Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Enquête internationale: le chômage, un fléau pour les jeunes du monde entier

Enquête internationale: le chômage, un fléau pour les jeunes du monde entier
Getty

Le Huffington Post a déployé ses ressources afin de saisir l'étendue de la crise du chômage dans le monde en réalisant un reportage collectif réalisé par les éditions internationales de sept pays. Ce texte n'est que le début d'une longue discussion sur les conséquences du chômage des jeunes, qui examine les dangers, mais aussi les possibilités d'en sortir. Les histoires qui suivent mettent l'accent sur des politiques censées améliorer les rendements, ainsi que l'esprit d'entreprise qui émerge tandis que les jeunes font face à la pression pour créer leurs propres opportunités.

Ce reportage s'intéresse particulièrement aux diplômés universitaire au chômage. Le coût de cet échec est un coup dur pour les jeunes diplômés, notamment ceux qui doivent rembourser un prêt étudiant. La société tout entière supporte aussi ce coût : des États-Unis à l'Espagne, les experts soulignent que la mise à l'écart de millions de consommateurs potentiels freine la croissance économique, nuisant à la prospérité pour tous.

Notre tour d'horizon commence en France, à Montpellier. Thomas Palot se fait du souci: il semble que son futur soit déjà compromis. Il a seulement 25 ans et vient de se lancer dans une carrière de technicien en informatique. Le hic, c'est qu'il est au chômage depuis deux ans. Thomas Palot est diplômé d'une école professionnelle avancée, une qualification qui lui aurait auparavant permis de connaître un meilleur sort. Mais aujourd'hui, avec ce diplôme, il se positionne tout juste dans le rang surpeuplé d'une soi-disant "génération perdue": il est l'un des millions de jeunes du monde entier, qui comme lui sont sortis diplômés de l'université pour finalement faire face au chômage et à toutes les épreuves qui lui sont liées – les difficultés financières, le désespoir et une vague sensation d'avoir fait fausse route.

"Il faut avoir un travail si l'on veut évoluer et s'épanouir dans la vie", a déclaré Thomas Palot au HuffPost. "Avant, je parlais de mon travail avec les personnes qui m'entouraient. Maintenant, je n'ai plus rien à raconter."

Dans beaucoup de pays, le chômage des jeunes est considéré comme une question purement interne, urgente à régler. Mais en réalité le problème est global: de l'Europe à l'Amérique du Nord en passant par le Moyen-Orient, le chômage des jeunes s'est répandu comme une véritable épidémie, qui menace la croissance économique et la stabilité sociale dans des dizaines de pays pour les décennies à venir.

75 millions de travailleurs de moins de 25 ans au chômage

Au total dans le monde, 75 millions de travailleurs de moins de 25 ans étaient au chômage l'an dernier, selon le Bureau International du Travail, soit une hausse de plus de 4 millions de chômeurs par rapport à 2007.

La crise transforme les dynamiques familiales, avec d'un côté des parents qui se retrouvent à aider leurs enfants une fois qu'ils ont atteint l'âge adulte, et d'un autre côté les jeunes chômeurs qui retardent le moment de fonder leur propre famille. Cela renforce l'austérité, étant donné que les gouvernements se battent pour financer les allocations de chômage et qu'une grande partie de jeunes consommateurs potentiels s'installent durablement dans le chômage. Par-dessus tout, cela attaque le moral des jeunes, à qui l'on a dit que l'éducation était le passeport pour une vie meilleure, et qui finalement se rendent compte que leurs diplômes ne sont pas un antidote contre le marché du travail morose.

"Le chômage des jeunes est dramatique", selon José Maria Aznar, l'ex-premier ministre d'Espagne, qui a tenu récemment une conférence à New York. Cinquante-six pour cent des actifs espagnols de moins de 25 ans sont sans emploi. "Cela met en danger les possibilités de croissance et d'une prospérité future."

Plus largement, la pénurie d'offres d'emplois pour les jeunes du monde entier est la conséquence d'une crise financière globale, qui a d'abord émergé aux États-Unis avant de se propager en Europe, générant des pressions économiques sur quasiment toutes les rives. Désormais le chômage des jeunes aggrave les tensions sociales et politiques déjà bien ancrées, tout en créant de nouveaux conflits dans une période de pénurie.

