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Zampino : des voyages en bonne compagnie

Zampino : des voyages en bonne compagnie

Frank Zampino avait avoué en 2009 ses deux séjours sur le Touch, le yacht de Tony Accurso, alors qu'il était président du comité exécutif de la Ville, mais ce n'était finalement pas la fin de l'histoire. Les travaux de la commission ont permis d'apprendre aujourd'hui qu'il y avait séjourné une première fois en 2005, mais aussi qu'il s'est retrouvé à Las Vegas, vraisemblablement en février 2006, en compagnie de Tony Accurso et de Robert Abdallah, à l'époque directeur général de la Ville.

Un texte de Bernard Leduc et François Messier

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La commission s'intéresse à ces voyages en raison des nombreux contrats obtenus par Simard-Beaudry, l'entreprise de M. Accurso, auprès de la Ville, mais surtout pour ce lucratif contrat des compteurs d'eau, décroché à l'époque en consortium avec la firme Dessau. Le vice-président de cette firme de génie-conseil, Rosaire Sauriol, s'est trouvé d'ailleurs par deux fois, en 2007 et 2008 sur le Touch, en compagnie de MM. Accurso et Zampino.

Mardi après-midi, l'ex-président du comité exécutif de la Ville, pressé de questions par la procureure en chef de la commission, a d'abord eu quelques difficultés à se souvenir du voyage à Las Vegas.

Il avait précédemment évoqué un voyage effectué vers 2003-2004 avec M. Accurso, avant de convenir que c'était « possiblement » en février 2006, comme lui a proposé Me Sonia Lebel.

C'est alors qu'il a ajouté que Robert Abdallah était aussi de la partie, un élément qu'il n'avait pas mentionné au départ.

Le témoin a convenu que les trois hommes ont survolé le Grand Canyon en hélicoptère à cette occasion, probablement aux frais de Tony Accurso. « À ma connaissance, j'ai payé mon voyage » soit l'avion et l'hôtel, a-t-il précisé.

Me Lebel lui a aussi suggéré qu'il avait peut-être fait un autre voyage à Las Vegas avec M. Accurso lors de la première semaine du mois de septembre 2006, mais M. Zampino en doute : « Faudrait que je vérifie, je n'ai aucun souvenir ».

Frank zampino avait précédemment admis qu'il avait en fait séjourné sur le Touch une première fois en 2005, à l'invitation de Tony Accurso. Ce dernier l'avait invité à venir visiter son bateau, dont la construction venait de s'achever, et qui était accosté aux Bahamas. L'homme d'affaires lui avait fait cette proposition alors qu'il séjournait avec sa famille dans le condominium de ses parents, en Floride. Il y est finalement allé, mais M. Accurso n'était pas présent.

Frank Zampino avait déjà admis avoir séjourné sur le bateau de TonyAccurso en compagnie de Rosaire Sauriol de Dessau en 2007 et en 2008, soit avant et après que ses deux amis eurent obtenu en consortium le lucratif contrat des compteurs d'eau de la Ville de Montréal. Le bras droit de TonyAccurso, Frank Minicucci, était également présent, tout come les épouses des quatre hommes.

Des séjours à 5000 $ sur le Touch

Frank Zampino a expliqué à la commission que Tony Accurso, qu'il connait depuis 30 ans, avait voulu payer son séjour sur le Touch en 2007, mais qu'il avait insisté pour payer sa part. « J'avais en moi une réflexion à l'effet qu'à cause des apparences, ce n'était pas une bonne idée. Et j'ai pensé que si j'allais payer la quote-part pour moi et mon épouse, j'aurais au moins [...] régularisé la situation », a-t-il fait valoir

Il a convenu qu'il aurait dû pousser sa réflexion et décliner l'invitation. « J'ai fait deux erreurs : l'erreur d'avoir fait ce voyage au moment où je l'ai fait, et deux, d'avoir exigé d'être facturé », a-t-il dit, en expliquant que cette dernière demande révélait qu'il était conscient des perceptions que cela pouvait engendrer.

Selon les documents fournis par Frank Zampino et déposés en preuve à la commission, il appert que l'ex-président du comité exécutif a payé 5000 $ pour ses deux séjours sur le Touch, du 25 janvier au 2 février 2007 et du 5 au 12 février 2008. La somme a été versée le 25 janvier 2007 dans le premier cas, et le 26 janvier 2008 dans le second, et ce, même si la facture est datée du 1er février.

Frank Zampino maintient qu'il a payé ses billets d'avion pour se rendre sur place et qu'il a aussi payé pour ses repas, tous pris sur le Touch. Les factures à ce sujet n'ont cependant pas été fournies à la commission par M. Zampino. Son avocat a expliqué qu'on lui avait demandé uniquement les frais de séjour. La commission l'a alors sommé de fournir « toutes les factures manquantes » relativement à ses voyages de 2007 et de 2008.

