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Réserve fédérale américaine: des traders ont eu en avance l'information financière la plus attendue de l'année

Qui a volé 7 millisecondes à la Réserve fédérale américaine?
AFP

Sept millisecondes. C'est le temps qui a été volé à la Réserve fédérale (Fed) lors de son annonce capitale du 18 septembre. Quelques instants avant qu'elle surprenne les marchés en maintenant sa politique monétaire, la banque centrale américaine a subi une fuite de cette donnée importantissime. Des activités de trading ont effectivement été relevées trop tôt à Chicago pour que l'information n'ait eu le temps d'arriver dans un délai légal.

On s'explique. Il faut sept millisecondes pour qu'une information transite entre Washington, siège de la Fed, et la ville de Chicago. On estime qu'à chaque centaine de miles (160 kilomètres) de distance d'un lieu, 1 millième de seconde est nécessaire pour qu'une information arrive à bon port. Sauf que des ordres boursiers en réaction à la décision de la Fed ont été passés plus tôt à Chicago qu'à New York, pourtant moins lointaine de Washington (328 km contre 956 km).

Dans un cas comme celui-ci, il n'y a pas d'humain qui presse un bouton à la réaction d'un événement financier. Des machines sont conçues pour avoir un comportement automatique à chaque situation donnée. Une poignée de millisecondes sont nécessaires pour passer des ordres sur les marchés: on appelle ça le trading à haute fréquence (HFT, pour high frequency trading) ou trading algorithmique (algotrading). Ainsi, les ordinateurs de toutes les Bourses du monde ont eu une réaction automatique après l'annonce de Fed, mais dans un timing proportionnel à leur distance de Washington, source de l'information.Toutes, sauf quelques petits malins à Chicago.

Selon la chaîne financière CNBC qui cite le cabinet d'études Nanex, les traders de New York auraient dû en principe avoir une avance de l'ordre de cinq millisecondes sur ceux de Chicago pour toute information en provenance de Washington. Pour Eric Hunsader, directeur de ce cabinet basé à Chicago, il y a eu pour 800 millions de dollars d'échanges négociés trop tôt. Ces derniers portaient essentiellement sur des métaux précieux, dont l'or, qui a subi une variation de 4% après les annonces de la Réserve fédérale.

Le protocole extrêmement précis destiné à la presse

Dans les faits, cette situation n'est pas "illégale". Car les échanges de Chicago ont eu lieu très exactement trois millisecondes après 14h, horaire de l'annonce mesuré par l'horloge atomique américaine. Sauf que le temps mis pour que l'information atteigne Chicago -et que les ordres soient passés-, implique qu'une communication entre deux personnes a eu lieu avant l'heure. Du coup, la presse financière est particulièrement visée.

Selon le fonctionnement traditionnel de la Fed, le communiqué du Comité de politique monétaire (FOMC) est remis aux médias 10 minutes avant sa parution officielle. Ce rendez-vous a lieu dans l'immeuble officiel de l'institution, organisé comme un bunker. Avec une obligation formelle: interdiction de publier quoi que ce soit avant 14h, soit 20h heure de Paris. Les journalistes ont donc quelques minutes pour analyser ce document complexe avant de présenter son contenu.

A 13h58, les journalistes de télévision sont escortés de leur salle sécurisée afin de rejoindre une zone où sont disposées leurs caméras. Les règles de la Fed sont strictes: aucun reporter n'a le droit de prendre la parole avant 14h précises. Deux minutes avant, les journalistes de presse écrite sont autorisés à passer un appel à leur rédaction, mais n'ont pas le droit d'interagir avec leur interlocuteur avant 14h tapantes.

Les organisations de presse sont par ailleurs tenues de signer un accord stipulant: "Je comprends que je n'ai pas l'autorisation de faire un usage public des documents distribués par la Réserve fédérale, que ce soit en radiodiffusion, affichage sur Internet ou tout autre diffusion, jusqu'au moment où la Fed aura fixé leur libération publique". Ces mesures ont été décrétées pour qu'aucune personne ne puisse apprendre la décision à l'avance et en profiter.

L'information financière la plus attendue de l'année

Les intérêts sont colossaux. La Réserve fédérale déverse 85 milliards de dollars chaque mois dans l'économie américaine, afin de soutenir la reprise du pays. Sa décision de maintenir ce niveau de soutien a été une surprise totale, alors que les observateurs s'attendaient à ce qu'elle réduise la voilure. A l'annonce de sa décision, les marchés financiers mondiaux ont fêté en fanfare le maintien de cette pluie de dollars. Enregistrée en avance, cette information pouvait faire remporter des gains gigantesques.

(Le cours du Dow Jones à l'annonce du 18 septembre)

Pour la Fed, cette histoire est très sérieuse. Des contacts ont été pris avec les médias présents pour s'assurer que les procédures ont été bien comprises. Si les groupes de presse soupçonnés n'ont pas été cités par l'institution, une porte-parole de Reuters a confirmé que la société avait été contactée. "Nous sommes certains d'avoir respecté totalement les conditions de l'embargo imposé par la Fed", a assuré Barb Burg, responsable de la communications de l'agence de presse financière.

Sa concurrente Bloomberg s'est quant à elle refusée à tout commentaire. MNI, filiale de Deutsche Börse, n'a pas non plus réagi dans l'immédiat. L'agence de presse Dow Jones a déclaré qu'elle "continuera de coopérer avec la Fed afin de communiquer en complète conformité avec ce qu'elle souhaite".

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