Situation plus reluisante au Québec

Un jeune qui veut travailler en ce moment n’aura pas trop de difficulté à le faire. C’est le constat fait par Emploi-Québec. «Si je suis un jeune, il n’y a pas de péril en la demeure, souligne Louis-Philippe Tessier-Parent, économiste à Emploi-Québec. Il y a même matière à réjouissance.»

Les statistiques sont effectivement plutôt encourageantes. Particulièrement touchés par la crise de 2008, les 15-29 ans ont repris du poil de la bête depuis, comme les travailleurs plus âgés. Leur taux de chômage oscillant autour des 11 % est plus élevé que la moyenne québécoise (maintenant sous les 8%), mais, historiquement, il en a toujours été ainsi. «Les jeunes ont toujours peiné davantage. C’est un passage obligé», confirme M. Tessier-Parent.

Plus de détails ici.

À lire aussi sur la situation au Québec:

- Le taux de chômage à son plus bas en près de 5 ans

- Marché de l'emploi: les jeunes en situation «avantageuse»

- Jeunes et emploi: un parcours parfois semé d'embûches

Le texte se poursuit à la page suivante.

"Avant, c'était des jeunes diplômés qui faisaient des emprunts immobiliers"

Aux États-Unis, à Portland, une ville de l'Oregon dans le Nord-Ouest, la jeune Brette Jackson, âgée de 23 ans, revoit ses attentes à la baisse. Ses parents et elle se sont endettés de 50 000 dollars pour payer une formation qui lui a permis d'obtenir un diplôme de styliste. Ce diplôme était censé être un tremplin pour une carrière prometteuse. À la place, elle tente de survivre grâce à son tout dernier emploi à temps partiel – employée au comptoir de charcuterie d'un supermarché – et est obligée de compter sur les coupons alimentaires fournis par le gouvernement.

"Je ne pense pas que l'économie va pouvoir continuer à fonctionner comme cela, avec ce genre de problèmes qui devient la norme", a-t-elle déclaré au Huffington Post. "Les jeunes diplômés ont toujours été ceux qui achetaient de nouvelles voitures et de nouvelles maisons, et qui faisaient des emprunts immobiliers. À présent, nous ne pouvons plus nous permettre ces choses-là."

Il y a six ans, Tommaso Padoa-Schioppa, le ministre de l'Économie italienne de l'époque, avait provoqué une controverse en parlant des "bamboccioni" ou "gros bébés", stigmatisant une grande partie de jeunes Italiens obligés de rester chez leurs parents. Aujourd'hui, environ 40% des travailleurs italiens de moins de 30 ans sont au chômage, selon les dernières statistiques, soit environ deux fois plus qu'il y a cinq ans.

"Je ris, mais je devrais plutôt pleurer", déclare Luciana Di Virgilio, une conceptrice industrielle italienne de 27 ans. "Dans nos revues spécialisées, l'expression 'jeune concepteur' est souvent employée. Et puis vous comprenez qu'ils parlent de femmes et d'hommes de presque 50 ans. Ici vous êtes toujours considéré comme un jeune à 30 ans, alors que dans le reste de l'Europe, à 23 ou 24 ans vous êtes déjà indépendant, et occupez souvent des postes à responsabilités."

Elle postule pour 75 emplois par semaines

À Almeria, une ville de l'Espagne méditerranéenne, Marta Mullor, âgée de 21 ans, s'efforce d'accepter le fait qu'elle vive toujours avec ses parents, même après avoir obtenu un diplôme supérieur de traducteur-interprète. Diplômée en juin, elle postule depuis pour environ 75 emplois par semaine, assure-t-elle, et a reçu un nombre de réponses démotivant : zéro. "L'année dernière, je n'aurais jamais imaginé que je vivrais encore chez mes parents", confie-t-elle à El Huffington Post. "Je pensais que j'aurais eu une opportunité."

Près de 27% des chômeurs espagnols sont diplômés de l'enseignement supérieur, selon le syndicat général des travailleurs d'Espagne. Avec autant de diplômés sans emploi, le diplôme peut parfois apparaître comme un boulet, un marqueur qui indique qu'un candidat ne convient pas à une position modeste. Beaucoup de jeunes Espagnols qualifiés présentent désormais deux curriculum vitae : un qui détaille l'ensemble de leur expérience, pour les emplois en lien avec leurs études, et un autre qui oublie de mentionner un diplôme ou deux, pour ne pas submerger les potentiels employeurs qui cherchent à pourvoir des emplois moins qualifiés.

