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De pionnier à valeur sûre de la musique électronique – Entrevue avec Andy Fletcher de Depeche Mode (INTERVIEW, PHOTOS)

De pionnier à valeur sûre de la musique électronique

Depeche Mode était en spectacle ce mardi au Centre Bell de Montréal, après un passage à guichets fermés à Toronto dimanche dernier. La musique de cette formation légendaire a paru nettement plus jeune que son public, qui a certainement eu recours à de nombreuses gardiennes d’enfants pour se prévaloir de ces soirées mémorables.

L’avantage de la musique électronique est qu’on peut en actualiser les sons. Même un groupe comme Depeche Mode, qui utilise la guitare en abondance, peut recourir à des synthés plus récents et ainsi faire oublier qu’il existe depuis 1980.

Les succès comme Enjoy The Silence, Policy of Truth et Walking In My Shoes ne m’ont pas semblé aussi sombres et futuristes qu’à l’époque mais demeurent résolument contemporains. La vague électro de la dernière décennie semble avoir donné à Depeche Mode un vernis intemporel. Les abdominaux musclés du chanteur Dave Gahan, maintenant âgé de 51 ans, le font paraître plus jeune que le junkie moribond qu’il fut jadis, et son timbre de voix si caractéristique n’a rien perdu de son effet dramatique.

Appuyées par le guitariste-compositeur Martin Gore et le claviériste Andrew Fletcher, les chansons du nouvel album intitulé Delta Machine ont bien pris leur place à travers les vieux hits, même si elles n’en possèdent pas les refrains irrésistibles.

Pourquoi la musique de Depeche Mode demeure-t-elle si pertinente, contrairement à celle d’autres formations pop et new wave des années 80 ? Nous avons demandé au membre fondateur Andy Fletcher ce qu’il en pense.

Beaucoup de choses ont changé depuis la parution de votre album précédent il y a quatre ans. La musique dance électronique a littéralement conquis le grand public en Amérique du Nord. Quel impact cela aura-t-il sur votre tournée?

Je ne crois pas que ça aura un impact direct sur nos activités. Le public nous considère comme les grands-parents de l’EDM, mais nous n’en sommes pas la tête d’affiche actuelle. Que des jeunes écoutent de la musique électronique en grand nombre nous favorise certainement, mais je ne m’attends pas à ce que des centaines de milliers d’adolescents de 16 ou 17 ans se précipitent à nos spectacles.

Lorsque vous avez connu le succès, la musique électronique trônait au sommet de la pop. Elle a ensuite cédé le pas à d’autres genres. Même durant la vague rave, elle n’a jamais vraiment reconquis les palmarès. Mais depuis quelque temps, on l’entend de nouveau à la radio. Croyez-vous que Depeche Mode a influencé la musique pop d’aujourd’hui?

Tout n’était pas si rose dans les années 80. Les journalistes rock ont vertement critiqué notre manière de faire de la musique. L’ironie du sort est que notre manière de travailler est maintenant devenue la norme. Encore une fois, je ne crois pas que cette situation se traduira par une vague massive de nouveaux fans. C’est de manière indirecte qu’elle tournera à notre avantage. Beaucoup de nouveaux artistes nous perçoivent comme nous percevions Kraftwerk à l’époque [c’est-à-dire comme des pionniers de la musique électronique].

Entendre Rihanna affirmer que nous sommes son groupe préféré et plein d’autres musiciens dire des choses semblables est un grand honneur. Savoir qu’on a influencé telle ou telle personne fait chaud au cœur. Lorsque nous avons fondé le groupe, nous n’avons jamais imaginé que cela nous arriverait. Nous pensions que notre succès allait durer deux ans tout au plus, et nous voici en grande forme 30 ans plus tard !

Depeche Mode a toujours su se démarquer par des chansons bien ficelées qui auraient certainement du succès si elles paraissaient aujourd’hui. La musique pop actuelle sonne bien, mais la qualité des chansons n’est plus ce qu’elle était. Y a-t-il des leçons à tirer de tout ça?

Le début des années 80 a été l’âge d’or de la pop électronique. Huit albums sur dix vendus aux États-Unis étaient ceux de groupes britanniques. Avec du recul, on peut dire que les années 80 étaient aussi l’apogée des coupes de cheveux ridicules, mais il y avait véritablement du bon matériel. Si me vous dites que la sonorité de la musique actuelle est impeccable mais que les chansons ne sont plus vraiment bonnes, c’est lamentable.

