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La femme de Thomas Mulcair, Catherine Pinhas, déplore l'image colérique associée à son mari

La femme de Mulcair déplore l'image colérique associée à son mari
Althia Raj

Le chef du NPD Thomas Mulcair passe parfois pour un personnage têtu, colérique et intransigeant, mais son épouse tient à vous faire savoir qu’il est gentil et généreux – bien qu’il ne le laisse pas toujours paraître.

En entrevue pour la toute première fois, Catherine Pinhas déplore que les Canadiens aient une perception erronée de son mari. Attablée à ses côtés au Crescendo – un restaurant italien de l’arrondissement de Verdun surplombant le fleuve Saint-Laurent – elle décrit un homme à l’écoute de ses concitoyens, qui prend le temps de visiter ses amis et a su gagner la loyauté de ses collaborateurs (dont certains lui sont fidèles depuis ses débuts en politique).

Après avoir substitué la soupe aux légumes de son mari par un second jus de tomate, puis insisté pour avoir une salade de roquette sans commander la table d’hôte et vérifié que les plats de morue ne contenaient pas de chapelure ni de poivrons, elle livre enfin ses états d’âme: Thomas Mulcair est un homme exceptionnel qui demeure inconnu des Canadiens.

«C’est une des meilleures personnes que je connaisse. Ils ne le savent pas. Ils le voient comme une grosse brute, ce qui est totalement faux. Je ne pourrais pas vivre avec une brute!», affirme-t-elle candidement. «Il est fin, il est gentil. Ça, j’aimerais qu’on le sache.»

Portant un veston bleu marine et une cravate alors que son épouse porte un chandail de coton aux fleurs roses et des bijoux en or plus décontractés, le chef néo-démocrate se dit de nouveau hanté par son image d’homme au verbe acéré et au tempérament imprévisible.

Il attribue la popularité du surnom «Angry Tom» à son principal adversaire de la course à la chefferie de 2012. «Durant la course à la chefferie, [Brian Topp] a décidé qu’il utiliserait ce thème contre moi. Son équipe a essayé de dresser un portrait négatif de ma personne.»

Le serveur arrive avec la soupe plutôt que le jus de tomate. M. Mulcair n’en fait aucun cas.

La campagne de Brian Topp a peut-être réussi à populariser le surnom «Angry Tom», mais comme le fait remarquer Mme Pinhas, la réputation d’homme caractériel de Thomas Mulcair a pris naissance dès qu’il est arrivé sur les bancs de l’opposition à l’Assemblée nationale du Québec.

«Il a toujours eu un rôle à jouer. Certains ne parviennent pas à s’habituer à ce qu’une personne se lève pour dire “assez c’est assez” ou pose beaucoup de questions – des questions rapides qui déroutent le camp adverse», dit-elle en frappant le poing dans sa main ouverte.

Même son propre camp a paru dérouté en certaines occasions. En 2006, Jean Charest a allégué que Thomas Mulcair avait des difficultés à travailler en équipe. (Ce dernier aurait claqué la porte du PLQ pour avoir contesté un projet de condominiums au mont Orford ou parce qu’il refusait une démotion – libre à vous de choisir la version la plus plausible.)

Le principal intéressé croit que son image de bagarreur lui colle encore à la peau parce qu’il a dû affronter un adversaire aussi entêté que lui en la personne de Stephen Harper. «Les débats prennent parfois une tournure mouvementée», affirme-t-il en bombant le torse. «M. Harper n’a jamais eu d’opposant aussi coriace!»

«Je ne crains pas les échanges musclés. Ils font partie de ma définition de la politique active. Si vous ne défendez pas votre point de vue vigoureusement, vous allez finir aplati sur le bord de la route comme Stéphane Dion ou Michael Ignatieff.»

Pour sa part, Mme Pinhas n’apprécie pas vraiment la politique. Cette psychologue en pratique privée au centre-ville de Montréal – qui travaille aussi à temps partiel dans un CHSLD de l’est de la ville – se dit inquiète pour son mari et déteste les campagnes négatives à son égard.

«Je n’aime pas ça du tout», dit-elle en le regardant, alors que le serveur arrive avec les assiettes de morue sur un lit d’épinards. Constatant à regret la présence de poivrons, Mme Pinhas enchaîne au sujet de sa grande sensibilité et des émotions qu’elle ne parvient pas toujours à bien gérer, à l’instar de son mari.