En Afrique subsaharienne et dans le Moyen-Orient, la présence d'un grand nombre de jeunes incapables de trouver un travail qui corresponde à leur formation ne fait qu'embraser les conflits religieux et ethniques de longue date et sème la discorde dans le monde politique.

En France, presque un quart des travailleurs potentiels de moins de 25 ans est désormais officiellement sans emploi, selon les derniers chiffres du gouvernement. En Grande-Bretagne, 960 000 personnes de la même tranche d'âge sont au chômage, soit environ un sur cinq. Globalement, 26 millions d'Européens entre 16 et 24 ans recherchent actuellement un emploi, selon les dernières estimations du gouvernement.

Pape François: "Les jeunes ont besoin de travail et d'espoir"

Le problème est même devenu une question spirituelle : le Pape François a récemment déclaré que le chômage des jeunes devient "l'un des maux les plus graves qui affligent le monde de nos jours", mettant cela en parallèle avec "la solitude dans laquelle sont laissées les personnes âgées".

"Les jeunes ont besoin de travail et d'espoir, mais ils n’ont ni l'un ni l'autre, et le problème c'est qu'ils ne les recherchent même plus", a déclaré le Pape François dans une interview accordée au journal italien La Repubblica. "Ils ont été écrasés par le présent. Dites-moi : Pouvez-vous vivre écrasés sous le poids du présent ? Sans un souvenir du passé et sans le désir de regarder le futur en face en construisant quelque chose, un avenir, une famille ? Pouvez-vous continuer comme cela ? Ceci est, selon moi, le problème le plus urgent auquel l'Église soit confrontée."

Dans la ville espagnole de Cáceres, Ester Martinez, 24 ans, a grandi avec l'habitude de chercher tous les emplois qui sont disponibles, quel que soit son plan de carrière. Elle postule dans des magasins de vente au détail et dans des supermarchés, où elle met en avant ses aptitudes en technologie et en langues. Elle parle anglais, français et un peu italien.

Ce qu'elle ne mentionne pas – ni sur son curriculum vitae, et encore moins durant des entretiens d'embauche – c'est son haut niveau d'études. Elle évite de dire qu'elle travaille pour son doctorat et a déjà un master en plus de son diplôme d'infirmière. Elle sait que ces détails la classeraient parmi ces jeunes Espagnols surdiplômés qui ne conviennent pas à un marché du travail maussade.

2,5 millions d'Espagnols font un travail sans rapport avec leurs études

Par-dessus tout, 2 millions et demi de travailleurs espagnols sont employés dans des secteurs qui n'ont pas de rapport avec les études qu'ils ont faites, selon le syndicat général des travailleurs. Et cette dynamique semble tout bonnement se renforcer : puisque les nouveaux diplômés prennent tous les emplois qu'ils trouvent, ils n'ont aucun moyen d'accumuler de l'expérience dans leur domaine de prédilection.

Alberto Peza, un habitant de Valence de 26 ans, a été formé en sécurité au travail et est désormais vendeur d'articles de sport à temps partiel ; il gagne environ 350 euros par mois. Il se sent impuissant. Il se sent bloqué. "Comment vais-je acquérir de l'expérience si personne ne me donne la chance de montrer mes capacités et de suivre mes objectifs ?" demande-t-il. A présent certains se créent leur propre expérience. Après avoir cherché pendant cinq mois un travail en lien avec son diplôme d'histoire de l'art, Antonio Jimenez, 24 ans, a choisi d'ouvrir un bar dans son quartier à Valladolid. "Je devais faire quelque chose", affirme-t-il.

Cette décision a fait de lui une sorte de pionnier : seulement 4% des jeunes chômeurs espagnols font le choix de monter leur propre entreprise, selon le rapport de 2012 sur la jeunesse en Espagne. Jimenez n'avait pas le moindre euro à investir, alors ses parents l'ont aidé. "Obtenir des financements pour monter une entreprise en Espagne est impossible", affirme-t-il. "En plus de cela, la paperasse que vous avez à fournir est si écrasante que parfois vous pensez à tout abandonner."

Et que pensent ses parents de son parcours professionnel – le diplôme en histoire de l'art de leur fils serait-il un prérequis pour des études supérieures en préparation de cocktails ? "C'est la vie", assure son père, Antonio Jiménez Laso. "J'aimerais le voir travailler dans quelque chose de plus gratifiant, mais c'est mieux que de rester à la maison à s'ennuyer et à déprimer."

