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Suicides dans les Forces armées: Michel Drapeau avait sonné l'alarme en 2011 (VIDÉO)

Suicides dans les Forces armées: Michel Drapeau avait sonné l'alarme en 2011 (VIDÉO)

MONTRÉAL - La vague de suicides qui frappe les Forces armées canadiennes était prévisible et n'est probablement pas terminée, selon un expert.

«On a quatre suicides qui viennent de se produire? Malheureusement, je ne pense pas que ce soit la fin», a laissé tomber le colonel à la retraite Michel Drapeau, professeur de droit et avocat spécialisé dans les affaires militaires, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Me Drapeau avait d'ailleurs écrit à ce sujet un article en août 2011 dans la revue Hill Times, intitulé «Le ministère des Anciens combattants peut-il faire face à un possible tsunami de problèmes mentaux?» (Can Veteran Affairs Canada deal with a possible tsunami of mental health problems?).

«Il aurait dû y avoir un espèce de groupe de travail pour se demander quoi faire pour prévenir cette chose-là», a fait valoir Me Drapeau.

«Lorsqu'on envoie des hommes et des femmes à la guerre, il faut s'attendre à payer un prix, à court terme ou à long terme. Le général Dallaire en est un exemple parfait», a indiqué Michel Drapeau en faisant référence au général à la retraite devenu sénateur, qui a eu un accident de voiture plus tôt cette semaine après s'être assoupi au volant. Le général Dallaire, qui a subi de graves séquelles psychologiques de son séjour au Rwanda, a expliqué qu'il n'arrivait plus à dormir après avoir appris le suicide de trois soldats et à l'approche du 20e anniversaire du génocide rwandais.

Le colonel Drapeau, qui a défendu de nombreux militaires dans des causes de syndrome de stress post-traumatique (PTSD dans le jargon, de l'anglais post-traumatic stress disorder) note que les forces américaines ont estimé qu'entre 10 et 15 pour cent des soldats ayant servi au front pourraient souffrir de PTSD.

«Le PTSD, c'est comme une bombe à retardement. Il n'y a pas de diagnostic qui permette de savoir, à la descente de l'avion, si untel en souffre et l'autre n'en souffrira pas après un certain temps. Et c'est difficile de savoir si, après un an deux ans ou trois ans, tous les cas qui vont se manifester l'auront fait.»

Aussi, il reproche aux Forces armées de banaliser ce que les troupes vivent sur le champ de bataille. «Les troupes reviennent et passent quelques jours à Chypre, comme si un stage temporaire dans un lieu de villégiature était capable de leur permettre de se refaire une santé et de se débarrasser des démons qui pourraient les habiter.»

Mercredi, tant le ministre de la Défense Rob Nicholson que le premier ministre Stephen Harper ont imploré les militaires en crise d'aller chercher de l'aide, une approche que Me Drapeau juge complètement inefficace.

«La plupart de ces gens, c'est notoire, vont faire l'impossible avant de se rapporter et de demander de l'aide des autorités médicales parce que, premièrement, ils ne veulent pas entacher leur bon dossier de service ou montrer qu'ils ne sont pas aussi robustes qu'on pense, affirme l'avocat. Ils anticipent et appréhendent aussi, dans certains cas, que le fait de demander de l'aide va mettre leur carrière en péril.»

Ces craintes ne sont pas sans fondement, comme le démontre une entrevue publiée plus tôt cette semaine par la Presse Canadienne avec le caporal-chef Kristian Wolowidnyk, un ex-ingénieur de combat ayant survécu aux conditions pénibles de Kandahar en 2009 et en 2010.

Deux jours après avoir appris qu'il ne pourrait plus poursuivre une carrière dans les Forces, soit le 21 novembre dernier, Wolowidnyk, marié et père d'un enfant de deux ans, a tenté — sans succès — de s'enlever la vie.

Kristian Wolowidnyk souhaitait ardemment demeurer dans les Forces et se qualifier pour de nouvelles fonctions. Non seulement l'a-t-on privé de cette possibilité mais, en plus, on lui a dit que ses blessures psychologiques, incluant de l'anxiété et de la dépression ne lui permettraient pas de demeurer dans les Forces pour suivre un processus de libération prolongée pour soldats blessés.

L'épouse de Wolowidnyk, Michele, a raconté qu'avant sa tentative de suicide, son mari ne rencontrait qu'un travailleur social aux deux semaines et n'avait pas obtenu de soins psychiatriques depuis l'été.

Un autre ex-militaire interrogé par La Presse Canadienne, le caporal à la retraite David Hawkins, a été libéré cet automne après avoir tout fait pour demeurer au sein des Forces armées.

Ce dernier affirme que l'appareil militaire cherche simplement à se débarrasser de soldats aux prises avec le stress post-traumatique et ce, même s'ils ne sont pas mentalement prêts à quitter.

Pourtant, le caporal Hawkins ainsi que le caporal-chef Wolowidnyk sont affectés à l’Unité interarmées de soutien du personnel, qui est censée préparer les blessés soit à réintégrer leur unité de combat, soit à être libérés des Forces.

Le cas de Kristian Wolowidnyk ne serait pas unique. Selon des organismes qui viennent en aide aux anciens combattants, il y aurait jusqu'à 12 tentatives de suicide pour chaque cas de suicide réussi, mais ces données sont difficiles à confirmer, déplore le colonel Drapeau: «Les Forces ne nous donnent pas de statistiques sur les tentatives de suicide.»

Il déplore également que l'appareil militaire et le gouvernement ne soient pas davantage proactifs en termes de prévention mais réagissent constamment aux crises.

L'ex-militaire reconnaît que les ressources psychosociales requises pour s'attaquer à cette problématique sont très coûteuses mais cela ne justifie rien, avance-t-il.

«Si on dépense des millions de dollars en campagnes de publicité pour dire aux Canadiens comment on dépense leur argent pour soutenir l'économie, on pourrait en dépenser aussi pour des services d'urgence, des cliniques pour prévenir d'autres suicides», fait valoir l'ex-militaire.

En contrepartie, il prévient que le simple fait de dépenser de l'argent n'est pas une bonne approche en soi. Il y a aussi la manière.

«L'attitude politique (du gouvernement fédéral), c'est de mettre de l'argent sur la table. Mais ce n'est pas de payer des pensions à ces gens-là qui est nécessaire. C'est d'essayer de les aider pour empêcher cette épidémie de suicide et pour ça, il faut investir dans la prévention.»

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