romantisme d'Antichrist ci-dessous:

Mais il serait trop facile de le limiter à sa seule provocation. Lars von Trier est un réalisateur et un homme dont les codes sont en opposition avec ceux imposés par une partie de l'industrie cinématographique et par la société en générale. Son cinéma est le reflet d'une partie de son univers, qui n'est pas celui de monsieur tout-le-monde. Il déclare d'ailleurs: "Je ne fais pas des films pour choquer. Évidemment, le pire ce serait que les gens s’en moquent. Un film, c’est sérieux pour moi."

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