Sous le règne du maire Gilles Vaillancourt, la Ville de Laval a payé en double l'expertise pour réaliser la vente de ses terrains à des fins industrielles. Elle a financé son bras économique Laval Technopole dont c'est le mandat, et a versé près de 850 000 $ en commissions à des courtiers immobiliers au service d'entreprises privées, a appris La Presse.

À 31 reprises depuis 1998, la Ville de Laval a accepté de payer des commissions à des courtiers immobiliers comme Devencore, Royal Lepage ainsi qu'à la soeur du maire, Marie-Claire Vaillancourt, de la firme Opus immobilier. La Ville n'a toutefois jamais versé elle-même l'argent. L'administration Vaillancourt a plutôt utilisé son bras économique, c'est-à-dire Laval Technopole, dont 23 % de toutes les transactions immobilières sont concernées par cette pratique.

Fréquentations politiques

Or, le mandat central de cet organisme municipal est de rechercher les investissements afin de soutenir le développement économique, ce qui implique régulièrement l'achat d'un terrain par une entreprise. Les transactions immobilières sont la spécialité du commissaire industriel et vice-président Développement, investissement et immobilier de Laval Technopole, Gilbert LeBlanc. Il est la passerelle entre les entreprises désireuses d'acquérir un terrain public pour s'y installer et la Ville de Laval qui en est propriétaire.

Pour mener à bien ces transactions, M. LeBlanc fréquentait très régulièrement l'hôtel de ville. Son travail ne se limitait toutefois pas à accompagner les entreprises dans les dédales administratifs. M. LeBlanc rencontrait le maire Gilles Vaillancourt pour lui soumettre les dossiers.

Il a été impossible de joindre M. LeBlanc, qui est présentement en vacances. Avant son départ, il n'avait pas rappelé La Presse.

Toutefois, le PDG de Laval Technopole, Pierre Desroches, a accordé la semaine dernière une entrevue au cours de laquelle il a affirmé que l'étroite collaboration avec le politique illustrait à quel point il s'agissait d'une «administration hands on». Du même souffle, il se défend d'avoir servi de paravent pour les décisions politiques de Gilles Vaillancourt.

Concurrence municipale

Selon M. Desroches, Laval Technopole n'avait pas le choix de payer des commissions à des courtiers immobiliers qui étaient embauchés par les entreprises. «Techniquement, on n'a pas besoin d'un courtier. Le client choisit d'avoir un courtier parce qu'il ne veut pas faire lui-même la démarche de trouver un terrain [...] et qu'il ne veut pas être exclusif avec une municipalité», a d'abord expliqué M. Desroches.

Puis, il a ajouté que dans d'autres municipalités, les courtiers immobiliers représentant les acheteurs empochaient une commission. Devant cette concurrence, la Ville a changé sa façon de faire en 1998. «On a commencé à verser des commissions parce qu'à cette époque-là, il y en avait beaucoup. Chaque fois qu'on présentait une offre directement [à une entreprise], sans passer par le courtier, on n'était jamais retenu», a affirmé Pierre Desroches qui souligne que les courtiers «disqualifiaient» l'offre lavalloise en faveur d'une proposition qui leur générait une commission.

Mais vérifications faites, cette pratique n'est pas répandue dans les villes de la région métropolitaine. À Montréal, Longueuil, Blainville et Mascouche, on soutient n'avoir jamais payé une commission à un courtier compte tenu de la présence d'un commissaire industriel dont c'est le rôle. «La Ville de Montréal ne paie jamais de commission. Si un courtier est affecté au dossier, c'est l'entreprise acheteuse qui devra le payer pour ses services», a précisé le porte-parole montréalais, Philippe Sabourin.

Des «grenailles»

Aux yeux de Pierre Desroches, les fonds publics ayant servi à payer les courtiers constituent un débours mineur, «une petite commission» compte tenu des investissements que représentent les 31 ventes de terrains publics réalisées depuis 13 ans. Au total, il s'agit de 847 032,45 $, soit entre 5,75 % et 8 % du prix de vente des terrains. «Ce n'est vraiment pas cher pour avoir un client. Vous n'y pensez même pas. Ce n'est même pas un élément de décision», a déclaré M. Desroches.

Ce dernier a ajouté que les sommes versées sont «des grenailles pour moi, mais c'est pas des grenailles pour le courtier qui reçoit la commission. Pour lui, c'est beaucoup d'argent».

À deux reprises, Gilbert LeBlanc aurait remis lui-même le chèque au courtier, comme tendent à le démontrer les factures émises par Laval Technopole et transmises à La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Selon M. Desroches, le service des finances aurait donné le chèque à M. LeBlanc afin qu'il y joigne des documents.

Lundi dernier, l'Unité permanente anticorruption a rendu visite à Laval Technopole et y a rencontré le PDG Pierre Desroches.