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Trop de chloroforme toxique dans l'eau de 66 municipalités québécoises

Trop de chloroforme toxique dans l'eau de 66 municipalités québécoises
faucet with water drops
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L’eau potable d’une soixantaine de municipalités québécoises ne respecte pas les normes du ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP).

L’année dernière, 66 des 1109 systèmes municipaux de distribution d’eau potable ne se conformaient toujours pas à la norme québécoise sur les trihalométhanes (classe de sous-produits toxiques incluant le chloroforme et issus de la désinfection au chlore), selon un tableau du ministère du (MDDEFP) obtenu par le magazine La Maison du 21e siècle.

Le chloroforme et autres trihalométhanes (THM) sont créés par la combinaison de matières organiques (feuilles d’arbres, engrais, pesticides, fumier, etc.) et du chlore utilisé pour tuer les bactéries et les virus présents dans l’eau. Les États-Unis estiment que les THM causent annuellement des milliers de cas de retards de développement chez les nouveau-nés et de cancers de la vessie chez les adultes. Diverses études scientifiques ont aussi lié le fait de boire des sous-produits de la désinfection (SPD) à des risques accrus de cancer colorectal, de fausse couche et de malformations congénitales.

La norme sur les THM totaux est fixée à 80 microgrammes par litre (μg/L) d’eau courante (ou 80 parties par milliard ou ppb) depuis 2001 dans la réglementation québécoise et depuis 1998 aux États-Unis.

Voici les réseaux qui affichaient la moyenne des pics de THM totaux les plus élevés en 2012 :

1. Kamouraska (Bas-Saint-Laurent) : 423 μg/L

2. Franquelin (Côte-Nord) : 399 μg/L

3. Thetford Mines (Chaudière-Appalaches) et Portage-du-Fort (Outaouais) : 265 μg/L

4. Baie-Comeau (Côte-Nord) : quatre réseaux entre 169 et 244 μg/L

5. Saint-Nazaire-de-Chicoutimi (Saguenay–Lac-Saint-Jean) et Belleterre (Abitibi-Témiscamingue) : 195 μg/L)

Consultez la liste des 66 réseaux québécois excédant la norme sur les THM

La bonne nouvelle, c’est que très peu de réseaux québécois sont encore hors norme et que 75 % des 58 réseaux qui l’étaient en 2007 ne le sont plus aujourd’hui. C’est grâce aux millions de dollars investis par la province pour réduire la matière organique et conséquemment les quantités de chlore dans l’eau du robinet. Ceci par la réduction à la source, notamment des polluants agricoles et des eaux usées contaminant les prises d’eau municipales, et la filtration des matières organiques avant la désinfection.

«Les projets visant à corriger une problématique des THM sont tous considérés dans le cadre des programmes d'infrastructures comme prioritaires. L'aide financière des programmes d'infrastructures est disponible pour répondre à ces besoins», explique Émilie Lord, relationniste au ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire.

Mais selon la coalition québécoise Eau secours, les municipalités échouent souvent dans leur mandat de suivi de la qualité de l’eau potable. «Plusieurs n’arrivent pas à assurer les inspections sur leur territoire et n’ont pas de ressources humaines adéquatement formées pour le faire», affirmait l’organisme dans un mémoire déposé en 2012 dans le cadre de consultations sur cette stratégie.

Le même mois où le Dr Patrick Levallois et ses collègues québécois ont signé leur étude, deux changements apportés au Règlement québécois sur la qualité de l'eau potable ont contribué à augmenter le nombre de réseaux hors norme. On ne calcule plus la moyenne des concentrations moyennes de THM mesurées sur quatre trimestres consécutifs. Cette méthode masquait les pics survenant après les fortes pluies estivales et qui menacent le plus la santé des femmes enceintes et des enfants, selon l’Environmental Working Group (EWG), chef de file américain de recherche et défense des droits en santé environnementale.

Désormais, le responsable d'un système de distribution québécois peut effectuer le calcul même s’il ne dispose que des résultats pour trois trimestres, mais il « doit sélectionner la valeur maximale obtenue à chacun des trimestres, puis réaliser la moyenne de ces résultats », explique Geneviève Lebel, relationniste au MDDEFP.

La plupart des réseaux délinquants se retrouvent dans de petites municipalités, sauf exceptions comme Gatineau (104 μg/L) et Aylmer (92 μg/L), en Outaouais.

Par ailleurs, certaines municipalités désinfectent plutôt leur eau potable aux chloramines, une combinaison de chlore gazeux et d’ammoniac qui produit moins de THM et d’AHA que la simple chloration. Par contre, les chloramines produisent des nitrosamines cancérogènes ainsi que des acides ioniques, soupçonnés d’être les SPD les plus toxiques. De plus, les chloramines ne préviennent pas la corrosion des tuyaux de plomb comme le fait le chlore. Résultat : à Washington, le nombre de bébés ayant une plombémie sanguine élevée a quadruplé en 2009 après l’ajout de chloramines dans l’eau de la capitale américaine.