Les gens écoutent encore Personal Jesus un quart de siècle plus tard, non? Les gens restent attachés à ces vieilles chansons. En ce qui concerne Rihanna, je n’en sais rien mais...

Je pense que c’est le problème de la génération actuelle. Personnellement, je suis chanceux que mes 10 ans aient été bercés par le glam britannique de T. Rex, David Bowie, Gary Glitter, Sweet et Slade. Le punk est apparu lorsque j’avais 16 ans et ce courant a profondément changé la musique. Et puis la pop électronique s’est imposée. Même les gens ayant grandi dans les années 90 peuvent se remémorer des groupes comme Oasis et Blur. Mais en ce moment, il est difficile de savoir à quoi la génération actuelle pourra s’accrocher. À vrai dire, je n’en sais rien moi non plus.

La technologie évolue sans cesse. Comment a-t-elle modifié votre processus créatif, et plus particulièrement l’enregistrement de votre nouvel album?

La technologie crée plus d’options, ce qui peut poser problème. À l’époque, nous n’avions que deux ou trois synthés et très peu de choix. Maintenant, les possibilités sont nombreuses. Nous sommes ouverts aux nouvelles technologies mais restons encore attachés à quelques formules éprouvées. Nous commençons par déterminer quel type de son nous voulons, puis nous faisons tout ce qui est nécessaire pour l’obtenir.

Utilisez-vous des vieux synthés, des synthés modulaires et tous ces nouveaux trucs...

On utilise tout ça, oui.

Nine Inch Nails est un bon exemple de groupe pop électronique à tendance industrielle. Chaque nouvel album a un son très actuel qui demeure tout de même typique de Nine Inch Nails. Mais il est vrai que Trent Reznor incorpore pas mal de nouvelles technologies.

Oui, Trent est très doué, très talentueux. Nous essayons d’imiter sa démarche. Nous essayons de produire des albums qui ont une sonorité typique de Depeche Mode avec la voix de Dave, les paroles de Martin.

Quels sont vos objectifs pour la présente tournée?

Vous pouvez avoir des attentes élevées ! Je crois que notre performance est à son meilleur en ce moment. Nos nouvelles chansons ont un très fort impact lorsqu’elles sont jouées en spectacle. Elles sont à la fois minimales et puissantes, ce qui est bon signe. Les chansons de notre album précédent n’interpellaient pas autant le public. Par ailleurs, nous avons commencé à déterrer quelques pièces que nous n’avons pas jouées depuis très longtemps. Je suis certain que nos fans en raffoleront.

Avec le recul, que pensez-vous de 101 [le documentaire de tournée paru en 1988] ?

Ce film relate une période très importante de la musique alternative en Amérique du Nord. Nous sommes l’un des premiers groupes alternatifs à y avoir effectué des tournées majeures. Nous étions à l’avant-garde. Dans les années qui ont suivi, la musique alternative a véritablement pris son envol avec Nirvana et Pearl Jam. Nous avons pris un gros risque en jouant au Rose Bowl, les gens pensaient que nous étions fous. Et pourtant, tout a très bien fonctionné. Cette époque était formidable. Nous ne pensions jamais avoir du succès en Amérique avec notre style si européen mais ça a été l’hystérie, une véritable Beatlemania. Quelque chose d’incroyable s’est produit, ça a été un point tournant de notre carrière.

Tout ça avant même que ne paraisse votre album Violator, immensément populaire aux États-Unis?

Oui en effet, c’était l’époque de Music for the Masses. Nous avons joué à Houston devant 39 000 personnes sans jamais avoir eu d’album ni même de single dans le Top 40 américain. Nous attirions régulièrement des foules de 40 à 50 000 personnes.

Comment un succès de la sorte était-il possible avant l’avènement d’Internet?

C’étaient les belles années de la radio alternative. Les gens étaient fatigués des radios commerciales américaines jouant sans arrêt les ballades de Journey ou de Foreigner. Les gens voulaient du nouveau. Nous sommes arrivés juste au bon moment aux côtés de New Order, The Cure et d’autres formations tout aussi excitantes.

Étiez-vous conscients que la scène rave et acid house était en train d’émerger au même moment?

La situation n’était pas très différente à cette époque. Nous étions déjà les pères de la musique électronique, et nous en sommes aujourd’hui les grands-pères !

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