«[Thomas] a des caractéristiques qui lui appartiennent. Il a les bons et mauvais côtés de ses caractéristiques. Moi, je suis très sensible, c’est ma force et ma faiblesse. Je suis bonne psychologue parce que je suis très sensible, mais je vais être touchée et bouleversée plus vite que d’autres.»

«La force et sa solidité de Thomas donnent l’impression qu’il est intransigeant», ajoute-t-elle en claquant les mains. «Quand on dit qu’un enfant est une tête de mule, ça veut dire qu’il est déterminé. On ne peut pas être une tête de mule sans être déterminé – c’est impossible – mais il se peut qu’on utilise mal cette qualité. Et quand on dit qu’une personne est trop sensible, bullshit ! On peut être sensible et mal utiliser cette qualité par moments, mais on n’est jamais trop sensible. Mon mari a les défauts de ses qualités.»

Mme Pinhas est une critique bienveillante qui garde son époux sur le qui-vive. Au moment où M. Mulcair mentionne un ex-maire de Laval «qui était un très bon gars, contrairement à ses successeurs», elle l’interrompt en lui disant «arrête» vivement. Celui-ci prend une pause, puis complète sa phrase.

Au sujet de Laval justement, M. Mulcair a été accusé de ne pas avoir divulgué une tentative de pot-de-vin effectuée par le maire Gilles Vaillancourt en 1994.

En 2005, il a connu d’autres ennuis et a dû verser 95 000 $ pour atteinte à la réputation du ministre péquiste Yves Duhaime, à qui il avait dit : «J’ai hâte de te voir en prison, vieille plotte» quelques années plus tôt.

M. Mulcair et Mme Pinhas sont mariés depuis 37 ans et se sont rencontrés il y a 39 ans. Au fil du temps, leur relation a pris une dimension de soutien mutuel : «Lorsque je me sens fragile ou dépassée par les événements, il est solide et je peux m’appuyer sur lui. L’inverse est aussi vrai.»

Étudiante française vivant à Paris, Catherine Pinhas est venue au Canada pour assister au mariage de son cousin en 1974. À cette époque, Thomas Mulcair fréquentait la sœur de la future mariée. Mme Pinhas – qui demeure toujours jolie et élégante à 58 ans avec ses grands yeux bruns, ses longs cheveux bruns et son sourire spontané – se rappelle le jour où elle a marché au bas d’une colline gazonnée et croisé son futur époux, occupé à préparer des boissons du haut de ses 19 ans. Ç'a été le coup de foudre.

«Il y a eu des flammèches», se remémore-t-elle.

Après qu’elle soit rentrée en France avec la photo de Thomas, les deux se sont écrit quotidiennement jusqu’à leur mariage.

Faisant allusion aux subtilités de la langue française, Mme Pinhas se rappelle que Thomas lui a envoyé des lettres disant «je te manque» pendant deux ans. «Je lui écrivais “tu me manques” et il me répondait “je te manque”. Je me disais “il n’est pas gêné?!” »

Il y avait parfois des échanges de cadeaux. Une fois, Thomas a posté le 45 tours d’un artiste qu’aucun des deux ne veut nommer. La mère de Mme Pinhas sortait de ses gonds chaque fois qu’elle l’entendait. «Elle pensait que Thomas n’avait pas toute sa tête.»

Il faut préciser que les deux tourtereaux provenaient de milieux très différents. «Nous on était bourgeois avec une dame qui travaillait a la maison, deux enfants très encadrés», affirme Mme Pinhas.

«Tu ne peux pas avoir de manières plus opposées [d’élever une famille], c’est impossible », dit-elle en se redressant. «Les amis de mes parents mettaient peut-être des cintres dans le dos de leurs enfants pour qu’ils se tiennent droits à table. Eux, ils étaient 10 enfants à se partager 4 sandwiches et une aile de poulet, ajoute-t-elle en regardant son mari. J’étais gâtée.»

Originaire du quartier lavallois de Chomedey, Thomas Mulcair se rappelle avoir placé ses frères et sœurs au lit pour changer leurs couches dès l’âge de huit ans. «Il y en avait six plus jeunes que moi, je n’avais pas le choix.»

