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Réfugiés syriens au Liban : les multiples visages de la Syrie en fuite

Les multiples visages des réfugiés syriens
Photo : Lorenzo Meloni

=Le chiffre rappelle l'ampleur du massacre. Le conflit syrien a fait plus de 100.000 morts selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Au moins 13 personnes ont encore été tuées dimanche dans un quartier de Damas où des combats opposent les rebelles à l'armée syrienne qui y assiège des centaines de familles, selon l'OSDH. "Le siège est dû au fait que les tireurs embusqués du régime sont postés sur les périphéries de Qaboun, ce qui rend difficile le mouvement d'exode", explique cette ONG basée en Grande-Bretagne.

La guerre pousse effectivement aussi les vivants sur les chemins de l'exil. Qu'il soit sunnite, alaouite ou chrétien, pro ou anti-régime, aisé ou démuni, chaque réfugié syrien porte en lui un récit, une part de vérité. Autant de versions contradictoires qui reflètent la complexité du conflit actuel. Divisés entre familles aisées qui soutiennent le régime baasiste en raison de liens étroits avec le pouvoir, par intérêt, ou par crainte d’une montée de l’islamisme, et familles intellectuelles -plutôt de gauche- opposées au régime, les réfugiés vivant à Beyrouth symbolisent les multiples fractures politiques et sociales d’une Syrie plus que jamais fragmentée.

Depuis le début du conflit, la campagne libanaise aussi voit arriver des milliers de Syriens, beaucoup plus pauvres. Assis sur un matelas à même le sol, entouré des membres de sa famille et de celle de son frère, Ahmad raconte, d’une voix forte mais entrecoupée, les étapes de son évasion ainsi que son quotidien au Liban depuis qu’il a fui son village, Hama, ravagé par la brutalité des combats. "Il ne subsistait plus rien à la fin, ni maisons, ni commerces, nous faisions partie des dernières familles restées sur place. Tout était détruit, les routes étaient coupées. Des cadavres gisaient partout dans les rues. Certains étaient même décapités", raconte cet homme, la trentaine, barbe à moitié rasée, le regard brouillé par les atrocités qu’il dit avoir vécues pendant deux ans.

Arrivé au Liban il y a quelques mois, il retrace le récit de cette "traversée du désert" et du passage de l’autre côté de la frontière. "Nous passions d’un village à l’autre, empruntant souvent des chemins hasardeux, de peur d’être pris dans une embuscade ou arrêté et liquidé". Au bout de plusieurs jours d’escapade, ils finissent par atteindre le bout du périple, ou presque; à quelques kilomètres de la frontière, ils sont arrêtés sur un barrage de l’armée régulière, fouillés, interrogés, puis détenus pendant des heures. Ils sont enfin relâchés, amputés toutefois d’un des passagers du convoi. "Il s’agissait d’un jeune homme d’une famille voisine qui avait fui avec nous. Il a probablement été tué", lâche Ahmad, le visage serré.

Cet épisode n’est qu’une étape dans le long périple de cette famille sunnite opposée au régime de Bachar el-Assad depuis son départ de Syrie. Arrivée au Liban, elle doit se trouver un foyer, un gagne-pain et une place dans un pays débordé par l’afflux de centaines de milliers de réfugiés depuis le début du conflit. Ahmad refuse de s’inscrire auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Grâce à quelques économies et à l’aide d’un ami ayant vécu et travaillé au Liban à l’époque de la tutelle syrienne, il trouve un appartement laissé à l’abandon dans un village de la montagne libanaise, détenu par une famille chrétienne. "J’avais encore quelques sous sur moi. J’ai préféré trouver un travail et épargner à ma famille les affres de la vie des autres réfugiés", raconte-t-il.

Mais le plan initial de ce père de deux enfants se heurte à la précarité du marché de l’emploi, largement affecté par la crise voisine: "Je travaille dans un chantier de construction, cela fait plusieurs semaines que je n’ai pas touché mon salaire", raconte-t-il, disant craindre que ses petites économies ne s’épuisent et qu’il ne soit poussé dans la rue avec sa famille.

A côté de lui, sa belle-sœur, d'abord murée dans le silence, finit par se livrer, sur un ton crescendo. "La vie est très chère ici, certains produits valent cinq fois leur prix en Syrie", dit-elle. "Nous avons tout perdu, et maintenant on vit dans la misère. Ils ont égorgé ma tante et son mari et on nous traite de terroristes", ajoute-t-elle sur un ton révolté.

Nous n’avions jamais distingué entre les communautés

Plus discrets dans leurs propos, quatre familles syriennes se partagent, dans un village voisin, un appartement composé de deux chambres. Ils sont presque une vingtaine de personnes à vivre dans un espace d’environ 50m2. Sunnites originaires de Homs, ils refusent de dévoiler leur orientation politique ou de commenter les événements. "Nous ne nous mêlons pas de politique", souligne, sur un ton méfiant, un des hommes, Omar. "Ils veulent détruire la Syrie, l’affaiblir, pour mieux la contrôler par la suite, c’est tout et la première victime dans cette affaire c’est le peuple syrien, toutes composantes confondues", ajoute-t-il.