Les frais de scolarité à Madrid ont augmenté de 20 à 30%

D'autres ont simplement abandonné l'idée de travailler en Espagne. Certains n'apparaissent plus dans les statistiques parce qu'ils arrêtent de chercher activement un travail. Certains choisissent de poursuivre leurs études, une alternative de plus en plus difficile pour ceux qui ont des moyens financiers limités: les frais de scolarité à Madrid, par exemple, ont augmenté de 20 à 30% l'an dernier. Cette année, 20 000 étudiants demandeurs de bourses ont été déboutés, selon le Parti Socialiste, le principal parti d'opposition en Espagne, et la Conférence des recteurs des universités espagnoles.

Désormais une grande partie des jeunes émigre. Depuis que la crise a commencé, le nombre de jeunes Espagnols qui se lancent à l'étranger a augmenté de 41%, selon l'Institut national des statistiques. L'Allemagne, la France et le Royaume-Uni restent les destinations privilégiées pour ces jeunes travailleurs, néanmoins l'Équateur s'élève dans le classement. Le petit pays d'Amérique du Sud a pourvu plus de 5 000 emplois aux étudiants espagnols cette année.

Javier Rincón, 27 ans, a passé les deux dernières années à Berlin en tant que manager en analytique et optimisation. Il a quitté l'Espagne parce que "les conditions n'étaient pas acceptables", dit-il. Il ne songe pas à y retourner. "A chaque fois que je reviens, je suis un peu plus surpris par le triste état dans lequel est mon pays", affirme-t-il. "Je peux voir un réel déclin en culture, en politique et en économie."

Des dettes ahurissantes

Brette Jackson n'avait jamais imaginé que sa vie prendrait cette tournure. Trois ans après l'obtention de son diplôme, elle travaille à temps partiel dans un supermarché de Portland et se nourrit grâce aux coupons alimentaires. Si l'on revient cinq ans en arrière, quand elle est entrée à l'Institut artistique de Seattle – c'est-à-dire, quand ses parents et elles ont signé pour 50 000 dollars de prêt – cette situation ne faisait pas partie des résultats décrits par le jury d'admission. "Ils nous ont donné tout un tas de statistiques", se rappelle Jackson. "'Tant d'étudiants trouvent un travail dans leur domaine, et ils gagnent X euros chaque année.' Ces chiffres ne sont pas forcément précis."

Depuis qu'elle a obtenu son brevet de technicien supérieur dans une école privée au printemps 2010, Jackson a rarement eu un travail à plein temps d'une durée de plus de trois ou quatre mois. Les emplois qu'elle a réussi à décrocher étaient bien en dessous de ses attentes – le job au supermarché de Portland, un travail saisonnier pour les vacances dans un grand magasin de la chaîne Macy's à Seattle, et un emploi temporaire en tant que couturière pour une agence d'emploi intérimaire.

La grande crise et sa reprise on ne peut plus molle ont été particulièrement sévères avec les jeunes Américains. Le taux de chômage des jeunes entre 20 et 24 ans est d'environ 13 %, soit près du double du taux de chômage global, selon les données les plus récentes du Bureau des statistiques du travail. Un diplôme de l'enseignement supérieur est généralement considéré comme le meilleur moyen d'éviter le chômage, et pourtant le taux de chômage des diplômés de moins de 24 ans est passé de 5,7% en 2007 à 8,8 % aujourd'hui, selon les données récentes de l'analyse du recensement fédéral de l'Institut d'économie politique.

Un autre indicateur, le soi-disant taux de sous-emploi

Les jeunes diplômés se portent tout de même toujours mieux que ceux qui ont uniquement leur baccalauréat, mais l'analyse de l'Institut d'économie politique montre qu'un grand nombre de jeunes possédant un diplôme d'études supérieures se contentent d'emplois qui sont en dessous de leur niveau d'études. Un autre indicateur se révèle alors très utile – le soi-disant taux de sous-emploi, qui ajoute aux chômeurs ceux qui ont accepté un emploi à temps partiel, faute de trouver un emploi à plein temps, et ceux qui ont simplement arrêté de chercher. Le taux de sous-emploi des diplômés est passé de 9,9% en 2007 à 18,3% aujourd'hui.

