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Des touristes canadiens osent la Corée du Nord

Des touristes canadiens osent la Corée du Nord

Curieux, grands voyageurs, sceptiques, ils sont environ une centaine de Canadiens à faire le voyage en Corée du Nord chaque année avec une agence spécialisée présente à Toronto, Koryo Tours. Si certains espèrent que cela peut aider à sortir le pays de son isolement, d'autres affirment que l'argent des touristes sert le régime nord-coréen.

Christopher Graper est le représentant au Canada de l'agence de voyages Koryo Tours depuis 2008. Il a rejoint l'entreprise après avoir lui-même fait le voyage en Corée du Nord et alors que Koryo Tours recherchait un représentant au pays. « Les Canadiens expriment beaucoup d'intérêt pour la Corée du Nord ». Koryo Tours est une agence de voyages gérée par des Britanniques et dont le siège se trouve à Pékin en Chine.

Tous les étrangers, qui veulent visiter la Corée du Nord, doivent s'adresser à une agence autorisée par la Compagnie internationale du tourisme de la Corée dirigée par l'État. Christopher Graper affirme qu'il est assez simple d'obtenir un visa de touriste. « C'est surprenant, mais il faut simplement faire la demande », dit-il.

L'agence Koryo Tours indique que ses clients proviennent principalement de l'Ontario, de l'Aberta et de la Colombie-Britannique. Quelques voyageurs viennent du Québec.

Un voyage encadré

Le circuit en autobus est encadré et des guides nord-coréens accompagnent les visiteurs. Christopher Graper est aussi un guide touristique sur place et se rend en Corée du Nord tous les ans entre les mois de juillet et de septembre. « Il y a un circuit type. C'est comme visiter les bureaux d'une entreprise, ou faire un circuit avec un itinéraire prédéterminé », explique-t-il. Les visiteurs ne peuvent pas se promener à leur guise et il y a des restrictions sur les photos qu'il est possible de prendre. Oubliez les photos de l'armée ou de pauvreté par exemple. Des règles que les touristes doivent suivre pour éviter que leurs guides nord-coréens aient des ennuis.

« Ce n'est pas seulement un spectacle pour les touristes », estime Christopher Graper, « C'est en fait pour eux-mêmes ». Selon lui, il s'agit du même circuit qu'effectuent les travailleurs par exemple qui sont récompensés dans le pays, ou les délégations internationales et les diplomates. « Ils montrent ce dont ils sont le plus fiers. Ça nous permet aussi de comprendre comment les Nord-Coréens se voient ».

Selon Christopher Graper, beaucoup de Canadiens font le voyage, des Américains aussi, des voyageurs qui ont des origines coréennes, d'autres très curieux, qui ont beaucoup voyagé et d'autres qui remettent un peu en cause l'image de la Corée du Nord dépeinte en général en occident.

Ce qui marque les touristes

François Guérin, un résident de la région de Toronto, a voyagé dans plus de 80 pays, dont la Corée du Nord. En avril 2012, il a fait le circuit de deux semaines avec Koryo Tours. « C'est un pays qui est assez mystérieux, que les gens ne connaissent pas. On entend beaucoup de choses sur la Corée, mais il n'y a pas beaucoup de gens qui vont vraiment voir à quoi ça peut ressembler », explique-t-il.

Les touristes visitent la capitale, Pyongyang, ses monuments, ses musées et peuvent aussi se rendre dans d'autres régions plus éloignées, voir la campagne, les fermes collectives, les montagnes. François Guérin raconte être allé à la frontière entre les deux Corée et avoir assisté au défilé du 100e anniversaire de la naissance de Kim Il Sung, le fondateur et premier dirigeant de la Corée du Nord, à Pyongyang. Le voyageur a d'ailleurs été étonné de voir des voitures en Corée du Nord. Il craignait aussi l'accueil des nord-coréens et a été agréablement surpris. « Les gens ont été très gentils, ils sont très courtois. Je n'ai eu aucun problème », dit-il.

Un autre voyageur chevronné, David Edwards, résident d'Ottawa, a passé deux semaines en Corée du Nord au mois de septembre dernier. Il s'attendait, quant à lui, à voir plus de pauvreté que ce qu'il a constaté. « Et nous avons voyagé pendant des centaines et des centaines de kilomètres », dit-il. Il a surtout été impressionné par le culte de la personnalité des dirigeants nord-coréens successifs. « Leurs visages sont partout », soutient David Edwards.

Où va l'argent des touristes?

Jake, un réfugié nord-coréen qui vit à Toronto depuis deux ans, préfère garder l'anonymat par peur de représailles contre son père resté en Corée du Nord. Pour lui, c'est clair : « les touristes donnent de l'argent au gouvernement nord-coréen ». Un gouvernement qui « n'utilise pas l'argent pour améliorer la vie des gens. Il utilise l'argent pour l'armée, pour les missiles et l'arme nucléaire », affirme-t-il.

Randall Baran-Chong, le directeur de HanVoice, un organisme canadien de défense des droits de la personne en Corée du Nord, est plus nuancé sur la question. « Nous savons que le régime nord-coréen est prêt à tout pour amasser de la monnaie étrangère. Si cela sert de quelque façon que ce soit à financer des choses qui ne vont pas à ceux qui ont besoin de l'argent, je pense certainement que c'est inquiétant », estime-t-il, « mais je suis aussi de ceux qui pensent désormais que l'on peut changer les choses de l'intérieur en Corée du Nord en utilisant une influence extérieure. Je pense vraiment que c'est comme ça que les choses vont changer, grâce au contact avec d'autres influences et de nouvelles idées ».

« Je ne crois pas que d'aller visiter le pays revient à soutenir le régime », se défend Christopher Graper. « Il est impossible de savoir ce qui se passe. Le gouvernement doit aussi s'occuper de la population. Je veux dire que l'argent va aussi dans les infrastructures par exemple ce qui bénéficie à la population. L'autre aspect c'est que cela permet de garder les voies de communication avec l'étranger ouvertes et de créer aussi des occasions de faire des affaires. Il y a des restaurants qui sont des entreprises privées », affirme Christopher Graper. « C'est plus compliqué que ce qui est présenté en général dans les médias », précise-t-il. Le guide croit, en effet, que le contact humain avec des personnes à la culture différente de la leur peut aider les Nord-Coréens à sortir de leur isolement.

Ce que les visiteurs ne voient pas

Une autre critique récurrente est que les touristes n'ont pas un véritable aperçu de se qui se passe en Corée du Nord. « Ils ne conduisent certainement pas ces groupes dans les camps de concentration en Corée du Nord qui détiennent plus de 200 000 personnes », affirme Randall Baran-Chong qui estime qu'il s'agit de l'une des plus importantes infractions aux droits de la personne en Corée du Nord.

Le pays fait aussi régulièrement face à des pénuries de nourriture, rappelle Randall Baran-Chong. De plus, leurs ressources vont d'abord à l'armée et ensuite à la population, dit-il. « Au point où les réfugiés nous disent d'arrêter d'envoyer du riz et du maïs, mais plutôt de la nourriture pour animaux, parce qu'ils sont sûrs que cela ne sera pas donné à l'armée », raconte le directeur de HanVoice. Il dénonce aussi les manquements au quotidien, à la liberté d'expression, de religion et de mouvement dans le pays.

« Le choix d'aller en Corée du Nord n'est pas comme de choisir d'aller à Varadero ou Mexico », conclut Christopher Graper. « Je recommande vivement aux gens d'y réfléchir et de s'assurer que c'est bien pour eux ».

Un reportage de Sophie Hautcoeur.

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