La procureure Lebel a souligné que la location du Touch pouvait coûter de 65 000 $ à 75 000 $, et que Frank Zampino avait donc eu « un prix d'ami » pour son séjour. Le commissaire Lachance a renchéri en disant à l'ex-président du comité exécutif qu'il avait dû se rendre compte une fois sur place qu'un séjour sur le Touch valait plus que 5000 $.

« Je refuse de dire qu'il y avait une partie cadeau » dans ce voyage a rétorqué Frank Zampino, qui s'est dit « offensé » que l'on évoque cette possibilité. Il a cependant convenu qu'il n'était « pas aveugle » et que le Touch était un « beau bateau ».

Après que Frank Zampino eut répété que sa présence sur le Touch n'avait rien à voir avec le dossier des compteurs d'eau, la procureure Lebel lui a demandé pourquoi alors il avait insisté pour obtenir une facture en raisons « d'apparences de conflit d'intérêts ».

« C'était un instinct », a répondu l'ex-bras droit du maire Tremblay. « Je ne peux pas vous aider pour me mettre dans ce que j'avais dans la tête au moment où j'ai pris cette décision ». Il a en outre souligné qu'il aurait tout aussi bien pu faire ce voyage en 2004, 2005 ou 2006.

La commission a ensuite présenté la lettre que Frank Zampino a envoyée au maire Tremblay en avril 2009 pour lui avouer qu'il avait fait deux voyages sur le bateau de Tony Accurso. On peut y lire que l'ex-bras droit du maire Tremblay affirme avoir « assumé la totalité des frais de transport et de séjour », qu'il a « exigé d'être facturé pour ces frais » et qu'il « conserve les factures et les chèques datés et encaissés au moment de ces séjours, lesquels pourront vous être produits le cas échéant. »

La procureure Lebel a alors demandé au témoin pourquoi il n'a jamais produit ces factures, comme il s'y était engagé.

« Ce que j'avais compris, c'est que le maire avait l'intention de rendre ces informations publiques », a répondu Frank Zampino. « Il avait promis aux médias que je lui offrais de donner ces informations et qu'au moment où il allait les recevoir, il allait les rendre publiques. C'était ça ma difficulté. J'ai considéré que ça devenait une inquisition. »

Il a ajouté que la publication de ces preuves aurait entraîné un nouveau débat médiatique. « Dans les circonstances, c'était la meilleure décision », a-t-il laissé tomber, avant d'ajouter : « Je comprends aujourd'hui qu'on peut au moins dire que je n'ai pas menti quand j'ai dit que j'avais effectué des paiements. »

Des amitiés imperméables à la collusion

Frank Zampino a entretenu de forts liens d'amitié avec Rosaire Sauriol de Dessau et Tony Accurso de Simard-Beaudry qui ont eu, au fil des ans, de nombreux et lucratifs contrats avec la Ville, dont celui des compteurs d'eau.

Mais jamais, dit M. Zampino, ils n'ont échangé entre eux des informations privilégiées et s'en tenaient à des sujets généraux ou triviaux.

« J'ai toujours été capable de tracer la ligne entre mes responsabilités professionnelles et mes liens d'amitié », soutient l'ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal.

Cette amitié a néanmoins coûté à Frank Zampino son poste chez Dessau, en avril 2009, lorsqu'il a été révélé qui avait séjourné par deux fois sur le yacht de Tony Accurso avec Rosaire Sauriol.

« J'ai admis avoir été sur le bateau de M. Accurso avec ces personnes, en même temps que la période d'octroi de contrats », a commenté Frank Zampino à ce sujet. « J'ai déjà dit que c'était une erreur, que c'était une maladresse. Mais il ne faudrait pas, de facto, que cette erreur que j'ai commise vienne contaminer un processus qui a été mené par la Ville, par une batterie d'experts, par des gens qui ont soutenu ce processus et que je n'ai jamais influencé ».

Frank Zampino convient n'avoir jamais parlé au maire Gérald Tremblay de ses forts liens d'amitié avec ces importants fournisseurs de la Ville.

Le commissaire Lachance s'est montré surpris que M. Zampino considère toujours M. Sauriol comme son ami après que ce dernier l'a impliqué dans le système de collusion des firmes, dont il soutient par ailleurs avoir appris l'existence grâce à la commission.

« Je ne m'attendais pas du tout à ce genre de témoignage... », a admis M. Zampino, qui n'avait pas hésité hier, pour sa part, à affirmer que l'ex-vice-président de Dessau avait « menti » sur son présumé rôle dans ce système.