"Il y a deux possibilités pour une grande partie de ces jeunes travailleurs surdiplômés : soit ils ont un travail, mais ne peuvent pas obtenir les heures dont ils ont besoin, soit ils veulent un travail, mais ont abandonné leurs recherches", montre le rapport de l'Institut d'économie politique. Sa mère, Laura Rupe-Jackson, est conductrice d'un car scolaire et employée dans une crèche ; elle porte un fardeau de 35 000 dollars sur le total des 50 000 dollars de dettes. Julianna, la soeur cadette de Jackson, est en dernière année au lycée. Quand elle aura son diplôme, elle rêve de se spécialiser en astrophysique dans une université très cotée. Pour sa mère, cette perspective est aussi excitante qu'inquiétante : comment peut-elle justifier le fait de s'endetter davantage pour financer les études de sa deuxième fille, étant donnée l'expérience de la première?

"Nous sommes en sursis pour le remboursement de nos crédits"

"Elle a le niveau et la motivation pour faire de grandes choses, donc c'est très frustrant pour nous", affirme Rupe-Jackson à propos de Julianna. "Nous sommes déjà en sursis pour le remboursement de nos crédits, et nous sommes proches de la faillite à présent. Tout cela m'effraie." La famille repousse depuis des années les travaux qui sont à faire dans leur maison, notamment remplacer le toit. Quand Jackson a eu un accident de voiture l'an dernier – elle n'était pas en tort, assure sa mère – ses parents n'ont pas pu payer la franchise d'assurance nécessaire pour remplacer le véhicule détruit.

Si seulement elle et sa famille avaient posé plus de questions au moment où sa fille a décidé de s'inscrire dans un institut artistique. Cette pensée tient Rupe-Jackson éveillée toute la nuit. Jackson avait pris son temps pour choisir son université afin de trouver quel type de formation serait la meilleure pour mettre ses talents à profit. Au lycée, elle avait eu l'occasion de créer des costumes pour ses amis – souvent des personnages de mangas japonais. Alors sa mère a suggéré qu'elle se renseigne sur les écoles d'art.

L'institut artistique de Seattle fait partie de la chaîne des 50 institutions privées du pays. Avec le recul, Jackson et sa mère sont toutes deux frappées par la manière dont le jury d'admission de l'école parlait, comme s'ils exposaient un argumentaire marketing. Elles se souviennent qu'ils l'ont laissé rentrer sur-le-champ. "Ils disaient 'Bon, voici le forfait pour le prêt étudiant. Nous devons nous dépêcher de vous inscrire'", raconte Rupe-Jackson. "Ma fille était contente, elle disait 'Super, je veux aller dans cette école, et je peux commencer tout de suite.' Mais cela ne me semblait vraiment pas bien quand j'y ai réfléchi par la suite."

Le bureau d'orientation envoyait surtout des stages non rémunérés

Quand Jackson est arrivée à la soirée de remise de diplômes, elle a tout de suite eu l'impression que cela se passerait moins bien que prévu. La soirée avait été annoncée comme un événement industriel où elle pourrait présenter son portfolio à des dizaines d'employeurs potentiels. "Il n'y avait personne de l'industrie de la mode à notre soirée", se souvient-elle. "Je n'ai pas donné un seul curriculum vitae."

Les mois suivants, le bureau des services d'orientation lui envoyait de temps à autre des listes d'emplois, mais beaucoup d'entre eux étaient des stages non rémunérés. Il y avait aussi des listes qu'elle aurait pu trouver elle-même sur Internet, assure-t-elle. Cherchant désespérément à gagner de l'argent, elle a travaillé temporairement à Macy's durant l'été 2010, mais on l'a renvoyé à la fin de la saison. Elle a postulé à d'autres grands magasins, en espérant qu'une expérience supplémentaire dans la vente la mettrait sur la voie pour faire des petits boulots dans la mode.

Mais beaucoup de ces employeurs recherchaient plus d'expérience dans la vente. Après être restée sans emploi pendant presque un an, elle a décroché un autre travail temporaire dans la vente dans une boutique See's Candies de la zone de Portland, pour les vacances d'été de 2011. Quand ce travail est arrivé à terme, elle est restée en contact avec une agence d'emploi intérimaire qui avait besoin de couturières pour réparer et coudre des étiquettes sur des blouses blanches. Une fois embauchée, elle espérait qu'elle allait enfin avoir un emploi stable.

Mais à la fin de l'année dernière, elle a été de nouveau renvoyée – après avoir formé un groupe de nouveaux travailleurs intérimaires à effectuer son ancien job. A ce moment-là, elle avait emménagé dans son nouvel appartement. "Il fallait absolument que je trouve un nouveau travail", déclare-t-elle. "J'avais des factures à payer." Alors elle a pris tout ce qu'elle trouvait. Elle a accepté le poste au supermarché. Désormais elle travaille entre 20 et 40 heures par semaine. Avec les coupons alimentaires et son salaire, elle s'en sort, mais elle ne peut pas envisager le futur.

