L'invitation a été envoyée début octobre mais le mouvement existe depuis déjà quatre mois. Ce samedi 12 octobre, Marine Le Pen lance officiellement à Paris son Collectif Racine, une association d'une trentaine d'enseignants proches du Front national et un instrument de plus dans la stratégie de dédiabolisation du parti d'extrême droite.
Le 1er mai dernier, jour du traditionnel défilé parisien du Front national, le collectif estampillé Rassemblement Bleu Marine avait déjà signé une tribune dans Le Figaro appelant au "redressement de l'école" (lien payant). Mais à quelques mois des élections municipales, la mise en avant de ce nouveau segment de l'électorat frontiste n'intervient pas par hasard.
Alors que la question des rythmes scolaires promet de s'imposer comme un des grands thèmes de campagne (les municipalités ont la responsabilité des écoles maternelles et primaires), le Front national entend ainsi gagner en crédibilité auprès d'un public qui lui fut longtemps hostile.
Les "Hussards noirs" du XXIe siècle
Alors que son père épinglait régulièrement la "racaille enseignante", Marine Le Pen a fait du corps enseignant un de ses nouveaux publics de prédilection. En septembre 2011, la présidente du FN assumait le changement de ton à l'égard des professeurs: "Longtemps, il y a eu un malentendu entre nous. Longtemps, nous avons donné le sentiment de vous regarder en ennemis. [...]. Longtemps, nous avons commis l'erreur de penser que vous étiez complices ou passifs face à la destruction de l'école. Pour l'immense majorité d'entre vous, c'était une erreur et cette époque est révolue."
Et de lancer un appel censé faire vibrer la fibre républicaine d'une profession souvent malmenée: "Les enseignants devront être les hussards noirs de notre République française du XXIe siècle."
Apologie du service public, protection sociale, rétablissement de l'autorité... Le discours du "nouveau FN" promu par la benjamine du clan Le Pen porte ses fruits, assure-t-on dans son entourage. "Le discours étatiste de Marine Le Pen est en train de prendre chez les fonctionnaires, et notamment les professeurs", salue un cadre du FN.
Une réconciliation à pas lents mais que la présidente de la formation d'extrême droite entretient patiemment, comme lors de la dernière université du FN.
Idem lorsqu'un professeur marseillais se suicide, début septembre 2013. C'est Marine Le Pen en personne qui signe un communiqué promettant de replacer "la transmission des savoirs et des valeurs, le retour de l'autorité du maître, la revalorisation du métier d'enseignant, la sécurité, l'assimilation républicaine [...] au cœur d'une politique de l'Education Nationale".
Quels "enseignants patriotes"?
Qui sont ces "enseignants patriotes"? Le Front national a déjà dévoilé les noms des cinq intervenants du 12 octobre prochain. Entre Yannick Jaffré, professeur agrégé de philosophie et Valérie Laupies, directrice et professeur des écoles en ZEP, candidate FN à Tarascon, le casting a été soigné pour toucher toutes les couches du corps enseignant.
Sont également cités Alain Avello, professeur de philosophie (qui se présente sur son compte Twitter comme un "gaulliste, national républicain" en mode "résistance et opposition à l'euro-mondialisme destructeur des nations et des peuples souverains"); Michel Sibel, professeur d'EPS en Lycée professionnel, Gilles Lebreton, professeur de droit public et candidat malheureux aux législatives de 2012.
De là en conclure que les enseignants basculent au Front national, il y a un monde. L'analyse de l'électorat de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2012 démontre que la présidente du FN, à l'image de son père, continue d'atteindre ses plus bas niveaux chez les enseignants et les étudiants.
Mais la direction du FN fait le pari que la déception des électeurs de François Hollande jouera en sa faveur. Avant de s'imposer dans les salles des professeurs, les pionniers du Collectif Racine devront donc d'abord jouer les rabatteurs.