A coté de lui, Mohamad, sirotant un café turc, renchérit: "C’est un alaouite qui nous a aidé à partir. Nous n’avions jamais distingué entre les communautés en Syrie. C’est dommage qu’on en soit arrivé là", dit-il avec regret.

"On ne parle jamais entre nous de politique"

Le visage aussi marqué que ses autres compatriotes par les traumatismes vécus jusque-là, un autre Syrien, rencontré dans le quartier Est de Beyrouth, raconte comment son usine a été saccagée et détruite par des "extrémistes" en Syrie. Refusant de dévoiler son identité ou son appartenance religieuse, il travaille aujourd’hui dans un salon de couture de la banlieue de la capitale. Il dit vivre très mal la perte de sa fabrique et cet exil "forcé" qui a touché des milliers d’autres petits et moyens entrepreneurs, réduits aujourd’hui à des métiers modestes, lorsqu’ils arrivent à les obtenir.

Abed vit lui à Zouk au Nord de Beyrouth. Le regard hagard, il raconte comment son salon de coiffure a également été détruit durant les combats, son arrivée au Liban avec sa femme et son fils et le calvaire de se créer une place dans ce chaos ambiant. "Il fallait coûte que coûte trouver un travail pour subvenir aux besoins de base de ma famille", raconte-t-il. Après plusieurs semaines de recherche, il est finalement embauché dans un salon de la banlieue de Beyrouth, détenu par un chrétien libanais pro-régime. "On ne parle jamais entre nous de politique parce que cela risque d’envenimer notre relation et de mettre en péril mon travail", confie-t-il. Quelques mois après son arrivée, il inscrit son fils dans une école publique de la région, où les matières sont enseignées en arabe et en français. "Mon fils a trouvé le moyen d’avoir les meilleures notes, même en français", raconte-t-il, le sourire amer.

Beyrouth, capitale de la bourgeoisie syrienne

Si dans le Nord, la Bekaa ou le Mont-Liban, les réfugiés appartiennent majoritairement aux classes moyenne et pauvre, ceux qui vivent à Beyrouth -pour la plupart des Damascènes et des Aleppins- semblent eux moins affectés par les événements qui secouent leur pays depuis plus de deux ans. Familles commerçantes ou intellectuelles, elles se sont résignées à partir après que les combats, les enlèvements et les explosions se soient intensifiés, et eurent gagné les abords de la capitale.

Dans le quartier d’Achrafieh ou de Hamra, ils sont nombreux à défiler dans de grosses berlines allemandes. "Je préfère vivre sous une dictature laïque que sous l’emprise d’un régime religieux", souligne, une chrétienne originaire d’Alep. "Le régime actuel n’est peut-être pas le meilleur qu’on ait pu avoir mais il a beaucoup fait pour moderniser le pays et améliorer les conditions de vie des chrétiens en Syrie", ajoute-t-elle, citant "les églises nouvellement construites, les écoles étrangères, l’ouverture aux banques privées et à la vente d’alcool".

"Ce n’est pas une raison pour soutenir un régime criminel qui a mis son pays à feu et à sang", rétorque de son côté une activiste pro-démocratie rencontrée dans un bar à Beyrouth. "Sommes-nous d’abord chrétiens, sunnites, alaouites ou Syriens? Si l’intérêt de la Syrie prime sur tout autre considération, et si nous croyons aux droits les plus basiques d’un être humain, nous ne pouvons que soutenir la Révolution", assure-t-elle.

Mais Beyrouth n'est pas qu'un rendez-vous pour riches industriels à l'abris ou intellectuels en fuite. Dans la capitale libanaise, tentent de survivre aussi et surtout les oubliés -vieux mendiants et enfants laissés à l’abandon- qui n’ont jamais demandé à prendre part à ce conflit. Une fille de quatre ans, seule sur un trottoir à Hamra sous une chaleur de plomb, tend la main en balbutiant quelques mots à l’adresse des passants. L’un d’eux s’arrête, lui tend un billet, avant de s’accroupir et de lui demander où sont ses parents. "Ils cherchent depuis ce matin un lieu où se loger à Chatila (non loin du camp palestinien éponyme, ndlr). Ils m’ont placée ici pour que je les aide à payer le loyer", répond-t-elle. Le passant insiste: "Mais tu es sûre qu’ils reviendront te chercher. Tu n’as pas peur de rester seule?" "Ils reviendront, ils me l’ont promis", conclut la fillette, sur un ton soudainement devenu incrédule, la boule dans la gorge et les yeux se remplissant de larmes…

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