Un diplôme n'est plus la porte d'entrée dans une vie aisée

Beaucoup de ses amis connaissent le même sort, assure-t-elle. Ils remettent tous en cause l'hypothèse de base qui affirme qu'un diplôme d'études supérieures est la porte d'entrée dans une vie aisée. "Pour beaucoup de mes pairs, c'est juste devenu la norme", déclare-t-elle. "Vous avez ces dettes ahurissantes, et vous ne savez pas quand ou comment vous arriverez à les rembourser. Vous anticipez simplement le fait que vous garderez cette dette tout le reste de votre vie."

Par-delà un continent et un océan, Thomas Palot résume sa propre réalité en utilisant remarquablement les mêmes mots. "Je m'en sors", dit-il. "Je n'ai pas le choix."Ce qui un jour passait pour une aspiration raisonnable semble être insensé aujourd'hui: il veut un poste de technicien en informatique, un poste qui corresponde à ses qualifications et qui serait peut-être payé 1500 euros nets par mois.

En repensant à la période où la fin de ses études approchait, "Je n'avais jamais imaginé que ce serait si dur", déclare-t-il. "Mais quand j'ai vu la situation économique se détériorer, j'ai tout de suite compris que cela allait être difficile." Pour joindre les deux bouts, Palot remplit des missions pour des agences d'emploi intérimaire. Un jour, il distribue des flyers. Le jour suivant, il soulève des caisses. Il fait ce qu'il peut pour payer ses factures, en travaillant environ à tiers-temps. Il vit avec 580 euros par mois ; 300 sont destinés à payer le loyer.

Le chômage des jeunes, priorité du candidat Hollande

En France, comme dans la plupart des pays développés, un diplôme est censé apporter une assurance en cas de coup dur. Cela se vérifie dans une large mesure. Le taux de chômage chez les jeunes travailleurs français de moins de 25 ans est juste en dessous de 25%, selon le gouvernement ; chez les jeunes travailleurs ayant les mêmes qualifications que Palot – un bac+2 – environ 10% sont au chômage.

Mais ces chiffres ne sont pas vraiment une consolation pour ceux qui se battent pour trouver du travail. Malgré ce diplôme, et malgré un ensemble de politiques gouvernementales destinées à enrayer le chômage des jeunes – c'était la priorité du candidat à l'élection présidentielle François Hollande durant sa campagne victorieuse de 2012 – Palot reste à l'écart.

"J'entends des choses tous les jours à propos des jeunes, des projets de formation", dit-il. "Mais je ne vois rien derrière cela."

Ce n'est pas seulement la stabilité d'un travail régulier qui lui manque, mais aussi l'activité et l'interaction sociale. Ce qui est le plus dur, c'est ce vide qui définit sa vie, affirme-t-il. Avec ses amis, il évite toujours de parler de sa recherche d'emploi. Il en va de même avec ses parents.

"Ils me mettent la pression, c'est normal", déclare-t-il. "Ils ont fait des sacrifices pour que j'aie tout ce dont j'avais besoin quand j'étais enfant." Il ne peut pas envisager d'avoir lui-même des enfants. "Pour le moment c'est hors de question", assure-t-il. "Je n'ai aucun projet pour le futur, pas de projet de vie ; tout ce qui compte, c’est stabiliser ma situation."

Palot ne s'attend plus à être aidé davantage par l'agence pour l'emploi locale. "J'ai eu trois différents conseillers en une année", raconte-t-il. "Comment peut-on être encadré et soutenu efficacement de cette manière ? Quelle est la logique ?"

Il existe bien sûr des stages, mais ils lui sont systématiquement refusés, dit-il, à cause de son âge: à 25 ans, il se rapproche du commencement de ce qui est censé être sa vie active, mais pourtant il est assez âgé pour tomber en bas de la liste d'attente des aides du gouvernement.

"Je ressens que je projette une image de quelqu'un qui n'a pas de volonté"

Il n'a pas perdu espoir, assure-t-il, et se retrouve même parfois à donner des conseils à ceux qui subissent le même sort: sois patient, garde espoir, reste actif, travaille ton réseau et, surtout, "fais-toi soutenir le plus possible." Suivre cette prescription est plus facile à dire qu'à faire. Palot se considère comme un travailleur acharné, compétent et pragmatique, néanmoins ces deux années sans emploi lui ont fait perdre le sens des valeurs.

