MONTRÉAL - Un Groenland inventé émerge de la mer indie pop montréalaise avec son album orchestral The Chase. Sabrina Halde et Jean-Vivier Lévesque, le noyau créatif de la formation, racontent ce projet ambitieux qui allie acoustique, électronique, lumière et grisaille.
Ils sont quatre autres musiciens (on parle du bassiste Simon Gosselin, du batteur/claviériste Jonathan Charrette, de la violoniste Fanny C. Laurin et de la violoncelliste Gabrielle Girard-Charest) à donner corps à la musique, mais ce sont Sabrina (chant, piano, ukulélé), 25 ans, et Jean-Vivier (piano, synthétiseurs, programmation, mélodica et percussions), 29 ans, qui sont les maîtres d’orchestre du projet.
« J’aime bien diriger les répétitions ou encore trancher dans les décisions finales, c’est vrai », affirme Jean-Vivier. « Mais c’est un travail très collectif. Notre manière de créer est très instinctive et laisse beaucoup de place aux autres membres pour proposer des idées et explorer dans les arrangements. »
En 2010, Sabrina et Jean-Vivier fondaient La pieuvre (le nom a changé un an plus tard) et composaient déjà ensemble la musique. « J’ai rencontré Jean-Vivier à l’Université de Montréal », explique la chanteuse. « C’est à cette époque que notre aventure amicale (sans oublier les escarmouches amoureuses qui n’ont pas duré) et professionnelle a commencé […] Au début, on essayait, on s’amusait en duo. On pensait plus faire de l’électro à la Tom York. Mais on s’est aperçu que ce n’était pas vraiment ce qu’on cherchait. C’était assez ennuyant, en fait. Puis est arrivée l’idée d’ajouter des membres. On a entre autres recruté Jonathan (ancien membre du Roi Poisson) et Gabrielle. »
Au pays de Shakespeare
Quant aux paroles des 12 chansons anglophones sur The Chase, c’est l’affaire de la chanteuse, dont la langue maternelle est pourtant le français : « Dès mes premiers cours de jazz, l’anglais s’est avéré naturel pour le chant. Aujourd’hui, ma voix est faite pour les textes anglophones. Je n’ai jamais vraiment remis en question cette décision (écrire dans la langue de Shakespeare). Je suis vraiment intuitive pour le chant et c’est en anglais. »
« Je sais que c’est audacieux, car le marché ici favorise la langue francophone », renchérit Jean-Vivier. « En plus, la compétition est immense en anglais. Mais bon, c’est ce que nous faisons et on est très à l’aise avec ce choix. Je dois dire aussi que j’avais envie d’essayer autre chose après ces cinq années consacrées à mes anciens groupes francophones Le Roi Poisson et Le Citoyen. »
Paysages chatoyants
Habité d’animaux, coloré d’images naïves et de lieux magiques, The Chase est un monde tantôt fantaisiste, tantôt mélancolique (qui fait penser parfois à l’album Metals de Feist). La jolie voix (sensuelle, sensible, soul, jazzy, avec des couleurs britanniques dans le ton), parfois troublée parfois enjouée, fonctionne bien dans cet univers exubérant qui évoque un peu l’épopée et le romantisme.
Ici et là, on compare Groenland (cela dit, l’effet est certainement moins grand) au groupe culte montréalais Arcade Fire : genre musical indie rock (qui glisse vers le jazz), arrangements fournis, structure orchestrale, empreinte émotive, esprit de groupe, forte présence des violons.
Cette fois-ci par contre, la présence considérable des cordes sur l’album de Groenland est peut-être à repenser. La pertinence des violons n’est pas dans la qualité de l’interprétation, mais plutôt dans la place qu’on leur accorde dans ce projet. La voix, les chœurs, le piano et la structure musicale en général étant déjà très mélodiques, introspectifs, lyriques, dramatiques, on pourrait se passer des couches supplémentaires suggérées par les violons, qui sont surtout dirigés par le talentueux Guido Del Fabbro (l’autre coréalisateur étant Philippe B, qui n’a plus besoin de présentation).
Qu’à cela ne tienne, le soleil se lève sur l’autre Groenland (sous l’étiquette québécoise Bonsound). Une formation à surveiller.
The Chase est sur les tablettes depuis le 16 avril.