Compromis politiques

Par ailleurs, le respect de la norme sur les THM ne signifie pas pour autant que l’eau potable est sans danger. «Les règlements représentent des compromis politiques tenant compte des coûts et de la faisabilité des traitements», fait valoir la biologiste Renée Sharp dans le rapport de l’EWG Water Treatment Contaminants: Toxic Trash in Drinking Water, publié en février 2013. Mme Sharp y qualifie les SPD de véritables «déchets dangereux».

Et comme pour plusieurs experts la norme actuelle sur les THM est désuète et que même les puits peuvent être contaminés par des polluants, les consommateurs devraient toujours filtrer leur eau potable, recommande l’EWG.

«L’eau municipale peut contenir plus de 600 sous-produits de la désinfection, dont seulement neuf sont réglementés», précise Renée Sharp qui dirige le programme de recherche sur les produits toxiques de l’EWG. Les SPD comprennent les THM, les composés organiques volatils (COV) et les acides haloacétiques (AHA).

En effet, en 2005, l’Environmental Protection Agency américaine voulait réduire la norme sur les THM à 40 ppb afin de prévenir 1 300 nouveaux cas annuels du cancer de la vessie. Le projet fut abandonné. Or, en 2007, des chercheurs de quatre universités taïwanaises ont découvert que boire de l’eau contenant une moyenne de 21 ppb de THM pendant des années double le risque de mourir du cancer de la vessie. D’autres chercheurs ont remarqué que cette concentration est associée à un risque accru de donner naissance à un enfant mort-né. En 2010, une étude du National Cancer Institute américain révélait qu’une personne sur quatre aurait une prédisposition génétique augmentant son risque de cancer de la vessie sous l’effet des THM.

Pionnière comme toujours, la Californie recommande de réduire la concentration annuelle moyenne de THM totaux à 0,8 ppb, soit un niveau 100 fois inférieur à la limite fédérale.

Santé Canada rappelle que la chloration de l’eau apporte plus de bénéfices que de torts, car elle permet de tuer les microbes à l’origine de gastroentérites et d’autres maladies hydriques potentiellement mortelles. «Les risques que représentent pour la santé les sous-produits de désinfection (SPD), y compris les AHA, sont beaucoup moins importants que ceux qu’entraîne la consommation d’eau non désinfectée adéquatement», affirme le Ministère.

«Mais ce n’est pas une raison pour éviter de tout faire en notre pouvoir pour réduire notre exposition aux sous-produits de désinfection, rétorque Renée Sharp. Ceci comprend l'adoption de normes d'eau potable plus sévères et, pour les consommateurs, de filtrer l'eau du robinet.»

Parmi les dangers présentés par les THM, les chercheurs ciblent particulièrement le risque accru pour les femmes enceintes de donner naissance à un enfant de faible poids. « Des preuves croissantes suggèrent que les enfants aux retards de croissance à la naissance pourraient être plus sujets au développement de maladies importantes à l’âge adulte, comme le diabète de type 2, l’hypertension, le syndrome métabolique et la maladie coronarienne », selon une étude québécoise publiée en mars 2012 dans la revue scientifique Epidemiology.

Comment se protéger

«Certains contaminants volatils comme les THM peuvent diminuer en concentration si vous laissez l’eau à l’air libre pendant 24 heures avant de la boire, explique Mme Sharp. Mais plusieurs autres, comme les pesticides, les métaux lourds, les médicaments et autres polluants des eaux de surface non filtrés par les municipalités et qui peuvent aussi contaminer les puits, ne sont pas affectés par cette pratique. Pour réduire leur concentration, il faut tester l’eau pour déterminer le type de filtration requise. Certains contaminants peuvent être très difficiles à retirer.»

Un pichet filtrant ou un filtre au charbon installé sur un robinet coûte environ 100 $ par année, ce qui en fait une solution au moins 10 fois plus abordable que l’eau en bouteille consommée par une famille de quatre personnes.

Dans le cadre de l’étude québécoise mentionnée ci-haut, seule l’exposition orale aux THM et aux AHA augmentait le risque de donner naissance à un enfant de faible poids. Mais selon une étude citée par l’EWG, les bains et les douches sont parfois les principales routes d’exposition aux THM, substances volatiles qui sont facilement respirées ou absorbées par la peau. Il est donc recommandé de bien ventiler la salle de bain et il est aussi possible de filtrer l’entrée d’eau d’une maison. Peu importe que l’on utilise un pichet filtrant, un filtre de robinet ou un système central, il faut s’assurer qu’il soit certifié — par NSF International ou par la Californie, notamment — comme étant efficace contre les THM ou les autres polluants qu’une analyse d’eau a permis de cibler.

Guide interactif de l’EWG pour l’achat du bon filtre à eau : www.ewg.org/report/ewgs-water-filter-buying-guide

André Fauteux est éditeur du magazine La Maison du 21e siècle - www.maisonsaine.ca

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