"Je ressens que je projette une image de quelqu'un qui n'a pas de volonté, quelqu'un qui attend que quelque chose arrive et qui ne voit rien arriver", confie-t-il. C'est un état d'esprit qui conduit à prendre de mauvaises habitudes. Épuisement et frustration prennent le dessus. "Il y a des moments où tu ne fais rien", raconte-t-il, "parce que tu es au bout du rouleau."

Pour Samantha Ostrov, qui habite à Halifax en Nouvelle-Écosse, trouver un travail est bien plus qu'un besoin personnel. Elle porte un fardeau supplémentaire, celui de valider la décision de ses parents qui souhaitent lui donner une partie de leur épargne retraite pour financer ses études. Pourtant, cela fait trois ans qu'elle a obtenu son diplôme en sciences politiques à l'université de King's College et elle se bat toujours pour décrocher un emploi stable. Comme beaucoup de jeunes Canadiens, elle a connu le sous-emploi, postulant pour des emplois qui utilisent une toute petite partie de sa formation, uniquement pour joindre les deux bouts.

Contradiction entre le diplôme et de poste candidaté

"L'entretien d'embauche devient embarrassant quand vous devez expliquer la contradiction entre votre diplôme et le poste pour lequel vous candidatez", raconte Ostrov dans un courriel adressé au HuffPost Canada. "Cela devient ambigu quand vous postulez à n'importe quel emploi, on se demande si vous êtes trop ou pas assez qualifié, et si votre expérience et vos diplômes universitaires sont appropriés."

Ses parents ont payé pour ses deux premières années à l'université, et ensuite elle a compté sur un emprunt bancaire pour terminer ses études. Depuis qu'elle a obtenu son diplôme, le remboursement de l'emprunt est devenu une dépense très stressante. "J'ai toujours su ce qu'était la réalité d'un emprunt, mais je n'avais jamais anticipé que la lutte pour un travail stable prolongerait le processus de remboursement", confie-t-elle. Ostrov n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan du chômage des jeunes au Canada, si l'on pense à ceux qui ont entre 15 et 24 ans et qui continuent de se battre pour des emplois auxquels des Canadiens plus âgés s'accrochent pour faire face à leurs propres incertitudes économiques.

L'économie canadienne a affronté la récession mondiale mieux que beaucoup d'autres. Mais l'année dernière, 14,3% des jeunes Canadiens étaient au chômage, contre 11,2% en 2007 ; c'est le double de l'actuel taux de chômage national, qui est de 7,2% selon Statistics Canada. C'est le plus gros écart entre les taux de chômage des jeunes et des adultes depuis 1977. Les Canadiens sont plus que jamais inscrits dans des cycles d'études supérieures, cependant un rapport publié cet été par la CIBC, l'une des plus grosses banques du pays, souligne que le chômage des jeunes est renforcé par les universités qui continuent de donner des diplômes à tour de bras à des étudiants qui n'ont aucune expérience professionnelle.

"Alors que plus de formation est positif, de plus en plus d'étudiants terminent leur formation sans aucune expérience professionnelle et ont plus de chances de sombrer dans le chômage – pas d'expérience, et pas d'expérience – le cycle du chômage", explique Benjamin Tal, l'auteur de l'étude. Une fois qu'ils ont un travail, les jeunes Canadiens doivent aussi affronter le fait que, compte tenu de l'ancienneté et de l'expérience, ils ont deux fois plus de risques d'être renvoyés que leurs collègues plus âgés.

"Mes parents ont pris un risque pour moi"

Après plusieurs périodes de chômage tout au long des cinq dernières années – certaines s'étirant sur sept mois – Ostrov travaille maintenant temporairement dans un hôpital en tant qu'agent administratif. Mais elle dit avoir l'intention de suivre l'un de ses amis à environ 5000 kilomètres à l'ouest, à Alberta, pour trouver de meilleures opportunités. Son rêve est de trouver une carrière qui corresponde à ses compétences, et qui combine sa passion pour la politique internationale et sa passion pour la communication écrite. Ses parents n'ont pas fait d'études, et elle espère leur montrer que les années qu'elle a passées à l'école en valent la peine.