Le couple Mulcair-Pinhas a donné naissance à deux fils qui sont maintenant dans la trentaine. Greg est professeur de physique au cégep tandis que Matthew est sergent à la Sûreté du Québec. Ce dernier a eu deux enfants avec son épouse Jasmyne.

M. Mulcair souligne que ses deux fils travaillent dans la fonction publique : «Je crois que ça vient de notre manière de voir la vie en société.»

Le chef néo-démocrate s’intéressait déjà à la politique à l’adolescence. L’un de ses professeurs, un prêtre, lui a fait comprendre l’importance d’aider son prochain. Le maire de Laval de l’époque lui a aussi fourni une bonne dose d’inspiration. De plus, un conseiller en orientation lui a dit que des études en droit seraient nécessaires pour entreprendre ce type de carrière. Famille oblige, Thomas Mulcair n’a fait son entrée en scène au PLQ qu’en 1994. Celui-ci avait reçu des offres dès 1984 et 1989, mais les enfants du couple étaient trop jeunes pour y donner suite.

«Je ne pouvais pas être à la fois papa et maman, c’était impossible», se rappelle Mme Pinhas. Je ne pouvais être que maman. Nous nous sommes dits que l’occasion se représenterait plus tard.»

«En effet, l’occasion s’est représentée», d’ajouter M. Mulcair.

«La vraie vie, c’est la vie de famille. Après, il y a le travail. Nous ne voulons pas mettre la famille en péril pour des emplois – même des emplois importants», précise Mme Pinhas.

«La politique est l’art de faire la différence», ajoute-t-elle au moment où son mari entame le dessert – une crème brûlée et un café-crème pour lui, rien pour elle. La torche du restaurant étant à court de gaz, la crème brûlée à dû être préparée au four. M. Mulcair regarde la préparation veloutée et s’exclame : «C’est une soupe à la crème, 2 sur 10.» Puis il la mange tout de même au complet.

«C’est quoi la politique? Je crois que c’est redonner leur fierté aux Canadiens, les écouter puis passer à l’action», explique Mme Pinhas. Celle-ci se dit trop bouleversée par l’injustice et les inégalités pour être capable de faire elle-même de la politique active.

La psychologue trouve particulièrement éprouvant son travail en CHSLD, où elle constate que des personnes âgées font faillite à cause de leur incapacité à payer leurs factures.

«Faire faillite à 70 ans, est-ce que c’est normal? Ce n’est pas acceptable, une société comme ça. Dans le monde entier, le Canada n’est-il plus un endroit dont on devrait être fier? Ce n’est pas normal. On ne serait pas embarqués là-dedans si on n’était pas aussi outrés. Moi, je n’avais jamais voulu faire de politique.»

«On est vraiment capables d’agir là-dessus», renchérit M. Mulcair.

Il est évident que le couple est soudé par des valeurs communes. «C’est l’honnêteté, l’amour, la franchise. Rien de compliqué. Il faut être sincères et respecter autrui, parce que nous sommes tous différents, affirme Mme Pinhas. Pour moi, c’est la clé.»

«Elle met en pratique ce qu’elle prêche, croyez-moi», insiste M. Mulcair. «Catherine est comme ça. Elle est droite, droite, droite.»

Consciente de son rôle de conseillère, Mme Pinhas affirme jouer son rôle humblement : «Qui suis-je pour lui dire quoi faire?»

«Si elle m’entend dire “Harper est ceci ou cela”, elle me regarde et dit “Monsieur Harper”, raconte M. Mulcair. Elle me corrige et me rappelle à mon devoir de respect.»

«Je n’ai rien de personnel contre les conservateurs ou [M. Harper]», affirme Mme Pinhas. Je suis en désaccord avec pas mal de choses – sinon, nous ne serions pas embarqués dans cette aventure – mais le respect est là.»

Malgré tout, il semble que certains politiciens lui posent problème.

«Il y en a qui me tombent vraiment sur le système», s’exclame-t-elle.

«Ça se voit moins chez toi que chez moi», ajoute M. Mulcair en riant.

«Chez moi, il n’y a pas de sang irlandais», renchérit-elle.

La facture arrive et Thomas Mulcair donne 15 % au serveur, qui s’en trouve ravi.

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