"C'est important pour moi de mettre en pratique mon diplôme, à l'avenir", dit-elle, constatant que ses parents "ont pris un risque pour moi qu'ils n'ont jamais pris pour eux-mêmes quand ils étaient jeunes." Ce risque ajoute une nouvelle dimension à ses soucis et ses aspirations. "Je veux prouver que cela en vaut la peine", assure-t-elle.

Damilola Odelola veut être écrivain, maître de conférences et éducatrice. Elle s'imagine mettre en place des ateliers pour parler de féminisme, de littérature africaine, de justice sociale et de religion. Elle se voit écrire des pièces de théâtre et des poèmes qui changeraient la vie des gens. Mais comme des centaines de milliers de jeunes au Royaume-Uni, Odelola, 21 ans, a dû mettre ses aspirations de côté, étant donné la faiblesse chronique de l'économie et l'augmentation des frais de scolarité à l'université. Elle n'a pas d'emploi.

Elle a été acceptée à la prestigieuse école d'études orientales et africaines à l'université de Londres et prévoyait de faire un master, mais elle a du retarder son inscription quand les frais de scolarité ont grimpé en flèche. A la place, elle essaye de rehausser son profil en écrivant pour un blogue et en faisant des stages, tout en cherchant un travail qui pourrait la faire vivre et la laisser poursuivre son rêve.

Postuler pour des emplois, sans succès, peut se révéler être une tâche épuisante

"Je suis à mi-chemin entre postuler pour tout et n'importe quoi, et être sélective", dit-elle. Elle a peur de rester bloquée dans un travail qui ne lui plaît pas, par désespoir. Mais elle a aussi peur de rester sans travail. Dans son district, Lambeth, le taux de chômage de 10% est l'un des plus élevés de la capitale, et loin devant la moyenne nationale qui est de 7,7%.

Odelola cherche en ligne un poste dans les médias ou dans le milieu éducatif, et elle s'est inscrite dans une agence de recrutement. Elle reçoit une allocation chômage tant qu'elle cherche un travail à l'agence pour l'emploi locale. Postuler pour des emplois, sans succès, et trop souvent sans réponse, peut se révéler être une tâche épuisante. Mais elle s'efforce de rester positive.

"J'ai appris à admettre qu'être refusée ne veut pas dire que je suis un échec, cela veut juste dire que je n'étais pas la pièce manquante du puzzle", assure-t-elle. "Je suis pleine d'espoir et je crois que tout arrive pour une certaine raison, et que la raison n'est pas forcément évidente aujourd'hui, mais quand elle le sera, je regarderai en arrière et je me dirai 'Oui, ça devait arriver.'" Elle essaie de ne pas oublier les sacrifices que sa famille a fait pour l'aider durant sa période de chômage. Sa mère a pris du temps à son travail pour l'emmener à des colloques et a soutenu financièrement ses efforts pour devenir écrivain.

"On peut compter l'une sur l'autre, elle a besoin de moi à la maison", raconte Odelola. "Mais elle a mis les choses au clair : si j'ai besoin de partir pour récolter les fruits de mon aspiration, elle sera heureuse que je suive ma propre voie." Sa vie sociale a été atteinte, mais Odelola est reconnaissante envers ses amis qui la comprennent et s'adaptent à sa situation. "Ils ne me harcèlent pas pour que je sorte tout le temps, à moins que cela soit gratuit", raconte-t-elle. "Et mes amis proches viennent me voir et m'apportent des cadeaux qui se mangent, ce qui n'est pas une mauvaise chose."

Elle rejette le stéréotype du "jeune fainéant" qui s'est développé avec la hausse du chômage chez les jeunes Britanniques. "Ma génération est très active", affirme-t-elle. "Nous aimons être occupés, faire des choses, beaucoup d'entre nous sont autoentrepreneurs et autodidactes. Certains ont commencé à créer leur propre marque et à se faire un nom par eux-mêmes, parce que personne d'autre ne le fera à leur place." Mais elle craint que le chômage des jeunes soit désormais si établi qu'il soit admis comme une des réalités bien connues de la Grande-Bretagne.

"Nous devons accepter que le chômage et la jeunesse ne sont pas les priorités du gouvernement en ce moment", dit-elle. "Je comprends que c'est aussi un signe de notre conjoncture économique – nous avons connu 22 récessions ces trois dernières années, cela en devient presque ridicule maintenant. Personne ne sait quoi que ce soit et nous regardons tous notre économie s'effondrer."

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.